Film de Sydney Pollack
Titre original : Three Days Of The Condor
Année de sortie : 1975
Pays : États-Unis
Scénario : Lorenzo Semple Jr., David Rayfiel, d’après le roman de James Grady Six Days Of The Condor
Photographie : Owen Roizman
Montage : Don Guidice, Fredric Steinkamp
Musique : Dave Grusin
Avec : Robert Redford, Faye Dunaway, Max von Sydow, Cliff Robertson
Joe Turner: They’ll print it.
Higgins: How do you know?
Efficace, pertinent dans son propos et servi par un casting élégant, Les Trois jours du Condor est une des références du thriller d’espionnage américain des années 70.
Synopsis de Les Trois jours du Condor
Joe Turner (Robert Redford) travaille dans une cellule clandestine de la CIA, à New York. Son emploi consiste à rechercher, au sein des écrits publiés dans le monde entier, aussi bien de nouvelles idées que d’éventuels complots, sens cachés et codes secrets.
Un jour, alors qu’il est parti en pause déjeuner, tous ses collaborateurs sont froidement abattus. Après avoir découvert le massacre, Turner, dont le nom de code est « Condor », contacte sa section dans l’espoir d’être rapidement mis en sécurité. Mais il ne tarde pas à comprendre qu’il ne peut pas se fier à tous les membres de l’organisation.
Paniqué, il kidnappe une inconnue nommée Kathy Hale (Faye Dunaway), et se réfugie chez elle en attendant d’y voir un peu plus clair. À l’aide de sa perspicacité et des connaissances accumulées à travers ses lectures, Turner va tenter de comprendre – et de survivre par la même occasion…
Critique du film
L’activisme de Redford
C’est en lisant le roman de James Grady intitulé Les Six jours du Condor que Robert Redford eut l’idée du film. S’il n’adhérait pas à son dénouement spectaculaire (trop spectaculaire à son goût), ainsi qu’à certains éléments de l’histoire (dans le roman, le héros découvre l’existence d’un trafic de drogue international), l’idée de base l’intéressait et c’est naturellement qu’il en parla à Sydney Pollack, les deux hommes ayant déjà tourné trois films ensemble à l’époque : Propriété interdite, Jeremiah Johnson et Nos plus belles années.

Turner (Robert Redford) : « Not autumn, not winter, in between »
Pollack partagea d’emblée le même avis sur le roman : un important travail de ré-écriture était nécessaire. C’est ainsi qu’ils dépouillèrent l’intrigue de scènes d’action jugées farfelues, redéfinirent les personnages et remplacèrent la drogue par le pétrole – idée de Redford qui déjà à l’époque militait pour les énergies alternatives et était conscient des rapports douteux entre les compagnies pétrolières et le pouvoir politique.

Kathy (Faye Dunaway) : « Sometimes I take a picture that isn’t like me. »
Ces partis pris plutôt osés et pertinents confèrent au film un alliage précieux de lucidité (dans le fond) et de sobriété (dans la forme), qui fait que Les Trois jours du Condor résiste fort bien au passage des années.
Les personnages
Kathy: Sometimes I take a picture that isn’t like me. But I took it so it is like me. It has to be. I put those pictures away.
L’une des qualités du scénario de Lorenzo Semple Jr. et David Rayfiel réside dans la caractérisation assez fine des trois personnages clés que sont Joe Turner (Robert Redford), Kathy Hale (Faye Dunaway) et G. Joubert (Max von Sydow). Entre Turner, cet homme qu’on nous présente dans les premières scènes comme plutôt drôle, sympathique et confiant (en lui et en les autres) mais que les événements poussent à devenir violent et paranoïaque, et Hale, artiste solitaire au bord de la dépression qui finalement s’épanouit à travers ce qu’elle vit aux côtés de son kidnappeur (d’abord sous la contrainte puis de son plein gré), le film nous présente deux personnages principaux qui, en l’espace de trois jours (pour le spectateur, de deux petites heures à peine) évoluent assez radicalement.

Faye Dunaway et Robert Redford
C’est évidemment le caractère exceptionnel de la situation qui créé ce changement, et le film rend très bien compte du basculement d’un quotidien « ordinaire » à un quotidien où le danger, le complot, la méfiance prennent des proportions vertigineuses. Des détails bien sentis rendent crédible le parcours et l’évolution des personnages, à l’image de ce plan furtif montrant le regard effaré de Redford après qu’il ait abattu un homme de deux coups de revolver ; ici, on nous rappelle que Turner reste un homme ordinaire pour qui tuer quelqu’un n’a rien d’habituel ni d’anodin.
G. Joubert est, lui, un professionnel ; et contrairement à Joe Turner et Kathy Hale, il n’évolue pas le moins du monde entre la première et la dernière scène du film. Son personnage est littéralement figé dans une posture cynique, une logique froide et désabusée, non dénuée d’une certaine esthétique (There is no cause. There’s only yourself. The belief is in your own precision
; I don’t interest myself in why. I think more often in terms of when, sometimes where; always how much
).

Max von Sydow et Robert Redford
Max von Sydow – révélé par Ingmar Bergman dans Le Septième Sceau et qui avait déjà à l’époque tourné dans un film d’espionnage (La Lettre du Kremlin) sous la direction de John Huston – apporte au personnage un relief et une prestance indéniables. Joubert est un esthète méthodique, qui accomplit froidement et parfaitement ce qu’il considère comme son « métier », mais sans la moindre cruauté ou sadisme. En témoigne ce regard saisissant qu’il échange avec Janice (Tina Chen), une collègue de Turner, alors qu’elle est sur le point de se faire abattre par l’un de ses complices ; on y sent une humanité et un respect que corroborent ses paroles (Would you move from the window please?
, et surtout le I know
qu’il répond au I won’t scream
de la jeune femme) et cette manière qu’il a de détourner les yeux au moment de l’exécution. Un moment qui en dit long sur le profil nuancé et singulier du personnage.

Joubert (Max von Sydow) : « I know… »
La physionomie atypique, l’élégance naturelle et le jeu subtil de Sydow font que le rôle (que Pollack souhaitait initialement confier à Lino Ventura) s’éloigne radicalement des stéréotypes du genre et apporte une profondeur et un cachet supplémentaires au film.
Un questionnement vertigineux en guise de conclusion
Higgins: Hey, Turner! How do you know they’ll print it? You can take a walk. But how far if they don’t print it?
Joe Turner: They’ll print it.
Higgins: How do you know?
Les Trois jours du Condor est typique des films de complot américains des années 70 et du regard critique, affûté que les réalisateurs du Nouvel Hollywood (dont Sydney Pollack était l’une des figures importantes) portaient sur l’Amérique du Watergate. Il s’inscrit dans la veine des films d’Alan J. Pakula tels que À Cause d’un assassinat (1974), auquel avait d’ailleurs participé Lorenzo Semple Jr. (co-scénariste des Trois jours du Condor).
Servi par une réalisation élégante et précise, Les Trois jours du Condor est l’exemple même d’un cinéma à la fois divertissant et intelligent dans son propos – lequel est d’ailleurs plutôt pessimiste, à l’image de cette conclusion incertaine qui suggère fortement la mainmise de la CIA et du pouvoir sur les médias. La toute fin du film suinte la paranoïa, avec cet arrêt sur image sur Turner se retournant vers Higgins (Cliff Robertson), saisi par son How do you know?
lourd d’implications.
Figé dans son envol, le Condor semble se poser intérieurement une question à laquelle les décennies qui suivront la sortie du film allaient apporter une réponse plutôt amère – l’indépendance et la liberté de la presse étant toute relative de nos jours…
Source
À propos du Condor, documentaire d’Harold Manning
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Les Trois jours du Condor est un classique de l'espionnage, emmené par une réalisation élégante, un scénario rigoureux et des comédiens de grande classe. Quant à son regard lucide sur l'omniprésence des complots et machinations en tous genres, il est évidemment - et malheureusement - toujours d'actualité.
5 commentaires
Bonne critique mais un peu plus d’ empathie envers ceux qui ne parlent pas anglais. Cela vous semble sans aucun doute indispensable, histoire de montrer votre supériorité ! Quel dommage !!!
Content que vous ayez aimé l’article. Mais vous tirez rapidement des conclusions ! Loin de vouloir prouver une quelconque supériorité en anglais (mon niveau est tout à fait moyen), je n’avais juste pas pensé que ces quelques citations qui constituent une toute petite partie de l’article nécessitaient forcément une traduction. D’autant plus que quand je cite plusieurs répliques à la suite, ou encore pour ce qui est des citations mises en exergue, la présence d’une version supplémentaire en français serait un peu lourde en termes de mise en page. Mais je suis d’accord que c’est un problème quand on ne comprend pas un ou plusieurs mots de la citation – reste les traducteurs en ligne, sachant qu’ils ne sont pas toujours très fiables ! Je vais donc réfléchir à un moyen d’insérer des traductions sans nuire à la mise en page. Et j’espère que vous retournerez sur le blog à l’occasion, malgré son snobisme outrancier 🙂
Bonjour,
J’ai adoré ce film vu il y a très longtemps.
Je recherchais la réplique de R.Redford à F.Dunaway sur ses photos en noir & blanc. Je n’avais pas prêter suffisamment attention a ce qu’il disait précisément dans cette scène et qui me paraissait pourtant important.
Depuis cela m’a toujours intrigué et voilà que j’y repense et trouve votre site.
Merci pour votre article et sa présentation à la fois esthétique et pratique.
Je rajouterais une note positive quant aux citations en anglais, elles ne me dérange pas au contraire, elles apportent une authenticité.
Et je confirme, les traducteurs en ligne ne sont pas toujours fiables mais il est possible de comprendre le sens du propos.
Bonne continuation.
Merci pour votre billet très complet. Ayant réalisé une histoire s’inspirant de ce film, je suis comblé !
Merci à vous pour votre commentaire !