Film d’Arthur Penn
Pays : Etats-Unis
Titre original : The Left Handed Gun
Année de sortie : 1958
Scénario : Leslie Stevens
Photographie : J. Peverell Marley
Montage : Folmar Blangsted
Musique : Alexander Courage
Avec : Paul Newman, Lita Milan, John Dehner, Hurd Hatfield, James Congdon, James Best, Colin Keith-Johnston
Dans Le Gaucher, Arthur Penn filme un Billy the Kid évoquant la jeunesse rebelle de l’Amérique des années 50. Un western inégal, mais qui annonça la venue d’un futur grand metteur en scène et offrit un rôle important au tout jeune Paul Newman, lequel sera nominé l’année suivante aux Oscars pour La Chatte sur un toit brûlant.
Synopsis de Le Gaucher
Tandis qu’il erre seul et fatigué, le jeune William Bonney (Paul Newman) est recueilli par l’éleveur John Tunstall (Colin Keith-Johnston), qui l’embauche aussitôt. Bonney se lie d’affection avec son nouvel employeur, qui le prend sous son aile et le sensibilise à la lecture.
Malheureusement, Tunstall est froidement abattu par le shérif local et des éleveurs concurrents. Bonney se jure de le venger et le jour de son enterrement, il abat deux de ses meurtriers en pleine rue. Blessé lors de la traque qui s’ensuit, Bonney se réfugie dans un village du Nouveau Mexique, où il retrouve entre autres son ami Pat Garrett (John Dehner). Quelques temps après, le gouverneur du Nouveau Mexique, Lee Wallace, proclame une amnistie.
Mais Bonney est bien décidé à abattre les deux autres individus qui étaient présents lors de l’assassinat de Tunstall. Peu à peu, le parcours sanglant du jeune homme va le rendre célèbre sous le nom de Billy the Kid
…
Critique du film
Si Le Gaucher fut un échec commercial aux États-Unis lors de sa sortie (1958), il a été plutôt bien accueilli par la critique française, dominée alors par les figures emblématiques de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard, Chabrol, etc.). A la vue de ce long métrage, ce n’est pas très étonnant : bien que n’ayant pas très bien résisté au passage du temps, le tout premier film d’Arthur Penn était à plusieurs égards plutôt moderne pour son temps, et abordait le western sous un angle relativement inhabituel – un parti pris qui avait toutes les chances de séduire les plumes des Cahiers du cinéma de l’époque, plutôt friands d’innovation en tous genres. D’un certain point de vue, ils ont d’ailleurs été bien inspirés : après tout, Arthur Penn allait bientôt, en apportant une contribution majeure à l’essor du Nouvel Hollywood (notamment avec Bonnie and Clyde), devenir l’un des cinéastes les plus importants de sa génération ; et si Le Gaucher n’est évidemment pas son meilleur film, sa patte y est déjà perceptible, notamment lors de certains plans sur lesquels nous reviendrons.
L’histoire s’articule autour d’une légende de l’ouest américain, à savoir William Bonney, dit Billy the Kid. Ce gunman et hors-la-loi, abattu en 1881 (à l’âge de 21 ans) par Pat Garrett, avait déjà inspiré pas moins de 9 longs métrages avant la sortie du Gaucher. Le scénario est l’œuvre de Leslie Stevens, connu surtout pour avoir créé la version originale de la série Au-delà du réel dans les années 60, et accessoirement pour avoir tourné l’un des seuls longs métrages (Incubus, sorti en 1966) avec des dialogues écrits entièrement en Esperanto (la langue internationale la plus répandue dans le monde). Sous la plume de Stevens, Billy the Kid devient un jeune homme rebelle, sauvage, sensuel et romantique, qui évoque davantage James Dean ou un Elvis ayant mal tourné que le célèbre bandit américain. Le parallèle est d’autant plus évident que c’est le tout jeune Paul Newman, et sa gueule d’ange, qui lui prête ses traits.
Le personnage renvoie ainsi au contexte de l’époque (les années 50), marqué notamment par l’émergence du rock ‘n’ roll et par un esprit contestataire qui allait, dans la décennie suivante, prendre une ampleur phénoménale. Dans le film, la lutte de William-Billy contre les assassins de son employeur John Tunstall (un personnage authentique, comme la plupart de ceux qui figurent dans le scénario) fait écho à celle, encore à l’état d’esquisse, d’une certaine jeunesse américaine des fifties. L’autorité et le pouvoir sont montrés sous un jour critique, puisque le shérif est un assassin. Pat Garrett, quant à lui, incarne (toujours selon l’approche de Leslie Stevens) la figure paternelle rassurante, le bon côté de l’Amérique. Notons que 15 ans plus tard, Sam Peckinpah et le scénariste Rudy Wurlitzer feront également, dans le très beau Pat Garrett et Billy the Kid, résonner l’histoire ancienne au cœur du présent, avec notamment un casting incluant deux figures de la contre culture américaine des années 60-70 (Bob Dylan et Kris Kristofferson). C’est d’ailleurs, il faut le reconnaître, une démarche commune à bien des films plus ou moins historique : il n’est pas rare que l’auteur cherche, derrière les costumes et accessoires d’époque, à illustrer des problématiques contemporaines.
Newman campe donc ici, avec le talent et la (belle) présence qu’on lui connait, un adolescent en manque de repères, qui cherche des pères un peu partout (Tunstall, puis Pat Garrett), et drague fougueusement les belles mexicaines. Si l’on remet le film dans son contexte, c’est un parti pris qui a du sens, même si aujourd’hui la construction dramatique semble un peu simpliste. Le scénario de Leslie Stevens, loin d’être dépourvu de qualités, n’a en effet pas la profondeur de celui que signera plus tard Rudy Wurlitzer pour le film précité de Sam Peckinpah – les personnages qui gravitent autour du Kid n’ont pas une grande épaisseur, tandis que le contexte historique peine à prendre vie à l’écran. Le conflit de Pat Garrett, qui finit par se dresser sur la route de son jeune ami, est certes traité mais de manière relativement superficielle (il sera au cœur du film de Peckinpah). La prestation très convaincante de l’acteur John Dehner contribue néanmoins à en faire l’un des personnages les plus intéressants du film.
Le Gaucher se suit toutefois sans déplaisir, et surtout c’est un film dans lequel on perçoit (et c’est peut-être ce qui avait interpellé la critique française, bien qu’elle ne pouvait prévoir ce qui suivrait) les prémices de plusieurs éléments qui allaient marquer le cinéma américain des années 60-70 ; notamment la remise en cause du pouvoir par une jeunesse de moins en moins dupe (même si le film reste assez sage dans sa conclusion), ainsi qu’une approche plus frontale de la violence – et Arthur Penn allait précisément se distinguer dans ce registre (voir le lynchage de Marlon Brando dans La Poursuite impitoyable et les fusillades sanglantes de Bonnie and Clyde). Le Gaucher n’est certes pas plus violent que d’autres westerns des années 50, mais il y a une séquence révélatrice de ce que le cinéaste (qui pour une première réalisation livre d’ailleurs ici un travail rigoureux, auquel la tenue du film doit beaucoup) allait faire par la suite : celle où Billy the Kid abat froidement le shérif Bob Ollinger (Denver Pyle). Le plan serré sur le corps secoué par l’impact de balle, monté au ralenti (un effet alors assez rarement utilisé), annonce la violence graphique de Bonnie and Clyde. Le plan évoque également le style que Sam Peckinpah adoptera dès La Horde sauvage, avec ses célèbres ralentis montrant les corps tombant sous les balles ; d’ailleurs, Bloody Sam tournera plus tard la même scène (l’assassinat d’Ollinger par le Kid) dans Pat Garrett et Billy the Kid. Peut-être (sans doute) songeait-il alors au Gaucher…

La mort du shérif Bob Ollinger (Denver Pyle) dans « Le Gaucher ». Un plan révélateur de ce qu’Arthur Penn fera dans plusieurs de ses films suivants (au niveau du traitement visuel de la violence), et qui évoque également le style que Sam Peckinpah développera à partir des années 60.
Le Gaucher est un western dont le sous-texte renvoie à l'Amérique des années 50 et à ses figures rebelles. Il annonce discrètement des changements importants dans le cinéma américain, et notamment l'émergence d'une future figure du Nouvel Hollywood (Arthur Penn), sans être néanmoins aussi solide que d'autres westerns de l'époque (L'Homme de l'Ouest ; La Chevauchée des bannis), ni aussi puissants et maîtrisés que les films que Penn signera par la suite.
Aucun commentaire