Film de Walter Hill
Année de sortie : 1981
Titre original : Southern Comfort
Pays : Etats-Unis
Scénario : Michael Kane, Walter Hill et David Giler
Photographie : Andrew Laszlo
Montage : Freeman A. Davies
Musique : Ry Cooder
Avec : Keith Carradine, Powers Boothe, Fred Ward, T. K. Carter, Franklyn Seales, Lewis Smith, Les Lannom, Peter Coyote, Alan Autry, Brion James
Hardin: I wanna live. I don’t know how I’m going to do it, but I’m gonna fight my way outta here.
Avec Sans retour, Walter Hill signe un survival tendu et maîtrisé, servi par un casting charismatique et par le blues inspiré de Ry Cooder.
Synopsis de Sans retour
En 1973, une patrouille de la Garde Nationale de Lousiane effectue un entraînement routinier dans le bayou. Craignant de ne pas être à l’heure au point de rendez-vous, les militaires décident de voler des pirogues pour traverser un marais. Mais alors qu’ils n’ont pas encore atteint l’autre rive, les propriétaires des pirogues, des cajun, font leur apparition.
Le soldat Stuckey (Lewis Smith), accoutumé aux mauvaises blagues, fait feu avec une arme chargée à blanc. Ignorant que les militaires ne tirent pas à balles réelles, les cajuns ripostent aussitôt et le sergent Poole (Peter Coyote) est abattu.
C’est le début d’une longue traque dans les marais…
Critique du film
Deux ans après Les Guerriers de la nuit, film culte relatant les aventures urbaines et épiques d’un gang new-yorkais, qui puisaient ses références aussi bien dans l’univers de la bande dessinée que dans L’Anabase de Xénophon, Walter Hill abordait avec Sans retour une trame en certains points similaire. En effet, comme les membres des Warriors, les soldats de Sans retour doivent lutter pour survivre dans un environnement hostile, tandis que l’autorité au sein du groupe est très rapidement ébranlée par la mort de son leader (le sergent Poole dans Sans retour, Cleon dans Les Guerriers de la nuit).
Mais cette comparaison se doit aussitôt d’être nuancée : Sans retour (dont il faut souligner l’ironie du titre original, Southern Comfort) n’est en aucun cas la transposition, dans le bayou de Louisiane, du parcours héroïque des Warriors. Et pour cause : les protagonistes de ce survival ne sont pas des héros victimes d’un piège ; au contraire, leur comportement souvent stupide, violent et inconsidéré explique en partie la situation dans laquelle ils se retrouvent. Pas de souffle épique ici donc, mais une atmosphère poisseuse, moite et paranoïaque, cadre d’un conflit absurde face auquel le spectateur ne peut pas vraiment choisir de camp.

Peter Coyote dans « Sans retour »
Le film a rapidement été perçu comme une métaphore du Vietnam (l’action se déroule en 1973 ; par ailleurs de nombreux films américains tournés dans les années 70-80 traitaient plus ou moins directement de cette guerre), mais cette interprétation a toujours été contestée par Walter Hill.
On comprend sa réaction à la vision de Sans retour : visiblement, le cinéaste s’est ici avant tout efforcé d’observer le comportement d’un groupe face à une situation extrême, scrutant les tensions internes et l’évolution du comportement de chaque individu avec un réalisme auquel la réussite du film doit beaucoup. Au passage, le cinéaste égratigne l’armée (la plupart des militaires se conduisent comme de dangereux abrutis) sans tomber dans la caricature (les personnages incarnés par Keith Carradine, Power Boothe et Peter Coyote, dont c’était l’une des premières apparitions au cinéma, relèvent le niveau intellectuel du groupe), tandis qu’il témoigne d’une approche également nuancée en ce qui concerne les autochtones cajuns, lesquels comptent parmi eux des rednecks brutaux mais aussi d’honnêtes villageois.

T. K. Carter et Brion James, des comédiens vus respectivement dans « The Thing » et « Blade Runner »
Sans retour a souvent été comparé à Délivrance (de John Boorman, sorti en 1972) et même si ces deux films présentent des différences importantes, il est vrai qu’ils partagent certains ingrédients, à savoir une nature à la fois belle et inquiétante (le générique de début de Sans retour est composé d’une succession de plans montrant des paysages sauvages, beaux et étranges), et l’opposition entre une Amérique citadine et une Amérique rurale. Deux mondes différents à bien des égards et entre lesquels la communication est, dans le cas du film de Hill, d’autant plus difficile que les soldats de Sans retour parlent évidemment anglais tandis que les cajuns s’expriment dans un langage mêlant français classique et créole de Louisiane.
Le conflit décrit dans le film présente donc une dimension sociologique, culturelle et territoriale, ce qui peut évoquer un autre classique du cinéma américain des années 70 outre Délivrance, à savoir Les Chiens de paille de Sam Peckinpah (un cinéaste admiré par Walter Hill), œuvre polémique dans laquelle un intellectuel urbain (Dustin Hoffman) est confronté à des campagnards rugueux et envahissants. Il faut d’ailleurs souligner ici que Peckinpah a écrit le scénario des Chiens de paille (adapté d’un roman de Gordon M. Williams) en s’inspirant de The Territorial Imperative, un essai de Robert Ardrey dépeignant l’homme comme un carnivore luttant instinctivement pour le contrôle d’un territoire
(source : Les Chiens de Paille – Production, sur Wikipédia) ; or la colère des cajuns dans Sans retour repose précisément sur une logique de territoire (We live back in here. This is our home and nobody don’t fuck with us
, déclame le trappeur interprété par Brion James).
Comme mentionné plus haut, Walter Hill se concentre particulièrement sur les réactions de chaque soldat, livrant ainsi une convaincante étude de caractères. Conformément à ce parti pris, il utilise les scènes d’action non pas uniquement pour rythmer le film mais également pour affiner la caractérisation des personnages, ces derniers révélant, au cours de ces séquences, des facettes de leur tempérament et de leur personnalité (à l’image du raid suicidaire du sergent Casper, révélateur de sa frustration et de son impuissance).
Mais c’est lors d’un final tendu comme l’arc de Burt Reynolds dans Délivrance que le film trouve son expression la plus puissante ; la tension atteignant, dans un dernier quart d’heure magistralement monté, un paroxysme hypnotisant.
Servi par des "gueules" du cinéma américain (Peter Coyote, Keith Carradine, Powers Boothe, Fred Ward et Brion James, le redoutable Leon dans Blade Runner), des décors naturels brillamment photographiés par Andrew Laszlo (déjà chef opérateur sur Les Guerriers de la nuit) et par la partition de Ry Cooder (qui signera trois ans plus tard la BO de Paris Texas), Sans retour méritait mieux que l'accueil indifférent qui lui fut réservé à sa sortie. Heureusement, des spectateurs et des critiques enthousiastes ont depuis sorti cette pépite des marécages, lui donnant une place de choix parmi les meilleurs survival de l'histoire du cinéma.
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