Film de John Flynn
Année de sortie : 1977
Pays : États-Unis
Scénario : Paul Schrader et Heywood Gould, d’après une histoire de Paul Schrader
Photographie : Jordan Cronenweth
Montage : Frank P. Keller
Musique : Barry De Vorzon
Avec : William Devane, Tommy Lee Jones, Linda Haynes, James Best, Luke Askew
Candy: What the fuck are you doing?
Johnny: I’m gonna kill a bunch of people.
Largement ignoré lors de sa sortie en France en 1977 – mais tout aussi largement réhabilité depuis -, Rolling Thunder est un film sombre et percutant, hanté par la violence du Vietnam.
Synopsis du film
Années 70, aux États-Unis. Le Major Charles Rane (William Devane) et le Caporal Johnny Vohden (Tommy Lee Jones) rentrent au Texas après une longue détention dans une prison tenue par des soldats Viet-Cong. Tous deux retrouvent leur proches et sont accueillis par une foule enthousiaste.
Mais Rane est poursuivi par le souvenir des tortures qu’on lui a quotidiennement infligées en prison, tandis que pour ne rien arranger, son épouse Janet (Lisa Richards) – avec qui il a eu un enfant – lui apprend qu’elle a l’intention de divorcer pour épouser Cliff (Lawrason Driscoll), un policier.
Un jour, Rane rentre chez lui et tombe sur une bande de malfrats. Ils convoitent la somme d’argent qu’une association locale a offerte au Major…
Critique de Rolling Thunder (Légitime violence)
Linda Forchet: Why do I always get stuck with crazy men?
Major Charles Rane: ‘Cause that’s the only kind that’s left.
Un film méconnu des 70s
Il n’y a guère plus de trois ou quatre ans, les occurrences du titre Rolling Thunder (Légitime violence en France) se sont mises à augmenter nettement sur les sites de cinéma et dans la presse écrite. Le film était présenté alors comme une pièce à la fois précieuse et méconnue du cinéma américain des années 70 – une décennie dont peu de cinéphiles contestent la richesse assez inouïe (toute découverte potentielle concernant cette période suscite de fait une curiosité immédiate). Les articles consacrés au film mentionnaient fréquemment l’admiration que Quentin Tarantino lui voue, admiration qui le poussa même à se prosterner devant Lawrence Gordon, le producteur de Rolling Thunder, lors d’une cérémonie des Oscars. Il arrive parfois que les pépites déterrées sur le tard soient encensées davantage en raison de leur rareté – qui les enveloppe d’une aura mystérieuse et donne à leurs défenseurs des airs de connaisseurs pointus – que de leurs qualités intrinsèques, quelque peu surestimées. Dans le cas de Rolling Thunder, l’enthousiasme qu’il suscita récemment (bien que des amateurs encensaient le film depuis longtemps) est fondé – nous allons voir en quoi.
La génèse de Rolling Thunder
Au début des années 70, alors que la guerre du Vietnam bat son plein, Paul Schrader – qui ne tarderait pas à connaître la consécration avec Taxi Driver (Palme d’Or 76, et un classique absolu du cinéma) – rédige plusieurs scénarios, dont un premier jet de Rolling Thunder. Si ce titre initial a été conservé par la suite, le travail de Schrader a été toutefois en partie remanié par le scénariste Heywood Gould. Par exemple, le Major Charles Rane, prototype du texan violent et raciste dans la version de Schrader, est nettement plus nuancé dans celle de Gould, tandis que les personnages secondaires sont plus étoffés et que la fameuse séquence finale est moins radicale que celle imaginée par Schrader.
Ces traits d’humanité et ces nuances d’écriture ne font pas pour autant de Rolling Thunder une œuvre aimable et aseptisée, loin s’en faut – on peut même considérer, c’est du moins l’avis du journaliste et écrivain Philippe Garnier (qui a consulté le script original de Schrader), que la contribution de Gould a amélioré le matériau de base. Le film de John Flynn (qui fut préféré à Schrader pour la réalisation) est en tous cas dur, sombre, amer, de ceux qu’un cinéaste comme Sam Peckinpah – l’un des piliers du Nouvel Hollywood – n’aurait peut-être pas rechigné à tourner.
Je te regarde mais je suis mort…
Le titre du film annonce la couleur : Rolling Thunder est en effet le nom d’une campagne de bombardements menée, entre 65 et 68, par l’armée américaine et ses alliés au Vietnam. Et le film n’est guère une célébration patriotique de cette violence militaire, mais plutôt l’illustration de ses conséquences et répercussions, en particulier sur le plan psychologique.
Les deux vétérans interprétés par William Devane et un tout jeune Tommy Lee Jones sont en effet rongés, habités par la violence qu’ils ont connue à la guerre et par les sévices subis dans un camp de prisonniers. Charles Rane (Devane) parle de lui-même comme d’un mort-vivant (It’s like my eyes are open and I’m looking at you but I’m dead
) et est particulièrement avare de paroles. Johnny Vohden (Jones) semble quant à lui s’ennuyer terriblement dans la vie familiale qu’il retrouve à son retour du Vietnam ; son épouse, et les conversations des autres membres de sa famille, ne lui inspirent de toute évidence qu’une profonde indifférence.
Très intelligemment, la réalisation et le rythme du film reflètent le décalage entre ces deux hommes pour le moins « entamés » et leur environnement. En dehors des scènes d’action, spectaculaires mais plutôt rares, Rolling Thunder dégage ainsi une atmosphère sourde, qui rend palpable la distance infranchissable séparant Rane et Vohden du reste du monde. Cette cohérence entre la forme et le fond nous révèle qu’on est là face à autre chose qu’un « simple » film d’action (ou d’exploitation), malgré le budget restreint de l’œuvre (moins d’un million de dollars de l’époque) et son ancrage assumé dans le cinéma de genre (et plus précisément dans le sous-genre appelé revenge movie).
La violence est en quelques sortes le principal sujet du film – elle en est le moteur déréglé et entêtant, en quelques sortes. Et pour cause : elle seule fait sortir Rane et Vohden de leur torpeur – la guerre l’a même si profondément ancrée en eux qu’ils en viennent presque à l’aimer (you learn to love the rope
, comme le dit Rane en évoquant la manière dont il est parvenu à supporter les séances de tortures infligées par les soldats Viet-Cong). Dans tous les cas, ce n’est qu’à travers elle (cette violence) qu’ils parviennent tous deux à exprimer un tant soi peu d’émotions et de vitalité. Un constat bien entendu glacial, même si on ne plaindra guère les tueurs sans scrupules contre lesquels se défoule la rage des deux militaires.
Rolling Thunder illustre ainsi, à sa manière, la violence pathologique et l’état de stress post-traumatique (dans le cas de Rane en particulier) auxquels sont sujets de nombreux vétérans de la guerre. En ce sens, le film porte une dimension critique, toutefois nettement moins claire et explicite que ne le souhaitait Paul Schrader, lequel voulait faire du parcours de Rane la métaphore d’une intervention américaine (au Vietnam) barbare et illégitime. Le film de Flynn n’articule pas de propos politique aussi affirmé ; en revanche, il interpelle la conscience du spectateur en l’exposant à une déferlante de brutalité qui, comme chez Sam Peckinpah, ne règle sinon rien, du moins pas grand chose.
La violence dans Rolling Thunder est en effet l’expression du chaos, du désordre. Elle ne fait pas avancer les personnages, encore moins l’humanité ; au contraire, elle est l’illustration de leurs impasses perpétuelles et maladives. Sur le plan formel, la réalisation de John Flynn lui donne une énergie saisissante, fiévreuse, bouillonnante. La fusillade finale – sur laquelle Tarantino ne tarit pas d’éloges – est magistralement filmée et découpée. Mais on aurait tort de négliger les autres scènes du film : c’est parce que le metteur en scène a pris soin de développer les scènes d’intimité et de soigner la mise en place que, par effet de contraste, les séquences d’action fonctionnent aussi bien. On louera au passage les précieuses contributions du monteur Frank P. Keller (récompensé pour son travail remarquable sur Bullitt) et du chef opérateur Jordan Cronenweth, à qui l’on doit entre autres la magnifique photo de Blade Runner (1982) mais aussi celle de Cutter’s Way (1981).
Côté interprétation, William Devane, Tommy Lee Jones et Linda Haynes livrent des compositions admirables, tandis que les seconds rôles sont portés entre autres par Luke Askew (Luke la main froide ; Pat Garrett et Billy the Kid), James Best (Le Gaucher ; Shock Corridor) et James Victor (vu notamment chez John Cassavetes).
Anecdotes
Rolling Thunder connut un parcours tortueux et faillit même ne jamais être distribué. Après une première projection test calamiteuse, où les spectateurs réagirent très mal à un plan particulièrement violent, la Fox se désolidarisa du projet, à moins que des changements drastiques ne fussent appliqués au montage et même au scénario. Le producteur Lawrence Gordon, grande figure du cinéma américain, était conscient que ces changements allaient détruire le film. Il proposa donc à Sam Arkoff – son ami et ancien patron chez AIP (American International Pictures) – de racheter Rolling Thunder à la Fox, ce que l’intéressé accepta. Arkoff exigea une nouvelle projection test, et cette fois Gordon insista pour réaliser des coupes concernant la fameuse séquence problématique (sur laquelle nous ne donnerons pas de détails ici). La seconde projection se déroula bien mieux, mais on peut cependant regretter que la scène en question (la plus célèbre du film avec la toute dernière) ait certainement perdu de sa force initiale suite au remontage.
À l’origine, Lawrence Gordon souhaitait que Tommy Lee Jones, qu’il avait repéré dans un film de Roger Corman, interprète le role principal de Rolling Thunder. Mais le studio imposa le choix de William Devane, plus connu à l’époque. Jones hérita donc du rôle de Johnny. Gordon se montra néanmoins satisfait de la performance de Devane, en particulier dans les scènes d’intimité.
Rolling Thunder est un film implacable, de ceux qui parviennent à capturer la violence humaine dans tout ce qu'elle peut avoir d'insensé, d'aliénant et de destructeur. C'est aussi l'un des premiers films à aborder frontalement la question du retour des soldats américains du Vietnam (même si Kazan l'avait déjà fait avec Les Visiteurs), avant le mythique Voyage au bout de l'enfer (1979).
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