Film de Ridley Scott
Année de sortie : 1979
Titre original : Alien
Pays : États-Unis, Royaume-Uni
Scénario : Dan O’Bannon, (non crédités) David Giler et Walter Hill ; d’après une histoire de Dan O’Bannon et Ronald Shusett
Photographie : Derek Vanlint
Montage : Terry Rawlings
Musique : Jerry Goldsmith
Avec : Sigourney Weaver, Tom Skerritt, Veronica Cartwright, Harry Dean Stanton, John Hurt, Ian Holm, Yaphet Kotto.
Plus de 30 ans après sa sortie, Alien demeure une référence majeure du cinéma d’horreur et de science-fiction, notamment grâce à son esthétique inspirée et à sa manière de préférer l’atmosphère et la suggestion au spectaculaire. C’est aussi, à sa manière, un monument de l’horreur cosmique au cinéma.
Synopsis de Alien, le huitième passager
En 2122. Les membres de l’équipage du Nostromo, un navire spatial commercial, se réveillent après une longue période d’hibernation. Leur mission étant terminée, ils pensent se trouver à proximité de la Terre quand ils réalisent que le vaisseau s’est arrêté en cours de route, après avoir capté un signal en provenance d’une planète inconnue.
Le Nostromo se pose alors sur la mystérieuse planète en question, et le capitaine Dallas (Tom Skerritt), Kane (John Hurt) et Lambert (Veronica Cartwright) se dirigent vers l’origine du signal…
Critique du film
Dan O’Bannon, auteur de l’histoire (avec Ronald Shusett) et d’une majeure partie du scénario de Alien, cherchait un metteur en scène à même de prendre le sujet au sérieux : il n’était pas question pour lui de tourner une série B (genre – d’ailleurs nullement méprisable – auquel sont associés de nombreux « films de monstre ») mais une œuvre avec une véritable ambition artistique et esthétique (ambition reflétée notamment par le choix de l’artiste suisse H.R. Giger, déjà engagé sur le projet pour le design de la créature).
C’est à Ridley Scott – dont le premier film, Les Duellistes, avait remporté le prix de la meilleure première œuvre au Festival de Cannes (en 1977) – que fut finalement confié la réalisation de Alien, le huitième passager, après que les noms de réalisateurs plus confirmés eurent circulé (dont Robert Aldrich et Peter Yates). Passionné de dessin, Scott effectue rapidement des storyboards brillants qui achevèrent de convaincre l’équipe du film et suscitèrent même une augmentation du budget initialement prévu.

L’intérieur du vaisseau des extraterrestres dans Alien, le huitième passager. On distingue un spécimen fossilisé au centre du plan et les membres du Nostromo à gauche.
Le résultat fut que Alien, le huitième passager s’imposa comme le premier gros succès commercial de la carrière de Ridley Scott (Les Duellistes, en dépit de ses qualités évidentes, n’avait pas remporté un grand succès public aux États-Unis) et comme une référence absolue du cinéma de science-fiction et du « monster movie« .
Les raisons qui expliquent l’indéniable réussite artistique du film, ainsi que son succès aussi bien commercial que critique, sont nombreuses.
Le design et la réalisation
Le premier et incontournable élément qui vient à l’esprit est l’alien
lui-même : son apparence, créée par H.R. Giger, contribue dans une très large mesure à la signature du film. Le peintre, sculpteur et plasticien suisse a réussi ici quelque chose de très intéressant, et qui au fond utilise un ressort psychologique ancien de l’horreur et de l’angoisse, à savoir une combinaison savante de peur et d’attraction.
La créature et son univers (la planète de l’alien est également l’œuvre de l’imagination de Giger) témoignent d’une esthétique à la fois sombre, effrayante, fantasmagorique et fascinante. La célèbre séquence où trois membres du Nostromo explorent la planète est saisissante sur le plan visuel : les différents plans – dont le tout premier sur le mystérieux vaisseau – sont aussi sombres et inquiétants que beaux.

Très beau plan représentatif du design sombre et créatif élaboré par H.R. Giger pour le film.
L’aspect singulier du monstre (la forme étonnante de son crâne ; cette étrange mâchoire qui jaillit de sa bouche) confère à ce dernier une aura qui intrigue autant qu’elle terrifie le spectateur. On a souvent évoqué les aspects phalliques du design de la créature, qui ne sont d’ailleurs pas inédits dans le genre : le cinéma (et la littérature) d’horreur recèle de symboles sexuels plus ou moins explicites (le documentaire Nightmare in red, white and blue: the evolution of the American horror film, réalisé par Andrew Monument et projeté au Festival du cinéma américain de Deauville 2009, le montre très bien).
La forme allongée du crâne et la mâchoire qui sort progressivement de la bouche – pour transpercer la victime – sont autant de caractéristiques physiques qui ont conduit à ce genre d’interprétations. Mais c’est surtout dans la dernière scène que cette dimension sexuelle est particulièrement évidente : les images montrant Ripley (Sigourney Weaver) en sous-vêtements épiée par le monstre tapi dans l’ombre, sont chargées d’une flagrante tension sexuelle, renforcée par la bande son constituée notamment des grognements rauques de l’extraterrestre.

La fameuse mâchoire du monstre, qui dans cette scène en particulier a une dimension symbolique assez évidente.
Si le design audacieux et créatif imaginé par H.R. Giger s’imposa comme une réussite totale et a magnifiquement servi les intentions du scénariste Dan O’Bannon, encore fallait-il que la réalisation l’utilise intelligemment. Et c’est définitivement le cas – davantage, à mon sens, que dans les autres volets de la saga Alien.
La réalisation et la photographie (signée Derek Vanlint) ont clairement pris le parti de ne pas trop montrer la créature, en la cadrant à travers des plans le plus souvent furtifs, volontairement sombres, et qui ne révèlent le plus souvent qu’une partie de sa déroutante anatomie. Certes, il y a bien une raison purement pratique (et économique) qui explique cette façon de filmer l’alien : c’est un comédien vêtu d’un costume qui l’incarne, et ses mouvements n’étaient pas suffisamment fluides et crédibles pour que des plans d’ensemble bien éclairés produisent un effet convaincant. Quelques années plus tôt, Steven Spielberg avait eu la même problématique – et l’avait réglé de la même manière – avec la maquette du requin dans Les Dents de la mer. Un autre chef d’œuvre du monster movie dont l’une des scènes les plus terrifiantes (la toute première) est tournée de nuit et ne montre jamais le squale à l’écran.
Pour autant, aussi bien chez Spielberg que chez Scott, il est impossible de ne pas voir ici un réel parti pris esthétique et cinématographique, et non le simple contournement d’une contrainte technique. Parti pris qui repose sur un ressort classique mais ô combien efficace du cinéma fantastique : ce que l’on voit rarement et peu distinctement provoque une peur et une fascination beaucoup plus grandes. En espaçant les apparitions du monstre et en filmant ce dernier dans l’ombre, Ridley Scott (comme Spielberg avant lui), loin de le banaliser, renforce son caractère effrayant et mystérieux, autant qu’il entretient le suspense et la tension.
C’est l’une des marques de fabrique de certains films du cinéaste français Jacques Tourneur, qui révolutionna le genre fantastique en stimulant la suggestion et l’imagination du spectateur par le biais du hors-champ et d’une photographie expressionniste. Ce procédé est flagrant dans La Féline, grand classique du cinéma américain fantastique tourné en 1942, où le metteur en scène et son directeur photo (Nicholas Musuraca) suggèrent la présence de la panthère à travers de subtils jeux d’ombre, notamment dans la scène culte de la piscine. Indéniablement, on retrouve cet héritage précieux dans Alien. D’ailleurs, le film de Tourneur instaure également ce rapport entre la peur et l’attirance précédemment évoqué à travers le personnage complexe d’Irena (interprété par Simone Simon).

Ripley (Sigourney Weaver)
Mais Ridley Scott n’a pas que d’excellentes références cinématographiques : il possède un style et une personnalité qui sont lui propres. Le rythme (assez lent), la tension et l’atmosphère inquiétante qu’il parvient à insuffler à travers sa réalisation confirmèrent qu’un véritable auteur était alors apparu dans le paysage cinématographique, comme le laissait déjà penser Les Duellistes. La manière dont Scott a traité le scénario et dont il a mis en valeur les créations visuelles de H.R. Giger témoigne d’une intuition et d’une maîtrise technique indéniables, qu’il confirmera dans Blade Runner avant de livrer, ensuite, une filmographie nettement plus bancale et inégale que ses trois premiers films le laissaient supposer.
Il faut également souligner la qualité et la précision de la bande son, qui apporte beaucoup à l’atmosphère du film, au même titre que l’excellente musique originale composée par Jerry Goldsmith (à qui l’on doit entre autres la BO de Chinatown, Outland, Gremlins, Basic Instinct..).
Le scénario
La genèse
La réussite d’un film ne peut pas reposer uniquement sur ses qualités formelles : le scénario d’Alien, le huitième passager a été pensé et travaillé pendant plusieurs années, et cela se ressent. Dan O’Bannon a eu l’idée du film sur le tournage de Dark Star (de John Carpenter), long métrage mélangeant science-fiction et comédie dont il écrivit le scénario et interpréta le rôle principal.
O’Bannon élabora l’histoire d’Alien avec Ronald Shusett (les deux hommes travailleront plus tard sur le scénario de Total Recall, adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick) puis commença à développer un scénario au fil de ses échanges avec Chris Foss et surtout H.R. Giger (tous deux rencontrés sur le projet d’adaptation – avorté – de Dune par Alejandro Jodorowsky).
Alien : de l’horreur cosmique ?
L’histoire d’Alien exploite plusieurs peurs viscérales de l’homme : celle de l’inconnu (représenté dans le film par l’exploration spatiale) et celle d’être confronté à un super-prédateur qui menace directement son existence et sa position de dominant.
Dans Les Dents de la mer, les protagonistes font face à une créature qui a quelque chose de quasiment « préhistorique » ; bien qu’assez rusé, le requin de Steven Spielberg représente avant tout une force brute et primaire. D’ailleurs, Spielberg avait établi à l’époque un parallèle entre Les Dents de la mer et Duel, son premier long métrage, basé sur une nouvelle de Richard Matheson décrivant une forme moderne de combat préhistorique (entre un homme et un camion). La créature d’Alien, plus sophistiquée que le squale de Jaws et plus complexe que le camion de Duel, véhicule quant à elle l’idée d’une espèce extraterrestre à certains égards supérieure à l’homme. De fait on se situe ici, en partie, dans le registre de l’horreur cosmique, dont l’une des figures de proue est le célèbre écrivain H.P. Lovecraft. Il est difficile pour autant d’affirmer que Dan O’Bannon avait l’auteur du Cauchemar d’Innsmouth en tête en écrivant Alien, en revanche Ridley Scott, à travers la catastrophique préquelle Prometheus (2012), soulignera de façon plus évidente cette filiation.
La construction du récit et la caractérisation des personnages
Privilégiant le suspense et la tension à l’action pure, le script d’Alien laisse également une véritable place aux personnages (les sept membres de l’équipage du Nostromo), qui sont tous consistants et bien définis. Cet aspect renforce l’attention et l’implication du spectateur, ce qui est aussi primordial que trop rare dans le « monster movie« . Les autres atouts du scénario résident dans son rythme et sa progression (le film commence lentement, l’horreur s’installe peu à peu et les attaques sont habilement espacées), ses rebondissements crédibles ainsi que dans les idées ingénieuses concernant les particularités physiques, biologiques et comportementales de la créature.

Kane (John Hurt) et Ash (Ian Holm). On aperçoit également Parker (Yaphet Kotto) au premier plan.
Notons que David Giler et Walter Hill (célèbre réalisateur qui signa notamment 48 heures ; Les Rues de feu et le culte Les Guerriers de la nuit) ont également participé à l’élaboration du scénario.
Le casting du film
Le casting est à la hauteur du projet. Alien révéla Sigourney Weaver, dont ce fut le premier rôle important et que l’on retrouvera dans toutes les suites plus ou moins réussies qui constitueront la saga Alien. Son physique et sa personnalité conviennent remarquablement bien à son rôle de femme forte, à la fois féminine, courageuse et autoritaire.

Sigourney Weaver
À ses côtés, on retrouve notamment Harry Dean Stanton, excellent acteur avec une vraie « gueule » qui tourna avec Sam Peckinpah (dans Pat Garrett and Billy The Kid), Arthur Penn (dans The Missouri Breaks), Robert Altman (dans Fool for Love), David Lynch (dans Sailor et Lula) et bien d’autres illustres metteurs en scène. Ainsi que John Hurt, dont le douloureux accouchement constitue l’une des scènes les plus cultes du film. Hurt a pour sa part joué (entre autres) dans Midnight Express, Elephant Man, La Porte du paradis et le dernier film de Peckinpah, The Osterman Week-end. N’oublions pas non plus Veronica Cartwright, l’autre membre féminin de l’équipage du Nostromo, qui joua dans l’excellente adaptation du roman de Tom Wolfe L’Étoffe des héros, ainsi que dans Invasion of the Body Snatchers, remake du film éponyme de Don Siegel (les deux films précités ayant d’ailleurs tous deux été réalisés par Philip Kaufman).

Brett (Harry Dean Stanton) dans Alien, le 8ème passager
Un scénario intelligent et un cachet esthétique précieux font d'Alien, le huitième passager une pièce maîtresse du cinéma d'horreur et plus particulièrement du monster movie
. En puisant intelligemment dans un héritage prestigieux (la panthère de La Féline rôde, d'une certaine manière, à bord du Nostromo ; le monstre reprend par ailleurs des motifs déjà présents dans la littérature de genre - on peut songer entre autres à H.P. Lovecraft) tout en apportant des idées et un univers visuel nouveaux et originaux, Alien, le huitième passager s'affirme comme le meilleur volet de la saga éponyme, comme le film le plus abouti de son auteur (avec Blade Runner) et tout simplement comme un classique du 7ème art.
10 commentaires
Bravo! Tout est dit. Chef d’oeuvre en effet. Et en reussisant a parler des Duellistes , de Peckinpah, Cimino, Linch. Baleze l’octopode!
Merci !
Tu m’a drôlement donné envie de voir le documentaire « Nightmare in red, white and blue: the evolution of the American horror film ».
Oui c’est un documentaire plutôt sympa, découvert au Festival de Deauville 2009.
Vu dans un vieux cinéma de province, à sa sortie en salle, alors que j’avais 13 ans …inoubliable !
Là je veux bien vous croire… Découvrir ce film au cinéma à l’époque, ça devait être quelque chose !
pour l’histoire je dirais que le 1 est top et pour la baston celui de jean pierre jeunet ( donc Alien : la résurrection) est plus intéressant.
Félicitations pour l’analyse juste, concise et précise mais il est vraiment dommage que vous ne détaillez pas plus la BO de Jerry Goldsmith qui est exceptionnelle et qui distille habilement les sensations d’oppression et d’angoisse. Cette BO est la cerise sur le gâteau d’un film culte !
Réponse à Touf : La BO de Goldsmith pour Alien est EXCEPTIONNELLE dans sa totalité, ce qui est rarissime. Rien à jeter. De ce seul point de vue, la musique d’Alien peut être comparée à celles de Prokofiev (Alexandre Nevski et de Ivan le Terrible), Nino Rota (beaucoup de BO dont celle de Casanova), Bernard Herrmann (quoique je n’apprécie pas les « love scenes » violonneuses dans ses BO d’Hitchcock), Ennio Morricone (Il était une fois dans l’Ouest). Plus récemment : Nick Cave et Warren Ellis (The Proposition et de The Assassination of Jesse James), Marty Stuart (All The Pretty Horses). Je ne vois pas d’autres partitions qui soient intégralement belles comme celles que je viens de citer.
Goldsmith s’entendit mal avec Scott qui n’utilisa pas toutes les compositions prévues ou qui utilisa une ou deux compositions dans des séquences pour lesquelles elle n’avaient pas été conçues. Le DVD Alien, Silva Screen, 1979, contient toute la musique originalement prévue par Goldsmith (35 minutes environ). Les infos (en anglais) que je viens de donner proviennent du livret de ce DVD. Cela dit, je pense que Scott a eu raison : la partition de Goldsmith est tellement puissante, tellement âpre, tellement effrayante qu’elle aurait risqué de faire double emploi si elle avait été utilisée en totalité — et alors les spectateurs du film n’auraient pas survécu !
Incontestablement, Scott possède le talent de bien s’entourer – le seul ? Pour l’anecdote, Veronica Cartwright, sous sa forme enfantine, subissait déjà les assauts des « Oiseaux ».