Film de Sam Peckinpah
Année de sortie : 1973
Pays : États-Unis
Scénario : Rudy Wurlitzer
Photographie : John Coquillon
Montage : Roger Spottiswoode
Musique : Bob Dylan
Avec : James Coburn, Kris Kristofferson, Bob Dylan, Jason Robards.
Mama take this badge from me
I can’t use it anymore
Extrait de la chanson Knockin’on Heaven’s Door
de Bob Dylan, écrite pour le film.
Avec Pat Garrett et Billy the Kid, “Bloody” Sam Peckinpah réalise un western mélancolique et désabusé sur la mort d’une époque et le passage du temps, bercé par une musique originale de Bob Dylan.
Synopsis de Pat Garrett et Billy The Kid
En 1881, Pat Garrett (James Coburn), devenu shérif, est chargé par les autorités de faire arrêter et condamner à la pendaison son ami et ancien complice Billy The Kid (Kris Kristofferson), hors la loi notoire. Quand celui-ci s’évade de prison après avoir tué un adjoint du shérif, Pat Garrett, sur ordre du gouverneur Wallace (Jason Robards, qui interprète notamment Le Cheyenne dans Il était une fois dans l’Ouest), se lance à sa poursuite.
Critique du film
Une ballade funèbre sur la fin d’une époque
La modernisation de l’ouest à partir de la fin du 19ème siècle a fait l’objet de très nombreux westerns, souvent brillants : Butch Cassidy et le Kid, de George Roy Hill, où les deux hors la loi légendaires sont rattrapés par le temps (symbolisé par une horde de tueurs à gages dont on ne voit jamais les visages) ; La Porte du Paradis, de Michael Cimino, relatant la guerre du comté de Johnson dans le Wyoming (opposant de riches éleveurs à des pauvres et des voleurs de bétail) ; The Missouri Breaks, d’Arthur Penn, dans lequel un riche propriétaire engage un « régulateur » (Marlon Brando) pour abattre un voleur de chevaux (Jack Nicholson) et sa bande ; et bien sûr La Horde sauvage, de Sam Peckinpah. Ces films ne dénoncent pas l’idée même d’un changement qui était sans doute nécessaire, mais montre bien que ce changement n’a pas toujours été synonyme de justice et d’équité, et que l’argent et le pouvoir a parfois prévalu sur des valeurs profondément ancrées dans la culture américaine.
Pat Garrett et Billy The Kid s’inscrit résolument dans cette thématique en lui donnant, et c’est la grande force du film, une résonance intemporelle, donc actuelle.

Pat Garrett (James Coburn) dans « Pat Garrett et Billy the Kid »
Le film raconte l’histoire de deux personnages historiques liés d’amitié mais séparés par leurs attitudes distinctes vis-à-vis des changements auxquels le pays est alors sujet : Pat Garrett, en devenant shérif, choisit de s’adapter à cette ère nouvelle ; Billy The Kid, lui, refuse de changer son mode de vie. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il est incarné par Kris Kristofferson, acteur et musicien s’inscrivant dans la contre-culture américaine de l’époque (comme Bob Dylan, qui joue dans le film et en signe la musique originale).
Nous assistons donc à la traque de Billy The Kid (le film se base sur de nombreux faits avérés historiquement, et la majeure partie des personnages ont existé) par Pat Garrett qui, au fond, n’a que du mépris pour sa mission et ses commanditaires. Dans le rôle du shérif blasé, James Coburn, grandiose, traverse donc tel un fantôme (You are dead inside
, lui lance sa femme) des paysages mélancoliques sublimés par la caméra de Peckinpah et la photographie de John Coquillon.

Kris Kristofferson, Emilio Fernandez et Harry Dean Stanton
Son allure, son air sombre contrastent avec le personnage de Billy The Kid, qui incarne le refus de se plier aux lois conçus par (et pour) les puissants (le véritable hors-la-loi, parait-il, se baladait avec un exemplaire du Capital de Marx ; voir le dossier Typologie du héros américain type sur www.artslivres.com). Des puissants plutôt méprisables et cyniques, comme souvent chez Peckinpah, qui à travers ses différents films jette souvent un regard très critique sur le pouvoir et ses représentants aux États-Unis (il était d’ailleurs farouchement anti-Nixon). Ainsi dans Pat Garrett et Billy the Kid, la justice protège allègrement un riche propriétaire qui n’hésite pas à faire abattre des petits éleveurs indépendants.
Le réalisateur se garde toutefois d’idéaliser le Kid, même s’il le transforme en icône rebelle. Dans une séquence où le bandit abat froidement un homme sans respecter les règles
du duel, Peckinpah semble en effet nous rappeler que l’ouest qu’il incarne est aussi un monde violent et sauvage. Ainsi qu’il en avait l’habitude, Sam Peckinpah évite donc ici toute forme de manichéisme.
Pat Garrett, fossoyeur réticent du American Old West
Les deux personnages prennent une dimension particulièrement symbolique lors de la scène nocturne finale, à Ford Sumner, où l’on voit successivement Billy au lit avec une mexicaine et Pat Garrett rôder autour de la maison en murmurant « Jesus… Jesus ». L’un représente l’insouciance, la liberté (même si comme précisé plus haut, il est loin d’être irréprochable), tandis que l’autre est l’instrument de la fatalité, d’un changement qu’il ne désire pas mais auquel il s’est plié pour survivre.
Fossoyeur réticent du vieil ouest, Pat Garrett tue une partie de lui-même en tuant Billy The Kid ; la chute du bandit est d’ailleurs filmée au ralenti (Peckinpah avait révolutionné le procédé du ralenti quelques années plus tôt dans La Horde sauvage), et avant que son corps ne touche le sol, Pat Garrett tire dans le miroir qui reflète sa propre image : le montage des différents plans suggère donc que la mort physique du Kid représente aussi la mort spirituelle de son assassin.

Juste après avoir abattu Billy the Kid, Pat Garrett tire sur sa propre image dans le miroir.
Où il n’y a d’issue ni dans le conformisme ni dans la rébellion
Traversé de fulgurances (la scène ponctuée du Knockin’on Heaven’s Door de Dylan est magnifique), Pat Garrett et Billy The Kid est un western aussi extraordinaire que La Horde sauvage, moins violent et plus contemplatif. Plus triste également – même si le constat dressé par La Horde Sauvage est déjà très sombre et amer.
Car si Pike Bishop et ses hommes retrouvent, dans une bataille finale ahurissante, une forme de dignité et d’honneur, Pat Garrett, lui, ne récolte à la fin du film que la mort de son âme.
Par ailleurs, si l’on considère que les deux protagonistes (Pat et Billy) se retrouvent dans une impasse bien qu’ayant suivi chacun des trajectoires opposées, on peut voir dans ce grand film l’empreinte du regard désabusé et pessimiste que Peckinpah semblait poser sur son époque. Dans Pat Garrett et Billy The Kid, la rébellion est synonyme de mort physique et le conformisme de mort spirituelle. Autant dire qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir…
À propos de la musique du film
Bien que critiquée parfois, la musique composée par Bob Dylan pour Pat Garrett et Billy The Kid est remarquable. Il est d’ailleurs étonnant qu’elle ait dérouté à ce point certains critiques, car au fond il s’agit de l’une des BO de western les plus authentiques jamais composées. En effet Bob Dylan a été largement influencé par la country, un style musical qui débuta dans les années 20 mais dont les racines remontent au 19ème siècle, époque du western. La country constitue donc une musique de western plus cohérente d’un point de vue historique que ce qui était d’ordinaire utilisé pour ce type de film, et Dylan fut l’un des seuls à tenter cette association pourtant logique.
Les deux thèmes les plus marquants sont Billy et Knockin’ on Heaven’s Door.
Billy, utilisé pour le générique et dont on entend des versions instrumentales à différents moments du film. Quiconque apprécie celui-ci se remémore d’ailleurs aussitôt des accords et du texte de cette belle chanson, devenue indissociable du film de Peckinpah (écouter la chanson Billy sur Citizen Poulpe).
Knockin’ on Heaven’s Door, que Dylan composa (à la demande de Jerry Fielding, engagé par Peckinpah pour « conseiller » le musicien) pour la scène de la mort du shérif. Ce second morceau deviendra l’un des grands succès de Bob Dylan mais il faut surtout relever ici ce qu’il apporte à la plus belle scène de Pat Garrett et Billy The Kid. Les paroles, d’un style lyrique (comme la scène, tragique et visuellement splendide), adopte le point de vue du shérif en train de mourir (I feel like I’m knockin’ on heaven’s door
), ce qui renforce l’émotion, l’empathie du spectateur et le sens de la séquence, et lui donne un angle bien particulier. La musique, belle et simple, accompagne à merveille les plans crépusculaires, mélancoliques, tournés par Peckinpah. Cela fonctionne si bien que le batteur Jim Keltner a pleuré pendant toute la prise, ému par la musique et par la scène du film qui était projetée sur un mur pendant la séance d’enregistrement (écouter la chanson Knockin’ on Heaven’s Door sur Citizen Poulpe).

Bob Dylan
On peut donc dire que Dylan a intelligemment contourné les archétypes de la musique de western pour un résultat émouvant, juste et profondément authentique. Peckinpah, qui connaissait mal l’artiste et était même méfiant à son égard, fut d’ailleurs immédiatement conquis par la chanson Billy, que Dylan lui interpréta lors de leur première rencontre, au cours d’une soirée (arrosée de téquila, évidemment) donnée chez le réalisateur.
Très beau western sur la fin d'une époque, qui confronte deux figures iconiques de l'ouest tout en leur donnant une portée symbolique et moderne, Pat Garrett & Billy The Kid est le plus grand film de Sam Peckinpah avec La Horde sauvage et Croix de fer.
5 commentaires
film sublime,et pratiquement inconnu(je ne savais meme pas que dylan avait été acteur)…..a diffuser
Hey ! toujours garéablement supris de lire des billets intéressan(s 🙂 qu’est-ce que tu sous entendais dans cetteparenthèse : ‘symbolise par une horde de tueurs a gages dont on ne voit jamais les visages’ ? je te souhaite un bonne continuatrion !
je voulais dire que le fait que l’on ne voit jamais les visages des poursuivants souligne leur caractère symbolique : ils ne sont pas représentés comme des individus à part entière, ils incarnent ce changement d’époque qui rattrape les deux héros.
Mon préferé. La fin d’une époque en effet . Que l’on voit aussi dans Junnior Bonner du meme réalisateur.
Magnifique !
Tout se conjugue ici pour atteindre la perfection.
Le Western, quand c’est réussi, c’est digne de Shakespeare (ou de la Bible, selon).