Film d’Anthony Mann
Titre original : Men in War
Année de sortie : 1957
Pays : États-Unis
Scénario : Philip Yordan, d’après le roman de Van Van Praag
Photographie : Ernest Haller
Montage : Richard C. Meyer
Avec : Robert Ryan, Aldo Ray, Robert Keith, Vic Morrow, Phillip Pine.
Tell me the story of the foot soldier and I will tell you the story of all wars.
Phrase ponctuant le générique de début de Côte 465 (Men in War)
En se concentrant uniquement sur sa volonté de rendre compte de la réalité de la guerre sur le terrain et du quotidien d’un groupe de soldats, le réalisateur Anthony Mann a réussi un film sobre, dépouillé et réaliste qui demeure, plus de 50 ans après, l’une des références du genre.
Synopsis de Côte 465
Pendant la guerre de Corée, une poignée de soldats américains commandés par le lieutenant Benson (Robert Ryan) se retrouvent isolés en territoire ennemi. Ils doivent atteindre la côte 465 pour rejoindre leur unité.
Critique du film
Anthony Mann est surtout célèbre pour ses westerns ; il signa, dans les années 50, quelques perles du genre (Winchester 73, L’Homme de la plaine et surtout L’Homme de l’ouest, remarquable) toutes révélatrices de son sens du rythme, du cadre, de son utilisation très maîtrisée de l’espace et également d’une approche sobre, réaliste et nuancée. Très accomplis et même saisissants sur le plan esthétique (s’il est beaucoup moins connu que John Ford, il n’a rien à envier au brillant réalisateur de L’homme qui tua Liberty Valance sur ce point), ses films se caractérisent également par le fait qu’ils ne sont jamais manichéens ; les différences qui séparent les « bons » des « méchants » sont moins marquées que dans d’autres westerns de l’époque, les uns et les autres étant dépeints de manière plus subtile, humaine, beaucoup moins stéréotypée. Nous verrons que ces aspects formels et thématiques du cinéma de Mann se retrouvent dans Men in War (Côte 465 en français).
La phrase sur laquelle se clôt le générique de début de Côte 465 (Tell me the story of the foot soldier and I will tell you the story of all wars
) en dit long sur l’approche bien particulière du film : il n’est pas ici question de traiter d’un événement historique bien précis, de situer l’action dans un contexte spécifique (la guerre de Corée), mais de filmer des « hommes en guerre », comme le souligne également si bien le titre original (Men in War). Le scénario et la mise en scène vont de fait se concentrer sur ce seul objectif, épurant le film de toute référence historique particulière, et plus généralement de tout élément extérieur à la réalité que vivent les soldats menés par le lieutenant Benson sur le terrain. Le scénario se borne donc à relater le parcours des hommes vers la fameuse cote 465, et les différents obstacles qu’ils y rencontreront (snipers coréens, tueurs embusqués, bombardements, champ de mines, etc.). Mais il le fait intelligemment, avec un sens du réalisme et du détail que la réalisation d’Anthony Mann sert remarquablement bien.

Robert Ryan dans « Côte 465 »
La scène d’ouverture est frappante : on y voit d’abord un lent travelling sur un paysage enfumé – signe qu’une bataille vient de s’y dérouler. Du matériel de guerre et des soldats sont dispersés ça et là. Ensuite, la caméra de Mann se resserre sur des visages, des silhouettes, tandis qu’en dehors du bruit du vent, l’unique son, entêtant, que l’on entend à plusieurs reprises est la voix d’un soldat qui tente – vainement – d’établir le contact avec son unité. L’enchainement savant des plans sur les hommes et des éléments du paysage ainsi que la bande sonore créent une impression d’isolement, de solitude, de temps suspendu, de danger et de mort latente. On décèle dans cette scène la marque d’un grand réalisateur qui parvient remarquablement à situer les hommes dans l’espace, à capter l’environnement et son atmosphère aussi bien qu’à saisir l’émotion de l’individu – le tout à travers une succession de plans significatifs. D’emblée, le ton et le sujet du film sont donnés : Côte 465 nous montre des hommes « jetés » dans une situation dont l’enjeu direct est leur propre survie et non la victoire d’une nation ou d’une idéologie sur une autre.
Toutes les scènes témoignent de la même rigueur visuelle et du même parti pris. Anthony Mann s’attarde sur l’ensemble des détails constituant la réalité dont il souhaite rendre compte : on voit des hommes retirer des herbes sur leurs armes, se gratter la cuisse, des longs plans sur les champs en mouvement d’où risque à tout moment de surgir un ennemi silencieux, les gouttes de sueur sur la peau des soldats et leurs regards remplis d’angoisse que le réalisateur saisit à travers des gros plans saisissants (et d’ailleurs assez novateurs pour l’époque). La minutie, la précision et le sens du rythme dont il témoigne notamment pour instaurer la tension qui précède les explosions de violence sont frappants et il n’est pas étonnant qu’Anthony Mann ait été autant admiré par plusieurs des représentants de la nouvelle vague française, Truffaut et Godard en tête. Si sa maîtrise du cadre et des mouvements de caméra est évidente, il ne les utilise qu’à seule fin de servir son sujet, comme tout grand metteur en scène.

L’un des nombreux gros plans dans « Men in War » (Côte 465)
L’intérêt du film réside également dans l’opposition entre les deux personnages principaux : le lieutenant Benson (Robert Ryan), guidé par ses valeurs humanistes, et le sergent Montana (Aldo Ray), soldat plus instinctif qui se plie à la réalité du terrain – celle-ci ne laissant pas toujours de place à la morale. Ainsi Montana n’hésitera jamais à tirer en cas de doute quelconque – et il aura d’ailleurs toujours raison. Pour autant Mann se garde bien de le dépeindre comme une brute sanguinaire ; la guerre est avant tout une histoire de survie, où des hommes seuls essaient simplement de ne pas se faire tuer, et c’est pourquoi Côte 465 met délibérément de côté toute dimension idéologique. Tout comme il évite une condamnation un peu facile de la violence ; si celle-ci n’est bien entendu jamais glorifiée, esthétisée ou édulcorée, elle est tout simplement montrée comme indispensable à la survie des personnages du film. Côte 465 n’oublie pas pour autant de montrer l’impact terrible de la guerre sur les hommes, impact dont témoigne notamment le personnage du lieutenant rendu muet et presque paralysé à cause du choc produit par l’explosion d’une mine.
On retrouve dans la représentation de l’ennemi coréen la volonté d’Anthony Mann d’éviter une opposition simpliste entre le bien et le mal – ces notions ayant pu être respectivement incarnées, chez un réalisateur moins nuancé et plus enclin à la propagande, par le capitalisme et le communisme. S’il ne s’attarde pas particulièrement sur les soldats coréens, celui que l’on voit dans la séquence du champ de mines montre bien qu’on est loin d’un processus de diabolisation.
Il est probable que Samuel Fuller devait aimer Côte 465. Lui aussi filme davantage les soldats comme des hommes devant avant tout survivre, plutôt que comme les représentants d’une nation et de l’idéologie politique qui y est associée.
Dépouillé, cohérent, sobre, réaliste et magistralement filmé, Côte 465 était sans doute à l'époque parmi les meilleurs films de guerre qui aient été tournés. Plus de cinquante ans plus tard, après des grands films comme Croix de Fer de Sam Peckinpah (Robert Ryan tournera d'ailleurs sous sa direction dans La Horde Sauvage) et Au delà de la gloire de Samuel Fuller, le film d'Anthony Mann mérite toujours sa place parmi les références du genre.
3 commentaires
Je crois que tu confond l’homme de la plaine avec James Stewart et l’homme des hautes plaines avec Clint Eastwood. Mais c’est juste pour faire cinéphile .
Tout à fait! correction faite
Je viens de voir Men in war. Grand film et grand réalisateur. Un modele du genre. Tout y est décrit avec minutie. Angoisse, doute, peur, courage et folie. Du grand cinéma.