Film d’Arthur Penn
Titre original : The Chase
Année de sortie : 1966
Pays : États-Unis
Scénario : Lillian Hellman, d’après l’œuvre de Horton Foote
Photographie : Joseph LaShelle et Robert Surtees
Montage : Gene Milford
Musique : John Barry
Avec : Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford, Robert Duvall, Janice Rule, E. G. Marshall.
DAMON : Good to see you patrolling.
SHERIFF CALDER : I’m not patrolling, I was just looking for an ice-cream cone.
LEM : Taxes on this town pay your salary, Calder, to protect the place.
SHERIFF CALDER : Well, if anything happens to you, Lem, we’ll give you a refund.
Avec La Poursuite impitoyable, Arthur Penn signe un film puissant et désabusé. Le traitement de la violence et la peinture sans concessions d’une Amérique en partie décadente préfigurent ici le grand renouveau du cinéma américain (à partir de la fin des années 60 et pendant toute la décennie 70), auquel Penn – comme Peckinpah, Coppola, Cimino, Friedkin et bien d’autres – a largement contribué, et dont il a d’ailleurs signé l’un des actes fondateurs avec son film Bonnie and Clyde (1967), réalisé juste après La Poursuite impitoyable.
Synopsis de La Poursuite impitoyable
Bobby Reeves (Robert Redford) s’évade de prison quelques mois avant sa libération. Tentant de rejoindre le Mexique en train, il se trompe de direction et se retrouve précisément dans la ville dont il est originaire, au Texas.
Dès lors, plusieurs personnes cherchent à le retrouver, pour des raisons distinctes : sa femme Anna (Jane Fonda) et Jake (James Fox), l’amant de cette dernière (également ami d’enfance de Bobby) ; Val Rodgers (E. G. Marshall), propriétaire richissime et père de Jake, qui pense que l’évadé va vouloir se venger de son fils ; plusieurs hommes armés qui s’érigent en justiciers locaux ; et enfin le shériff Calder (Marlon Brando) qui souhaite arrêter Bobby pour le protéger du pire.
Au cours d’une nuit longue et mouvementée, tous vont chercher à mettre la main sur le fugitif…
Critique du film
La Poursuite impitoyable, l’un des prémices du Nouvel Hollywood
La Poursuite Impitoyable est un film particulièrement intéressant car il se situe à la lisière d’un cinéma hollywoodien relativement « classique » (la structure et les dialogues du film demeurent plus conventionnels – ce qui ne constitue en rien un point négatif – que dans les films qu’Arthur Penn réalisera ultérieurement) et du Nouvel Hollywood.
D’un point de vue purement visuel, La Poursuite Impitoyable annonce les effusions de sang de Bonnie and Clyde, du même Arthur Penn (Night Moves ; The Missouri Breaks), qui fera date dans le traitement cinématographique de la violence. Sans aller aussi loin, La Poursuite Impitoyable comporte une scène de lynchage particulièrement saisissante, sur laquelle nous reviendrons car elle a un sens bien particulier.
Sur le fond, le film livre une critique sociale acide, en même temps qu’il pose un regard profondément désabusé sur l’Amérique (une certaine Amérique, pour être plus précis). Cette dimension critique le rapproche également du Nouvel Hollywood, les films associés à ce mouvement ayant fréquemment questionné l’Amérique et ses valeurs, de façon plus ou moins explicite. La Poursuite impitoyable met ainsi en scène des texans racistes, stupides, débauchés (la moitié de la ville est ivre morte), cyniques (comme Val Rodgers, riche exploitant pour qui tout s’achète, y compris l’intégrité du shérif campé par Brando). Le film évite cependant intelligemment la caricature et le manichéisme : le richissime Val possède, lui aussi, sa part d’humanité, et bénéficie d’un traitement nuancé.
Pour les habitants de la ville dans laquelle se déroule la majeure partie de l’action, l’évasion d’un homme est l’attraction du samedi soir, au point qu’ils vont tous finir par exercer un effet (néfaste) sur le déroulement des événements. Ce phénomène de dérive collective est particulièrement flagrante dans l’une des dernières scènes de La Poursuite impitoyable, où la vindicte populaire balaie l’ordre social et la justice (incarnée dans le film par le shérif Calder). Cette séquence chaotique comporte de nombreux plans significatifs, dont celui montrant la silhouette de Jane Fonda se découper sur un gigantesque amas de voitures en flammes ; ou encore ce plan montrant un pneu incendié dégringolant dans le vide, symbole d’une Amérique en roue libre qui se précipite aveuglément vers sa propre perte.
Le propos de La Poursuite impitoyable est d’une noirceur totale : pratiquement tous les habitants de la ville sont des abrutis – armés de surcroît – et les valeurs principales sont l’argent et le pouvoir. Les quelques personnages qui sortent du lot ne peuvent, face à une écrasante majorité d’irresponsables, influer véritablement sur le cours (tragique) des événements, dont il émane une impression grandissante d’impuissance et de fatalité.
Le lynchage de Brando : l’Amérique face à sa mauvaise conscience
Marlon Brando interprète (avec une prestance assez extraordinaire) le shérif Calder, sans doute le personnage le plus lucide du film et qui est de fait consterné, du début à la fin, par l’attitude de la majeure partie de son entourage. Il représente, par excellence, la justice, la tolérance et l’intégrité.
Au cours d’une scène devenue célèbre, Calder se fait lyncher par trois hommes dans son propre bureau. Ceux-ci le laissent presque inconscient et défiguré par les coups. On suit alors Brando, la démarche incertaine et presque méconnaissable, sortir du poste de police, s’écrouler puis se relever et fixer une foule immobile qui le scrute également.
La scène, assez violente pour l’époque et qui aujourd’hui étonne encore par son intensité, présente une dimension symbolique : ces gens immobiles qui ne prennent pas parti (ils ne participent pas au lynchage mais aucun ne cherche à aider le shérif), c’est l’Amérique face à sa mauvaise conscience. Le visage tuméfié, déformé de Brando est le reflet cauchemardesque d’une violence qui – auparavant dissimulée ou édulcorée (dans la plupart des productions hollywoodiennes plus classiques) – apparaît soudain au grand jour ; mais elle ne suscite qu’un voyeurisme passif, de l’indifférence ou tout au plus de la perplexité chez les personnes qui y assistent. C’est donc une séquence qui, de par sa volonté d’exposer la violence sans détours, représente très bien la démarche d’Arthur Penn en tant que cinéaste, et aussi sa vision critique d’une partie de la société américaine.
La Poursuite impitoyable est sans espoir : sa conclusion est l’une des plus noires du cinéma américain de l’époque. L’Amérique dépeinte dans le film demeure embourbée dans ses travers et la mort, la fuite ou la solitude représentent le seul « avenir » des rares personnages dotés d’un peu d’intelligence et de morale.
Un chef d’œuvre d’une amère lucidité, servi par un casting prestigieux qui réunit Marlon Brando (Reflets dans un œil d’or, The Missouri Breaks) dans l’un de ses plus grands rôles, la superbe Jane Fonda, Robert Redford (Butch Cassidy et le Kid, Les Trois jours du Condor), Robert Duvall et Janice Rule (The Swimmer).
Par son regard critique sur la société et sa violence graphique, La Poursuite impitoyable annonce clairement l'émergence du Nouvel Hollywood. Un grand classique du cinéma américain des années 60, servi par un casting de haute volée.
10 commentaires
…
Ce monde est décidément bien trop cruyel.
Bien joué petit
c’est le meilleur de tout les temps je ne peux mieux dire il a métamorphose le cinema il est plus que naturel dans ces rôles ah ce marlon brando
Éclairé par le père de Bruce Surtees.
Aprés avoir vu le film et parcouru les critiques : Oui, c’est un film américain , les acteurs sont américains, le réalisateur aussi. C’est un western . Il se déroule dans le sud esclavagiste . Certes! mais il atteint à l’universel . La lâcheté ,la bêtise ,le racisme, la violence,le déchaînement des foules,le pouvoir, l’argent sont de tous les lieux et de tous les temps. La biture, l’échangisme ne sont pas made in USA. En 1966 l’Amérique n’est pas marquée au fer rouge de l’indignité :la preuve aujourd’hui où elle est plus puissante que jamais avec la MSA. Avons nous des leçons à donner sur toutes ces exactions américaines nous l’ Europe de la Solution finale !!!
Vous avez raison de souligner la dimension « universelle » du propos, mais vous vous méprenez totalement si vous voyez dans cet article la moindre condescendance vis-à-vis des États-Unis ou un côté donneur de leçon ! Quand on écrit à propos d’un film tel que celui-ci, il est difficile de ne pas le contextualiser, tant l’histoire est profondément ancrée dans une culture et une époque précises. Oui, Arthur Penn jette un regard sur une certaine Amérique dans ce film, c’est une évidence, tout comme Yves Boisset chronique une certaine France dans « Dupont Lajoie » ; ces deux films dénoncent des travers qui effectivement n’ont pas de frontières, mais ils ont également un propos plus spécifique sur une société, un milieu culturel. Ne pas évoquer cet aspect reviendrait à dire à peu près la même chose d’une multitude de films et l’exercice serait aussi lassant pour l’auteur que pour les lecteurs !
Je viens de voir ce film et je suis arrivé à votre critique très juste. Étrange période du cinéma américain. Deux choses que j’ai relevées: la ferraille, le cimetière de la bagnole, emblème des US. La seconde, c’est ce personnage qui traverse le film comme il traverse la ville, le petit vieux en blanc qui semble être la figure de la neutralité, de la sagesse et/ou de la moralité du bon sens — et qui ne dit rien quand Calder est mis au carreau. On le revoit quelques minutes plus tard, en flou, en vision subjective, à travers le regard du shérif, dissimulé dans la foule.
Film puissant qui préfigure — qui signe — le Nouvel Hollywood. Peckinpah a dû le manger et remanger. Petite chose: j’ai lu ici et là que le producteur l’avait massacré. Quelqu’un en sait-il plus?
PS: non, ce n’est pas un film contre les States. Et citer Dupont-Lajoie est adéquat.
Je ne pense pas que l’on puisse parler de « massacre » par la production, mais il est vrai qu’Arthur Penn a souvent exprimé sa désapprobation vis-à-vis du montage final. Ce désaccord portait notamment sur le choix des prises retenues au montage ; Penn cite notamment des prises où Brando aurait effectué des improvisations remarquables, et dont il considère la perte comme l’une des pires déceptions de sa carrière (Arthur Penn’s American Agonia: THE CHASE
). Source :Ce film vu sur ARTE est prodigieux, il est très significatif de cette période des USA : cette ville du Texas repliée sur elle même et toujours en conflit avec le Nord : la scène quand le Noir est pris à partie par les trois « blancs » lorsqu’il se promène sur le trottoir.
Le jeu d’acteur est superbe : Brando, Redford, Jane FONDA, Robert DUVALL.
Ce film qui passe et repasse sur nos écrans est magnifique. Brando creve toujours l’écran
par sa séduction, son charisme. Le thème est vu et revu, on s’y laisse toujours prendre. Fonda,
Redford, tous de très grands acteurs. Beau cinéma des années 60. A voir et à revoir !!!