Film de Walter Hill
Année de sortie : 1979
Pays : Etats-Unis
Titre original : The Warriors
Scénario : David Shaber et Walter Hill, d’après le roman « The Warriors » de Sol Yurick
Photographie : Andrew Laszlo
Montage : Freeman Davies, David Holden, Susan E. Morse, Billy Weber
Avec : Michael Beck, James Remar, Deborah Van Valkenburgh, David Patrick Kelly, Dorsey Wright, Marcelino Sánchez, Roger Hill, David Harris, Brian Tyler, Terry Michos
Masai: You Warriors are good. Real good.
Swan: The best.
A la fois hautement divertissant et très abouti sur le plan esthétique, Les Guerriers de la nuit est un chef d’œuvre du cinéma d’action, dont l’univers unique et riche en références n’a rien perdu de sa qualité immersive.
Synopsis de Les Guerriers de la nuit
A New York, dans un futur proche. Cyrus (Roger Hill), le chef des Gramercy Riffs – le gang le plus puissant de la ville -, convoque dans le Bronx neuf représentants des principaux autres gangs. Il tient un grand discours prônant l’unité, afin de constituer une armée de « soldats » contre les policiers. Mais il est abattu d’un coup de revolver par Luther (David Patrick Kelly), leader des Rogues. La panique s’empare de la foule, d’autant plus que la police intervient.
Luther profite de la confusion pour accuser Cleon (Dorsey Wright) – le leader des Warriors – du meurtre de Cyrus. Cleon est tabassé par les Riffs.
Les autres membres des Warriors parviennent à s’échapper, mais Masai (Edward Sewer), par l’intermédiaire d’une DJ (Lynne Thigpen), appelle tous les gangs de la ville à les traquer.
Pour les Warriors, désormais dirigés par Swan (Michael Beck), le chemin jusqu’à Coney Island – leur territoire – va être long et périlleux…
Critique et analyse du film
Cyrus: You’re standing right now with nine delegates from 100 gangs. And there’s over a hundred more. That’s 20,000 hardcore members. Forty-thousand, counting affiliates, and twenty-thousand more, not organized, but ready to fight: 60,000 soldiers! Now, there ain’t but 20,000 police in the whole town. Can you dig it?
Les Guerriers de la nuit, de Walter Hill (Sans retour), propose une combinaison unique et cohérente d’influences et d’éléments distincts. Le scénario et l’imagerie renvoient en effet à l’univers des comic books, des films de bandes à la West Side Story, au cinéma d’action post-Peckinpah (un des maîtres de Walter Hill), mais également à l’histoire et la littérature grecque (le film fait référence, à l’instar du roman dont il est tiré, à Anabase, œuvre de l’écrivain, historien et soldat grec Xenophon) ; le tout étant intégré à une réalité urbaine certes stylisée mais ancrée dans son époque.
Comme Walter Hill l’expliqua lui-même, bien que l’homme ne soit pas bavard au sujet de ses films, la référence au périple des Dix Mille (des mercenaires grecs) au beau milieu de l’Empire Perse (en -401) est fondamentale, et justifie la dimension épique du film. Le metteur en scène fait des Warriors, qui ne sont que huit alors que tous les gangs de la ville sont lancés à leurs trousses, des versions contemporaines et urbaines (new-yorkaises, plus précisément) des Dix Mille. Le nom du leader des Gramercy Riffs, « Cyrus », est d’ailleurs celui d’un personnage clé de l’histoire (authentique) racontée dans Anabase.
Dès le début du film (lors du prologue présent dans le director’s cut uniquement), une voix off fait d’ailleurs explicitement le parallèle entre Les Guerriers de la nuit et l’épopée relatée par Xenophon. Pour l’anecdote, Walter Hill avait souhaité à l’époque que ce soit Orson Welles qui lise le texte d’introduction, mais le réalisateur s’était heurté au refus des studios, peu enthousiastes face à la perspective d’une dépense supplémentaire jugée superflue (…). De plus, les rapports souvent conflictuels que le réalisateur de Citizen Kane et de La Soif du mal entretenait avec les studios n’ont peut-être pas joué en la faveur de cette idée pourtant brillante – surtout que Welles était un narrateur et un conteur d’histoires hors pair.
En remplaçant les mercenaires grecs et les Perses par des gangs des quartiers défavorisés de New York, Les Guerriers de la nuit traite d’un phénomène moderne (les ghettos, les bandes, les inégalités sociales), d’une manière qui suscita d’ailleurs la polémique à l’époque. On accusa le film d’incitation à l’émeute et ses premières projections, aux États-Unis, furent parfois ponctuées de violence et d’agressions.
Le slogan de l’affiche (These are the armies of the night. They are 100,000 strong. They outnumber the cops five to one [note : possible référence à un ratio approximatif souvent entendu dans les années 60 à propos des blancs et des noirs, des fumeurs et non fumeurs de joints, des vieux et des jeunes, etc., qui aurait donné son titre à la célèbre chanson des Doors Five to One]. They could run New York City.
) indigna les détracteurs du film, tandis qu’en France, une courte scène fut tout bonnement censurée par le Ministère de l’Intérieur. D’un autre côté, cet ancrage dans la culture ghetto valut au film de devenir culte auprès d’une partie de la population des banlieues et dans le milieu hip-hop ; le célèbre MC Method Man, membre du Wu-Tang Clan, a d’ailleurs samplé l’une des répliques du film sur son excellent album solo Tical 2000: Judgement Day, au début du morceau Killin’ Fields (écouter Killin’ Fields sur YouTube).

Terry Michos, David Harris et James Remar. Remar tournera un an plus tard dans l’excellent « Cruising » (1980) de William Friedkin.
Le but des Guerriers de la nuit n’est pas d’appeler les gangs urbains à la rébellion ; le film pose simplement un regard sur les inégalités sociales dans les grandes villes et sur le phénomène des bandes. Situé dans un futur proche, il sonne un peu comme un avertissement. Plusieurs répliques expriment le dépit des protagonistes face à leur situation et leur environnement (This is what we fought all night to get back to?
, dit Swan à son retour à Coney Island), tandis que la scène dans le métro au cours de laquelle des jeunes bourgeois s’assoient en face des Warriors et de Mercy (Deborah Van Valkenburgh) véhicule également la dimension sociale de l’histoire.

Deborah Van Valkenburgh, que Walter Hill dirigera à nouveau sur « Les Rues de feu » (1984). Plus récemment, Rob Zombie lui a offert un petit rôle dans « The Devil’s Rejects » (2005).
Cette thématique et cette image des laissés-pour-compte renversant l’ordre établi sont très présentes dans le cinéma d’aujourd’hui (en raison de la crise économique mondiale et des mouvements de protestation qu’elle engendre), ce qui prolonge la portée du film de Walter Hill en lui donnant des résonances très actuelles. On les retrouve par exemple dans le récent The Dark Knight Rises, du surestimé Christopher Nolan.
Mais avant d’être une représentation d’une réalité urbaine et sociale contemporaine, Les Guerriers de la nuit est un film d’action haletant, où chaque scène comporte un nouvel élément, une nouvelle idée qui maintient la dynamique de l’ensemble. A chaque étape de leur retour semé d’embûches, les Warriors sont confrontés à un ennemi différent, un gang avec ses propres codes vestimentaires, culturels et comportementaux. On se demande sans cesse quel sera le prochain, d’autant que l’on est jamais déçu : entre les Baseball Furies, les Turnbull ACs et les Lizzies, le film offre un florilège d’ennemis hauts en couleur. Le procédé rappelle l’univers du jeu vidéo, où le joueur affronte un « boss » différent à chaque fin de niveau. D’ailleurs, le célèbre jeu « Double Dragon » a été inspiré par Les Guerriers de la nuit, et le film a fait l’objet d’un jeu vidéo sorti en 2005.

Jery Hewitt, cascadeur sur le film (ici face à James Remar), interprète le leader des redoutables Baseball Furies.
C’est toutefois surtout aux comics que l’on pense ici, en particulier si l’on regarde le récent Director’s cut (disponible en Blu-Ray) où Walter Hill a ajouté un procédé qui met clairement en avant cette influence. En effet, les transitions entre deux séquences se font souvent par l’intermédiaire d’une vignette de bande dessinée qui brusquement se substitue au plan de cinéma correspondant ; des bulles avec du texte apparaissent même sur certaines images.

Exemple typique de l’aspect comic book ajouté par Walter Hill pour le director’s cut. Dans l’ordre logique de lecture d’une vignette de BD : James Remar, Tom McKitterick, Brian Tyler, Michael Beck.
Cette modification majeure par rapport à la version initiale a d’ailleurs profondément déplu à certains fans du film – ce qui est tout à fait compréhensible -, mais dans le cas d’une première vision, il se trouve qu’elle s’intègre remarquablement bien au récit et apporte un cachet et un charme supplémentaires à l’œuvre. Il faut ici souligner qu’à l’époque du tournage, Walter Hill avait déjà souhaité mettre en place cette technique au cours de la post-production, mais le temps et les moyens nécessaires ne lui avaient pas été accordés. Enfin, ce parti pris est d’autant plus cohérent que dans le roman de Sol Yurick, le personnage du nom de Junior lit un comic book basé sur Anabase, le livre de Xenophon dont le film tire une partie de sa mythologie.
La caractérisation des personnages renforce l’intérêt du récit, ses enjeux et aussi son propos. A l’image des différents gangs, les personnages ont en effet chacun une personnalité, un style, une présence qui leur est propre. C’est le cas notamment des membres des Warriors mais aussi de Mercy, une femme d’abord provocante qui révèle ensuite une réelle sensibilité.
Les acteurs, pour la plupart débutants ou peu expérimentés, ont une « gueule » et une dégaine qui servent parfaitement leurs rôles respectifs. Pour couronner le tout, le scénario regorgent de dialogues savoureux et mémorables (Can you diiiig it?
). On retiendra aussi les interventions précieuses de la mystérieuse DJ dont on ne voit jamais, ou à peine, le haut du visage – idée qui permet d’introduire efficacement plusieurs morceaux de musique et aussi de souligner la pression sur les Warriors (elle appelle implicitement tous les gangsters à les éliminer ou les capturer). Le procédé rappelle un peu Vanishing Point (de Richard C. Sarafian) et son DJ funky encourageant le héros dans sa course vertigineuse et désabusée.
En héritier de Sam Peckinpah (dont il s’approprie avec talent les fameux ralentis), Walter Hill dirige brillamment les scènes de combat : elles sont chorégraphiées, filmées et découpées d’une manière dont devraient s’inspirer bien des metteurs en scène actuels. Les cadrages et le montage permettent de voir tous les mouvements, de situer chaque personnage dans l’espace, ce qui décuple l’impact des séquences.
L’une des grandes qualités du film réside dans la gestion du rythme et de l’intensité : si celle-ci est relativement constante, ses degrés varient d’une séquence à l’autre. Les Guerriers de la nuit n’est en aucun cas constitué uniquement d’une succession de combats et ménage de nombreuses accalmies entre les différentes confrontations (qui, de fait, sont d’autant plus spectaculaires).
Les décors jouent également un rôle essentiel : tourné principalement dans les rues de New York, Les Guerriers de la nuit exploite à merveille le potentiel cinématographique de la métropole. La qualité visuelle du film doit en outre beaucoup au travail du chef-opérateur Andrew Laszlo, qui signe ici une très belle photographie.
Les Guerriers de la nuit conjugue cinéma d’auteur (parce qu’il y a du style et un point de vue) et pur divertissement (parce que c’est rythmé et efficace) avec une virtuosité et une générosité jubilatoires. Si l’accueil public et surtout critique furent à l’époque mitigés – bien que la célèbre Pauline Kael, souvent à contre courant à l’égard de l’intelligentsia du cinéma, avait consacré au film un article élogieux -, Les Guerriers de la nuit est peu à peu devenu culte ; et à la vision de cette œuvre aussi légendaire que les intraitables Warriors, il est difficile de ne pas valider ce statut.
A lire sur le web
Publié en 2005 sur le site « The Fader », l’article New York Mythology propose un entretien réunissant Walter Hill, Michael Beck, Craig R. Baxley, Fleet Emerson, David Harris, Jery Hewitt, David Patrick Kelly, Terrence Michos, James Remar, Deborah Van Valkenburgh, Thomas G. Waites, Joel Weiss et Sol Yurick. Tous évoquent leur souvenir du tournage de The Warriors. L’article évoque également le projet de remake (jamais réalisé) par Tony Scott, le réalisateur de Les Prédateurs, Top Gun et True Romance, mort le 19 août dernier (2012). Scott souhait transposer l’action du film à Los Angeles.
Épique et emmené par une galerie de personnages truculents, Les Guerriers de la nuit est l'un des fleurons du cinéma d'action des années 80. L'exemple même d'un divertissement intelligent aux références passionnantes (qu'elles soient culturelles, sociales, historiques, littéraires ou cinématographiques), qui n'a pas usurpé la réputation flatteuse dont il bénéficie de nos jours.
9 commentaires
Je l’avais vu a sa sortie. J’avais 20 ans…
Et je l’avais adoré. Je l’ai revu il y a quelques mois et il n’a rien perdu de sa force. Sublime photo. Concernant Nolan, son meilleur film est sans doute Memento.
Pour info, James Remar joue le role du pere défunt de Dexter.
film sublime sauf une incoherence a la fin ils sont chez eux a coney island et se font coincer sur la plage. ca veut dire que contrairement aux autres ils ne controlent pas leur territoire.Ils auraient pu envoyer quelqu un demander du renfort meme la bande des minables orphans ont agi ainsi.
Bonsoir,
Excellente critique.
N’hésitez pas a visiter le fan club officiel français des guerriers de la nuit :
http://www.the.warriors.fr
Oops, désole, j’ai fais une erreur dans mon précédent message, l’adresse exacte du fan club est : http://www.the-warriors.fr
J’ai vu ce film plus de cent fois, c’est mon Film Fétiche ! Chaque séquence est unique ; c’est une chanson qu’on écoute et qu’on réécoute… Bravo !
Swan de Montréal ; )
J’ ai vu le film au début des année 80 a Utopia a Avignon, il m’ avais marquer, j’avais trouver le sénario formidable et l’esthétisme très intéressant ainsi que sa critique sociale….Cependant d’ un autre côté j’ai été déçu par la mise en scene, l’ impression qu’ un tel film aurait pu être bien meilleur si on y avait mis plus de moyens et de savoir faire….Un remake de Scorcese par exemple serait le bienvenu !
encore un film génial ( wolfen, the warriors), filmé à NY. tout à fait d’accord avec toi sur le dosage parfait entre l’action et les moments d’accalmies. merci Bertrand pour ton com très juste et nuancé contrairement à d’autres……..
Très bon film et pertinente chronique, oui ! En revanche, et même si cela tombe souvent sous le sens, il faut absolument éviter la VF qui est proprement atroce.
C’est toujours bien de le rappeler ! Merci