Film d’André De Toth
Titre original : Day of the Outlaw
Pays : États-Unis
Année de sortie : 1959
Scénario : Philip Yordan, d’après le roman Day of the Outlaw de Lee Wells
Photographie : Russell Harlan
Montage : Robert Lawrence
Musique : Alexander Courage
Avec : Robert Ryan, Burl Ives, Tina Louise, Alan Marshal, David Nelson, Jack Lambert
La Chevauchée des bannis, d’André De Toth, est un western intelligent et nuancé, servi par les compositions inspirées de Robert Ryan et Burl Ives.
Synopsis de La Chevauchée des bannis
Dans un petit village du Wyoming, en plein hiver. L’éleveur Blaise Starrett (Robert Ryan) s’oppose au fermier Hal Crane (Alan Marshal), qui projette de poser des barbelés autour des terres qu’il a acquises. Starrett, qui travaille dans la région depuis des années, estime qu’il doit pouvoir nourrir ses bêtes où bon lui semble. La tension est d’autant plus grande entre les deux hommes que Crane est marié à Helen (Tina Louise), dont Starrett est amoureux.
L’arrivée soudaine du capitaine Jack Bruhn (Burl Ives) et de sa bande interrompt le duel auquel allaient se livrer Starrett et Crane. Les nouveaux venus, des voleurs poursuivis par l’armée, prennent toute la ville en otage.
La situation est d’autant plus inquiétante que Bruhn est gravement blessé, et qu’il est le seul à pouvoir tenir ses hommes – pour la majorité des assassins, des violeurs et des pillards…
Critique du film
Si le western hollywoodien classique est trop souvent réduit à des clichés et à une morale simpliste, il n’en reste pas moins que de nombreux longs métrages du genre, si brillants furent-ils à certains égards, adoptaient une approche assez manichéenne. Ce schéma, qui fut largement remis en cause à l’époque du Nouvel Hollywood, n’était ceci dit pas celui de tous les westerns « d’antan » ; Anthony Mann, pour ne citer que lui (il y en eut bien d’autres), proposait dès les années 50 des histoires qu’on ne peut réduire à pareils stéréotypes.
Avec La Chevauchée des bannis, le réalisateur américain (d’origine hongroise) André De Toth a souhaité développer une situation, des enjeux et des personnages relativement complexes et nuancés. Le profil du héros, Blaise Starrett (Robert Ryan), est représentatif de cette démarche : s’il est un honnête éleveur de bétail, il est néanmoins prêt à tuer un fermier tout aussi honnête pour une histoire de barbelés (et de femme). Même si on peut comprendre sa position et son ressenti, il est donc légalement et même moralement parlant dans son tort. Le conflit qui l’oppose au fermier Hal Crane (Alan Marshal) a une résonance bien particulière, puisqu’il illustre deux visions distinctes de l’ouest (deux époques de l’ouest, pourrait-on dire) que de nombreux westerns ont souvent mises en perspective. Starrett incarne un « vieil ouest » sans barbelés, où le fait de vivre honnêtement sur une terre implique naturellement de profiter de ses ressources ; tandis que Crane défend l’idée de propriété privée. Ni l’un ni l’autre ne se situe à un extrême quelconque : Starrett n’est pas un hors-la-loi sanglant, et Crane ne fait que protéger des terres qu’il a achetées.
La bonne idée du film est d’avoir superposé à cette problématique initiale une tension supplémentaire, amenée par l’arrivée du capitaine Jack Bruhn et de ses hommes. Fatalement, le premier conflit s’efface et Starrett et Crane se retrouvent malgré eux dans le même camp, puisque tous deux sont menacés par les nouveaux venus. Ici encore, on observe un réel soin dans la caractérisation des personnages, et un désir évident de ne pas reproduire un schéma manichéen. C’est particulièrement frappant en ce qui concerne le capitaine Bruhn, auquel le comédien Burl Ives prête un regard profond et saisissant. Malgré la dureté qu’il dégage, et les bandits minables qu’il dirige, Bruhn affiche une dignité et même une certaine éthique que Starrett lui reconnait d’ailleurs presque instantanément. C’est aussi un personnage chargé d’histoire, comme Starrett. Il a d’ailleurs une réplique éclairante – lors de la scène de l’opération, d’une intensité remarquable – quant à l’expérience et à la psychologie du personnage : A West Point, on m’a appris à être soldat. Ça laisse peu de place pour être humain
. Sous les ordres de Bruhn, Gene (David Nelson) se présente comme un jeune homme dépassé, loin d’être fondamentalement mauvais. Les autres membres de la bande composent, quant à eux, une galerie de dégénérés violents et pervers (parmi lesquels le dénommé « Cheyenne » se distingue par son côté insondable et sa retenue) que seule l’autorité de Bruhn permet de contrôler plus ou moins.
La situation décrite dans le film est donc particulièrement instable, et la mise en scène, comme le jeu des comédiens, l’expriment parfaitement. La tension est palpable dans quasiment chaque plan. En toile de fond, les paysages enneigés sont omniprésents – cette terre dont il est tant question au début du film-, avant de ressurgir au premier plan lors de la dernière demie-heure, pour devenir un élément clé de l’histoire et prendre directement part à l’action (c’est d’ailleurs la nature et non les hommes qui, en grande partie, influent sur les événements finaux).
Toute l’intelligence du scénario est d’établir un lien entre la situation initiale et celle qui se développe ensuite. Confronté aux hors-la-loi impitoyables qui séquestrent les habitants de la ville, Starrett entrevoit une projection de sa propre violence. Il exprime ce sentiment à Helen (l’épouse de Crane) en ces termes : Je ne suis pas différent de ces hors-la-loi, mais eux ne font pas semblant d’être autre chose
. La chevauchée finale, auquel le titre français fait référence de manière d’ailleurs un peu pompeuse, a dès lors une portée symbolique – elle devient une sorte de rite douloureux et purificateur au cours duquel Starrett se mêle à ceux qui représentent, à ses yeux, ses propres démons (ou du moins, les caricatures d’une part de lui-même), remettant entre les mains d’une nature à la fois majestueuse et hostile les clés de son salut. Le titre original est d’ailleurs significatif : le « jour du hors-la-loi » (Day of the Outlaw), c’est celui où Starrett prend conscience de sa propre violence et traverse une expérience qui, on le devine, va le changer.
Mais ce titre, et la séquence finale dans son ensemble, doivent aussi être considérés du point de vue du capitaine Bruhn ; pour lui, la chevauchée finale a également un aspect rédempteur –You want another Mormont massacre?
, lui lance Starrett pour le convaincre de partir, faisant ici référence à un épisode douloureux de la vie du capitaine -, ainsi qu’une dimension digne et tragique. Bruhn et Starrett apparaissent donc clairement comme les deux personnages centraux (ainsi que les plus complexes et nuancés du film) : c’est effectivement en grande partie autour de leur histoire et de leurs conflits intérieurs respectifs que s’articule un scénario riche et remarquablement bien construit, écrit par Philip Yordan ; à qui l’on doit, entre autres, les scénarios de Johnny Guitar, western vénéré par la Nouvelle Vague française, et de L’Homme de la plaine, d’Anthony Mann – brillant cinéaste auquel il est d’ailleurs fait référence au début de cet article.
Servi par une réalisation de grande classe (avec notamment un très beau plan sur les "bannis" chevauchant dans la neige), par la photographie majestueuse de Russell Harlan (prestigieux chef opérateur qui travailla notamment avec Howard Hawks, King Vidor, Don Siegel, Richard Brooks, Billy Wilder et Robert Wise) et par de grands comédiens - avec une mention spéciale au mythique Robert Ryan (Cote 465, Les Douze salopards, La Horde sauvage) et à Burl Ives (citons aussi la belle Tina Louise, qui jouera plus tard dans Les Femmes de Stepford) -, La Chevauchée des bannis est un western sobre, tendu, subtil et authentique.
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