Film de Frank Perry, Sydney Pollack (non crédité)
Année de sortie : 1968
Pays d’origine : États-Unis
Scénario : Eleanor Perry, d’après une nouvelle de John Cheever
Photographie : David L. Quaid
Montage : Sidney Katz, Carl Lerner et Pat Somerset
Musique : Marvin Hamlisch
Avec : Burt Lancaster, Janice Rule, Janet Landgard.
Shirley Abbott: Would you mind telling me what the hell you’re doing here?
Ned Merrill: I’m swimming home.
Film inédit en France jusqu’à aujourd’hui (il est actuellement visible dans quelques salles de cinéma, sous le titre Le Plongeon), The Swimmer jette un regard critique et amer sur un certain idéal de vie américain, à travers un récit parabolique.
Synopsis de The Swimmer
Par un jour d’automne ensoleillé, dans un quartier riche du Connecticut. Ned Merrill (Burt Lancaster), seulement vêtu d’un maillot de bain, rend visite à de riches amis ; apparemment, ils ne se sont pas vus depuis un moment. Après avoir nagé dans leur piscine, Ned, en survolant du regard la colline environnante, a soudain l’idée de rentrer chez lui en utilisant toutes les piscines se trouvant sur son chemin.
Au fil de ses rencontres, les raisons d’abord obscures de son comportement se dévoilent peu à peu…
Critique du film
Décidément, le cinéma américain des années 60-70, largement influencé par la contre-culture, recèle bien des films aussi brillants que, parfois, largement méconnus. C’est le cas de The Swimmer, dont on a parlé récemment suite à une sortie plus que bienvenue en France, où il était resté inédit depuis 1968.
Basé sur une nouvelle de John Cheever, un écrivain américain très reconnu dans son pays, The Swimmer fut porté à l’écran par Frank Perry (sur un scénario de sa femme Eleanor Perry, laquelle a également écrit celui du Fantôme de Cat Dancing), réalisateur somme toute très peu connu (en France en tous cas), qui tourna également des documentaires et des téléfilms. Pour cause de désaccord, vraisemblablement avec la production, il ne termina pas The Swimmer ; c’est le célèbre metteur en scène Sydney Pollack (Les Trois jours du Condor, Jeremiah Johnson, Out of Africa), alors au début de sa carrière, qui fut engagé pour tourner les scènes manquantes.
La très bonne idée de John Cheever est d’avoir illustré, au travers d’une histoire éminemment symbolique, l’envers du décor d’un certain idéal de vie américain, basé sur l’individualisme et la matérialisme, et s’illustrant par les grandes maisons, les riches propriétés et les piscines bleu clair. Autant de symboles kitchs d’une existence somme toute largement basée sur les apparences, où les rapports humains demeurent superficiels (comme l’illustre cette scène dans laquelle Ned apprend qu’un de ses vieux amis, dont il n’avait jamais pris de nouvelles, est mort), et où il ne se passe pas grand chose de vrai et d’intéressant. Mais c’est la vie qu’a choisi, avec bien d’autres, le héros du film, Ned Merril, dont l’aspect sain et athlétique incarne le stéréotype du parfait américain ; une vie dans laquelle il plonge, littéralement, à travers cette manière plus que déroutante de rentrer chez lui (pénétrer dans les propriétés possédant une piscine, et traverser celle-ci avant de continuer son parcours au pas de course). Rapidement, son périple insensé prend une dimension allégorique, et dessine progressivement une réalité glaciale – il a d’ailleurs de plus en plus froid à mesure qu’il avance (What’s the matter with that sun, there’s no heat in it
). Le film regorge de scènes significatives, comme celle où Ned tente péniblement de traverser une route encombrée de voitures défilant à toute vitesse.
Mais son « exploration », de par son caractère enfantin, représente également cette innocence et cette capacité à s’émerveiller propre à l’enfance que Ned s’évertue à retrouver. Il évoque d’ailleurs avec nostalgie son enfance et les sensations enivrantes qui y sont associées, lors d’une discussion avec une ancienne maitresse – interprétée par la comédienne Janice Rule qui, deux ans plus tôt, avait joué le rôle d’une peste méprisable dans La Poursuite impitoyable, l’un des chefs d’œuvre d’Arthur Penn.

Pool by pool they form a river, on the way to our house
Par son regard acide sur la société capitaliste et ses symboles de réussite, The Swimmer s’inscrit dans le cinéma souvent contestataire et empreint de contre-culture qui déferla sur les écrans américains à partir de la moitié des années 60 – même s’il demeure une œuvre à part qu’on ne peut pas associer totalement au Nouvel Hollywood.
Burt Lancaster trouve dans The Swimmer l’un de ses plus beaux rôles, ce qui n’est pas peu dire quand on connait la filmographie de cet immense comédien (Le Guépard, de Luchino Visconti, 1900, de Bernardo Bertolucci). Il donne une réelle dimension dramatique et pathétique à ce rôle d’homme qui s’attache désespérément à l’image qu’il veut donner de lui-même, image basée sur le stéréotype de l’américain riche, beau, intègre, bon père de famille et bon époux, sportif et viril (la première question qu’il pose à son ex-maitresse à propos de son nouvel amant est On a scale of one to ten, how good is he in bed?
; il déclare également à une inconnue :I’m a very special human being. Noble. And splendid.
). Les personnes qu’il croise dans le film, si certaines sont sympathiques, sont souvent des clichés de bourgeois apathiques, égoïstes, individualistes et ultra matérialistes, à l’image de ce couple vantant les équipements haut de gamme de leur piscine.
Stupéfiante illustration d'un idéal de vie aussi trompeur que superficiel et cruel, The Swimmer nous emmène, au fil des piscines bleutées traversées par Ned Merrill, vers un constat noir et implacable. A découvrir absolument.
6 commentaires
A plusieurs reprises dans le texte, le prénom du personnage qu’incarne Burt Lancaster, est écorché. En effet, vous le nommez Ted, alors qu’il se prénomme Ned.
Cette faute est infime, je le conçois, mais cela entache tellement l’article, pour moi, un fan invétéré de ce chef-d’oeuvre !
Corrigé ! Merci
Je viens de le visionner. Merveilleux film. J’en reste scotché.
D’une grande tristesse. Merci Bertrand.
Je viens de voir LE FILM… et c’est un boulversement dans l’âme et dans l’ésprit – c’est un chef-d’oeuvre !!! En plus Burt Lancaster c’est un de mes acteurs préférés (dans le top 5 :-). Et pour finir… POURQUOI ON NOUS CACHE DES MERVEILLES ???… et depuis 1968 !!!… j’avais 10 ans quand le film est sorti et je l’ai vu par hasard à la tv belge… Merci la TV 🙂
Le nageur des eaux chaudes : Lancaster lui-même, dissimulant son homosexualité dans la piscine hollywoodienne remplie de piranhas, adoubé par Visconti, bouleversant et mis à nu en professeur épris de Berger dans « Violence et Passion ».
Merci pour la critique de ce film inoubliable aux yeux de tous ceux qui ont eu la chance de le voir un jour. Je trouve, quant à moi, très rassurante l’idée qu’il reste ainsi des perles à découvrir dans le cinéma, cet art trop souvent vilipendé par l’argent et les contraintes des producteurs. En tant que réalisateur en herbe, son analyse m’a été d’une aide et d’un soutien magistral.