Film d’Arthur Penn
Titre original : The Chase
Année de sortie : 1966
Pays : États-Unis
Scénario : Lillian Hellman, d’après l’œuvre de Horton Foote
Photographie : Joseph LaShelle et Robert Surtees
Montage : Gene Milford
Musique : John Barry
Avec : Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford, Robert Duvall, Janice Rule, E. G. Marshall.
DAMON : Good to see you patrolling.
SHERIFF CALDER : I’m not patrolling, I was just looking for an ice-cream cone.
LEM : Taxes on this town pay your salary, Calder, to protect the place.
SHERIFF CALDER : Well, if anything happens to you, Lem, we’ll give you a refund.
Avec La Poursuite impitoyable, Arthur Penn dresse le portrait d’une Amérique texane minée par le racisme, la bêtise, l’ignorance et la violence. Le film préfigure, à certains égards, le Nouvel Hollywood, dont Penn signera l’acte de naissance l’année suivante avec Bonnie and Clyde.
Synopsis de La Poursuite impitoyable
Bobby Reeves (Robert Redford) s’évade de prison quelques mois avant sa libération. Tentant de rejoindre le Mexique en train, il se trompe de direction et se retrouve précisément dans la petite ville dont il est originaire, dans l’État du Texas.
Dès lors, plusieurs personnes cherchent à le retrouver, pour des raisons distinctes : sa femme Anna (Jane Fonda) et Jake (James Fox), l’amant de cette dernière (également ami d’enfance de Bobby) ; Val Rodgers (E. G. Marshall), propriétaire richissime et père de Jake, qui pense que l’évadé va vouloir se venger de son fils ; plusieurs hommes armés qui s’érigent en justiciers locaux ; et enfin le shériff Calder (Marlon Brando), qui souhaite arrêter Bobby pour le protéger du pire.
Au cours d’une nuit longue et mouvementée, tous vont chercher à mettre la main sur le fugitif…
Critique du film
La Poursuite impitoyable, l’un des prémices du Nouvel Hollywood
L’une des particularités de La Poursuite Impitoyable est que le film se situe à la lisière d’un cinéma hollywoodien relativement « classique » (la structure et les dialogues du film demeurent plus conventionnels – ce qui ne constitue en rien un point négatif – que dans les films qu’Arthur Penn réalisera ultérieurement) et du Nouvel Hollywood.

D’un point de vue graphique, La Poursuite Impitoyable annonce les effusions de sang de Bonnie and Clyde, du même réalisateur, considéré à juste titre comme le principal acte fondateur du renouveau du cinéma américain et qui sortira un an plus tard (Serge Gainsbourg en tirera une célèbre chanson).

Sur le fond, La Poursuite Impitoyable s’affirme comme une critique sociale acide. Le film pose un regard désabusé sur une société américaine tout juste sortie de la ségrégation raciale. Cette dimension critique le rapproche également du Nouvel Hollywood, les films associés à ce mouvement ayant fréquemment questionné l’Amérique et ses valeurs, de façon plus ou moins explicite.
La Poursuite impitoyable met en scène des texans majoritairement racistes, stupides, débauchés (la moitié de la ville est ivre morte), incultes, cyniques ou tout cela à la fois. Le film évite cependant la caricature et le manichéisme ; par exemple, le richissime Val Rodgers (E. G. Marshall) bénéficie d’un traitement plutôt nuancé.

Pour les habitants de la petite ville dans laquelle se déroule la majeure partie de l’action, l’évasion d’un homme est l’attraction du samedi soir, au point qu’ils vont tous finir par exercer un effet (néfaste) sur le déroulement des événements.
Ce phénomène de dérive collective (on pourrait parler d’effet de groupe) est particulièrement flagrante dans l’une des dernières scènes de La Poursuite impitoyable, où la vindicte populaire balaie l’ordre social et la justice officielle (incarnée dans le film par le shérif Calder). Cette séquence chaotique comporte de nombreux plans significatifs, dont celui montrant la silhouette de Jane Fonda se découper sur un gigantesque amas de voitures en flammes. On citera également l’image d’un pneu incendié dégringolant dans le vide, symbole d’une société en roue libre.

Si cette société est en l’occurrence américaine, et si le récit comporte des éléments spécifiques qui l’inscrivent dans un cadre social et historique précis (la ségrégation raciale aux USA, qui était en train d’être abolie), La Poursuite impitoyable décrit une violence collective dont le fonctionnement n’est pas particulièrement typique de la société américaine. D’une certaine manière, le film illustre les impacts néfastes de l’ignorance (Calder le répète souvent : personne ne prend le temps de lire un livre autour de lui), du racisme, de l’effet de groupe, autant de réalités présentes dans d’autres sociétés. Il s’agit donc à la fois d’un film décrivant un contexte sociologique et historique précis, et ayant une portée plus vaste, dépassant largement les frontières texanes et états-uniennes.
Le lynchage de Brando : une scène saisissante
Marlon Brando interprète le shérif Calder, sans doute le personnage le plus lucide du film et qui est de fait consterné, du début à la fin, par l’attitude de la majeure partie de ses concitoyens. Il représente la justice, la tolérance et l’intégrité.
Au cours d’une scène devenue célèbre, Calder se fait frapper par trois hommes dans son propre bureau. Ceux-ci le laissent presque inconscient et défiguré par les coups. La caméra montre alors Brando, la démarche incertaine et presque méconnaissable, sortir du poste de police, s’écrouler puis se relever et fixer une foule immobile qui le scrute en silence.
La scène, assez violente pour l’époque et qui aujourd’hui étonne encore par son intensité, présente une dimension symbolique : ces gens passifs qui ne prennent pas parti (ils ne participent pas au lynchage mais aucun ne cherche à aider le shérif), c’est la société face à sa mauvaise conscience. Le visage tuméfié, déformé de Brando est le reflet cauchemardesque d’une violence qui apparaît soudain au grand jour – mais elle ne suscite qu’un voyeurisme passif, de l’indifférence ou tout au plus de la perplexité chez les personnes qui y assistent.
C’est donc une séquence qui, de par sa volonté d’exposer la violence sans détours, représente très bien la démarche d’Arthur Penn et plus globalement, le traitement de la violence par les auteurs du Nouvel Hollywood.
Sans illusions
La Poursuite impitoyable est sans espoir : sa conclusion est l’une des plus noires du cinéma américain de l’époque. L’Amérique dépeinte dans le film demeure embourbée dans ses travers et la mort, la fuite ou la solitude représentent la seule issue des rares personnages dotés d’un peu d’intelligence et de morale.
Un grand film désabusé, servi par un casting prestigieux qui réunit Marlon Brando (Reflets dans un œil d’or ; The Missouri Breaks) dans l’un de ses plus grands rôles, la superbe Jane Fonda, Robert Redford (Butch Cassidy et le Kid, Les Trois jours du Condor), Robert Duvall (Le Parrain, Apocalypse Now) et Janice Rule (The Swimmer). On soulignera également la qualité de la bande originale de John Barry, illustre compositeur de musiques de films.
La Poursuite impitoyable est une œuvre amère et lucide sur la violence et la bêtise collectives, qui annonçait l'arrivée du Nouvel Hollywood. L'un des grands films du cinéma américain des années 60, ce qui n'est pas peu dire...
10 commentaires
…
Ce monde est décidément bien trop cruyel.
Bien joué petit
c’est le meilleur de tout les temps je ne peux mieux dire il a métamorphose le cinema il est plus que naturel dans ces rôles ah ce marlon brando
Éclairé par le père de Bruce Surtees.
Aprés avoir vu le film et parcouru les critiques : Oui, c’est un film américain , les acteurs sont américains, le réalisateur aussi. C’est un western . Il se déroule dans le sud esclavagiste . Certes! mais il atteint à l’universel . La lâcheté ,la bêtise ,le racisme, la violence,le déchaînement des foules,le pouvoir, l’argent sont de tous les lieux et de tous les temps. La biture, l’échangisme ne sont pas made in USA. En 1966 l’Amérique n’est pas marquée au fer rouge de l’indignité :la preuve aujourd’hui où elle est plus puissante que jamais avec la MSA. Avons nous des leçons à donner sur toutes ces exactions américaines nous l’ Europe de la Solution finale !!!
Vous avez raison de souligner la dimension « universelle » du propos, mais vous vous méprenez totalement si vous voyez dans cet article la moindre condescendance vis-à-vis des États-Unis ou un côté donneur de leçon ! Quand on écrit à propos d’un film tel que celui-ci, il est difficile de ne pas le contextualiser, tant l’histoire est profondément ancrée dans une culture et une époque précises. Oui, Arthur Penn jette un regard sur une certaine Amérique dans ce film, c’est une évidence, tout comme Yves Boisset chronique une certaine France dans « Dupont Lajoie » ; ces deux films dénoncent des travers qui effectivement n’ont pas de frontières, mais ils ont également un propos plus spécifique sur une société, un milieu culturel. Ne pas évoquer cet aspect reviendrait à dire à peu près la même chose d’une multitude de films et l’exercice serait aussi lassant pour l’auteur que pour les lecteurs !
Je viens de voir ce film et je suis arrivé à votre critique très juste. Étrange période du cinéma américain. Deux choses que j’ai relevées: la ferraille, le cimetière de la bagnole, emblème des US. La seconde, c’est ce personnage qui traverse le film comme il traverse la ville, le petit vieux en blanc qui semble être la figure de la neutralité, de la sagesse et/ou de la moralité du bon sens — et qui ne dit rien quand Calder est mis au carreau. On le revoit quelques minutes plus tard, en flou, en vision subjective, à travers le regard du shérif, dissimulé dans la foule.
Film puissant qui préfigure — qui signe — le Nouvel Hollywood. Peckinpah a dû le manger et remanger. Petite chose: j’ai lu ici et là que le producteur l’avait massacré. Quelqu’un en sait-il plus?
PS: non, ce n’est pas un film contre les States. Et citer Dupont-Lajoie est adéquat.
Je ne pense pas que l’on puisse parler de « massacre » par la production, mais il est vrai qu’Arthur Penn a souvent exprimé sa désapprobation vis-à-vis du montage final. Ce désaccord portait notamment sur le choix des prises retenues au montage ; Penn cite notamment des prises où Brando aurait effectué des improvisations remarquables, et dont il considère la perte comme l’une des pires déceptions de sa carrière (Arthur Penn’s American Agonia: THE CHASE
). Source :Ce film vu sur ARTE est prodigieux, il est très significatif de cette période des USA : cette ville du Texas repliée sur elle même et toujours en conflit avec le Nord : la scène quand le Noir est pris à partie par les trois « blancs » lorsqu’il se promène sur le trottoir.
Le jeu d’acteur est superbe : Brando, Redford, Jane FONDA, Robert DUVALL.
Ce film qui passe et repasse sur nos écrans est magnifique. Brando creve toujours l’écran
par sa séduction, son charisme. Le thème est vu et revu, on s’y laisse toujours prendre. Fonda,
Redford, tous de très grands acteurs. Beau cinéma des années 60. A voir et à revoir !!!