Film de Samuel Fuller
Titre original : The Big Red One
Année de sortie : 1980
Pays : États-Unis
Scénario : Samuel Fuller
Photographie : Adam Greenberg
Montage : Morton Tubor
Avec : Lee Marvin, Mark Hamill, Robert Carradine, Bobby Di Cicco, Kelly Ward, Siegfried Rauch, Marthe Villalonga, Stephane Audran.
We’d all made it through. We were alive. I’m gonna dedicate my book to those who shot but didn’t get shot, because it’s about survivors. And surviving is the only glory in war, if you know what I mean.
Propos de Zag (Robert Carradine), le narrateur du film.
Chroniques de la Seconde Guerre Mondiale depuis le point de vue d’une escouade de la 1ère division d’infanterie américaine (la Big Red One), Au-delà de la gloire se distingue par une approche très factuelle et pragmatique de la guerre, dépeinte avant tout comme une affaire de survie individuelle. Un grand film de Samuel Fuller (Shock Corridor).
Synopsis de Au-delà de la gloire
Novembre 1918. Le sergent Possum (Lee Marvin) poignarde un soldat allemand qui avançait vers lui les mains en l’air. Peu de temps après, il apprend que la paix venait d’être officiellement déclarée.
24 ans plus tard, pendant la Seconde Guerre Mondiale, Possum dirige une escouade de la 1ère division d’infanterie américaine. Lui et ses hommes se battront successivement en Afrique du Nord, en Italie, en France et en Allemagne.
Critique du film
On trouve dans plusieurs films de guerre – pas les meilleurs, généralement – un goût pour la grandiloquence, le pathos, où simplement de l’action brute et un peu bêtement spectaculaire. Au-delà de la gloire est à l’opposé de cette approche ; en filmant le parcours du sergent Possum et des fusiliers Griff (Mark Hamill, l’interprète de Luke Skywalker dans Star Wars), Zab, le narrateur du film (Rober Carradine), Vinci (Bobby Di Cicco) et Johnson (Kelly Ward), Samuel Fuller est à mille lieux de tout processus de dramatisation ou de glorification de la guerre. Il faut rappeler que Fuller a servi dans la Big Red One pendant la Seconde Guerre Mondiale ; Au delà de la gloire est donc largement basé sur sa propre expérience des faits.

Bobby di Cicco et Robert Carradine dans « Au-delà de la gloire ».
En réalité, toute l’approche du film est résumée dans sa phrase finale : la seule gloire de la guerre, c’est de survivre (surviving is the only glory in war
). Nulle exaltation, ici, de toute forme d’héroïsme ou de patriotisme ; on y voit simplement un groupe d’hommes rompus au combat, habitués à voir des morts un peu partout, essayer de survivre au cours des différentes batailles auxquelles ils participent (it is about survivors
). Ils mettent, pour y parvenir, leurs sentiments et leur sensibilité de côté (ils ne retiennent pas les noms de jeunes renforts et ne cherchent pas à s’attacher à eux, presque convaincus à l’avance qu’ils vont mourir), et Samuel Fuller, en filmant la guerre depuis leur seul point de vue (il n’y a aucune référence à ce qui se passe autour), en fait autant : Au-delà de la gloire témoigne donc d’un regard aussi juste que dépouillé, pragmatique et très factuel sur la réalité des combats . Ici, pas – ou peu – de sentiments (même si le personnage interprété par Mark Hamill se pose des questions morales sur le fait de tuer l’ennemi), ni de spectaculaire. Simplement des hommes qui se tirent dessus dans différents lieux, souvent dans le désordre et la confusion ; si c’est fondamentalement absurde (comme le souligne si bien la séquence dans l’asile de fous), grotesque parfois, c’est ainsi, et survivre exige d’admettre ce dérèglement ponctuel des valeurs. Il résulte de cette approche une sorte de décalage parfois surprenant, mais au fond très juste, et si Au-delà de la gloire est souvent drôle, cet humour ne nous sort jamais du sujet du film ; au contraire, il contribue à souligner davantage le point de Fuller sur la guerre : un phénomène absurde, bordélique, où les règles ne sont plus les mêmes (tuer l’ennemi ne revient pas à commettre un assassinat, selon Possum) et dont on ne peut qu’accepter, sur le moment du moins, la violence et la folie intrinsèques.
Puisque le soldat américain n’est pas glorifié – pas de dimension héroïque ou mélodramatique dans son sacrifice, c’est juste un homme qui tente de ne pas mourir – le soldat allemand n’est, de fait, pas diabolisé, qu’il s’agisse du simple soldat et même de cet étonnant sergent, plutôt insondable, qui apparaît dans des scènes souvent étranges et drôles. Bien qu’il soit fidèle jusqu’au bout à Hitler, Fuller ne cherche nullement à nous le faire détester, et c’est là toute l’intelligence de son approche.

Lee Marvin et Robert Carradine dans « Au-delà de la gloire ».
En réalité, le personnage du sergent Possum semble exprimer directement le point de vue du réalisateur. Campé par un Lee Marvin extraordinaire (quelle présence !), d’autant plus crédible que lui aussi participa à la Seconde Guerre Mondiale (plus précisément à la bataille de Saipan), Possum est un pragmatique ; il n’hésite évidemment jamais à tirer sur l’ennemi, ni sur ses propres hommes s’ils refusent d’obéir. Son personnage n’en est pas moins attachant et profondément humain : il a simplement conscience que la guerre exige ce type de comportement si, comme lui, on souhaite faire partie des survivants. Il ne déteste pas le soldat allemand ; il conseille simplement d’en tuer le plus possible pendant la guerre, mais pas un seul à partir du moment ou la paix est déclarée – une faute qu’il a lui-même involontairement commise au cours de la guerre de 14-18, comme le montre la superbe séquence d’ouverture en noir et blanc. Pour Possum, tuer est l’unique moyen de survivre à une guerre ; à partir de ce constat hélas réaliste, dont il ne tire aucun plaisir personnel, il fera systématiquement le choix que la situation demande de faire, en mettant de côté une morale et des sentiments qui, dans ce contexte bien précis, sont synonymes d’échec et de mort. Griff (Mark Hamill) est le seul membre de l’escouade à remettre ouvertement en question son point de vue, considérant qu’il n’y a pas de différence entre tuer sur le champ de bataille et commettre un meurtre ; mais les événements et le cours du film ont tendance à faire prévaloir, par la force des choses, l’approche plus pragmatique du sergent.

Scène où un jeune renfort prend très cher.
Sans évoquer une seconde, ou très brièvement, les événements extérieurs au parcours de l’escouade commandée par Possum, Fuller filme une succession de combats, lesquels, s’ils ont tous en commun des bruits d’explosion et de coups de feu (véritables rengaines), donnent lieu à des scènes très différentes et variées. A chaque bataille correspond un lieu et une situation unique ; elles ne sont donc jamais rébarbatives. Toutes sont délibérément peu spectaculaires et jamais dramatiques, conformément à l’approche factuelle du film ; et toutes regorgent de détails qui attestent de leur crédibilité. La séquence qui se déroule dans l’asile, dans laquelle joue l’actrice française Stéphane Audran, exprime intelligemment la folie inhérente à la guerre, notamment à travers cet aliéné qui, voyant des soldats se tirer dessus, se dit qu’il n’est au fond pas plus dérangé qu’eux.
L’intelligence du réalisateur est également de ne pas filmer que des batailles, mais tous les à-côtés qui font tout autant partie de la réalité vécue par les soldats sur le terrain. On y voit ainsi des choses qu’on ne voit jamais dans d’autres films du même genre, des moments de vie qui souvent produisent des décalages étranges avec les scènes de guerre. Cette vie qui continue en dehors des combats et qui parfois même surgit directement sur le champ de bataille, comme cette femme enceinte qui accouche dans un tank, bordée par les membres de l’escouade – une des scènes les plus comiques du film.

Johnson (Kelly Ward) et le sergent (Lee Marvin) dans « Au-delà de la gloire ».
Au-delà de la gloire regorge de trouvailles visuelles et scénaristiques qui contribuent à la richesse du film et à l’intérêt des différentes séquences. Fuller a des idées originales pour chaque scène, les exprimant parfois à travers un seul plan furtif, drôle ou symbolique (comme ces lapins qui courent au moment de la retraite des soldats, ou ce rouleau de papier toilette qui explose pendant le débarquement en France), ou encore une simple réplique. Cette inventivité confère au film un dynamisme qui fait que l’intérêt du spectateur ne se relâche jamais.
Toutes ces scènes variées et ces ruptures de ton forment un ensemble parfois déroutant et étrange, riche en décalages et en péripéties, où l’absurdité et le désordre sont omniprésents. Avec pour fil conducteur le récit de Zag (Robert Carradine), le narrateur du film, Au-delà de la gloire évoque de véritables chroniques de la Seconde Guerre Mondiale – indéniablement les plus saisissantes que le cinéma nous ait contées. Et nous raconte comment la réalité de la guerre nous vide d’une partie de nous-mêmes, ne stimulant plus que le seul instinct de survie.
L’unique séquence réellement dramatique du film est la découverte des camps de concentration. Là aussi, Fuller sait de quoi il parle ; il a filmé la libération d’un camp pendant la guerre. Ici, bien entendu, il prend clairement parti, et de fait montre pour la première fois ses personnages en état de choc. Ce changement de ton est logique ; si la violence des combats fait partie intégrante de la guerre et de sa logique
(si déplorable et effrayante soit-elle), il n’en est évidemment pas de même de celle relative aux camps d’extermination.
En démontrant brillamment le point de vue lucide et pragmatique exprimé à la toute fin du film (la seule gloire de la guerre, c'est de survivre), Samuel Fuller, soutenu par un excellent casting et un Lee Marvin impressionnant, a signé un spectacle unique à la fois grave, riche, drôle et absurde, servi par son expérience personnelle, sa lucidité et son immense talent de réalisateur et de scénariste. A voir absolument.
2 commentaires
Dans la version française, l’extrait que vous montrez, est amputé de la stupeur du gamin, ce qui lui enleve sa force. Dommage. Mort d’Arthur Penn et de Tony curtis aujourd’hui. Je compte sur vous pour un hommage, j’espere…
Film somme de Fuller, qui sut toujours de quoi il parlait. On donne volontiers les presque trois heures du « Soldat Ryan » – en son temps pris pour un sommet de réalisme – contre n’importe quelle minute en compagnie de la Big Red One. Le réalisateur reste à découvrir, autant que le romancier (« Shock Corridor » en Série noire).