Film de Robert Altman
Titre original : McCabe & Mrs. Miller
Année de sortie : 1971
Pays : États-Unis
Scénario : Robert Altman et Brian McKay, d’après un roman de Edmund Naughton
Photographie : Vilmos Zsigmond
Montage : Lou Lombardo
Musique : Leonard Cohen (chansons issues de l’album Songs of Leonard Cohen)
Avec : Warren Beatty, Julie Christie, René Auberjonois, Michael Murphy, Shelley Duvall, Keith Carradine
Un proxénète : You can have her, but you will have to get her some teeth.
McCabe : All right. How much for three?
Le proxénète : Three? 80 dollars each.
McCabe : 80 dollars for a chippy? I can get a goddamn horse for 50 dollars!
En mettant en scène la lutte entre un « entrepreneur » indépendant et de puissantes organisations sans scrupules, John McCabe illustre une thématique phare du Nouvel Hollywood. C’est aussi un beau western mélancolique, délicatement bercé par les ballades intemporelles de Leonard Cohen.
Synopsis de John McCabe
En 1902, John McCabe (Warren Beatty) décide d’ouvrir un bordel dans une petite ville de l’ouest américain, Presbyterian Church. Constance Miller (Julie Christie), une prostituée, lui propose une offre : son expérience et son sens de l’organisation en échange d’une partie des bénéfices.
L’affaire tourne bien et une riche compagnie minière propose à McCabe le rachat de son entreprise. L’intéressé déclinant la proposition, trois tueurs à gages sont engagés pour l’éliminer.
Pendant ce temps, McCabe se découvre des sentiments amoureux envers son associée, en apparence plutôt froide et dédaigneuse à son égard…
Critique du film
La dimension politique de John McCabe
Le mouvement communément appelé « Le Nouvel Hollywood » a vu naître de nombreux westerns qui, bien que parfois très différents, avaient souvent une volonté en commun, à savoir celle de proposer une vision de l’ouest américain en rupture avec celle correspondant à la plupart des westerns dits « classiques ». Une vision souvent plus acide et plus critique (quoique les westerns des années 40-50 sont loin d’être tous simplistes et stéréotypés, ne prenons pas ce raccourci), où le mal n’est plus uniquement représenté par les indiens ou les hors-la-loi, mais aussi – et même bien davantage – par le pouvoir et les riches propriétaires terriens.
Le « héros » n’est plus le cowboy courageux et intègre : il est tour à tour voleur de chevaux (comme Jack Nicholson dans The Missouri Breaks) ; braqueur de banque (les membres de La Horde Sauvage ; Sundance et Butch Cassidy dans Butch Cassidy et le Kid) ; shérif blasé et résigné (James Coburn dans Pat Garrett et Billy the Kid) ; et surtout il est plus humain, plus bancal, à l’image de l’homme d’affaires incarné par Warren Beatty dans John McCabe. Ses vêtements sont sales, il boit à outrance, n’aime pas prendre un bain et serait incapable de bien gérer une entreprise sans l’aide précieuse de Constance Miller (Julie Christie).
Indépendamment de ses défauts et qualités, McCabe incarne à sa manière une figure américaine typique, celle de l’entrepreneur indépendant menacé par plus puissant que lui. Il n’est pas le stéréotype de cette figure, car c’est un personnage nuancé, mais il en porte néanmoins les valeurs et les combats, ce pourquoi le qualificatif d’anti-héros
serait partiellement inexact en ce qui le concerne.
Cette dimension de l’histoire du film – l’homme, ce qu’il est en tant qu’individu et ce qu’il représente dans la culture américaine – est particulièrement intéressante. On retrouvera dans l’excellent polar Tuez Charley Varrick, de Don Siegel, sorti deux ans après John McCabe (en 1973), une autre illustration cinématographique du combat entre l’individu et les organisations qui l’entourent, cette fois dans l’Amérique des années 70.
Un western authentique
Robert Altman joue la carte du réalisme et nous dépeint un ouest américain particulièrement crédible, à l’image des (très) rares scènes d’action du film. Au cours du gunfight final, McCabe agit ainsi non pas comme un héros classique de western, mais comme le ferait n’importe quel homme confronté à trois tueurs professionnels : il se cache et tente de les abattre par surprise.

La photographie du film (signée Vilmos Zsigmond) est particulièrement belle et empreinte de mélancolie
Des décors et des personnages émane une admirable authenticité ; le scénario évite toute forme de spectaculaire et de dramatisation, privilégiant la qualité de la reconstitution, le discours politique et la psychologie des personnages, tandis qu’Altman et le directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (brillant chef opérateur qui travailla notamment sur Blow Out, Images, La Porte du paradis) composent des images picturales dont la dimension mélancolique est soulignée par trois chansons de Leonard Cohen (The Stranger Song ; Sisters of Mercy et Winter Lady. Toutes issues du premier album de Cohen (Songs of Leonard Cohen), ces ballades sont omniprésentes dans John McCabe et ont clairement influencé son rythme et sa tonalité douce-amère (Altman a d’ailleurs déclaré que le film était inimaginable sans les chansons de Cohen
).
Dimension mélancolique, car si John McCabe témoigne d’une sympathie évidente du réalisateur envers ses personnages (principaux comme secondaires, à l’image de ce jeune cowboy qui déclare lui-même ne pas savoir tirer, avant de se faire froidement abattre par l’un des tueurs envoyés par la compagnie minière), il jette un regard désabusé sur l’Amérique du début du 20ème siècle. Une Amérique qui voit s’instaurer l’emprise violente des puissants et des riches hommes d’affaires, malmenant au passage la liberté individuelle et le fameux american dream. De ce point de vue, le fait que l’église du village brûle au cours de la dernière séquence du film a probablement une portée symbolique.
McCabe et Mrs Miller : des personnages intéressants et crédibles
La personnalité des deux protagonistes – McCabe et Mrs Miller – y est pour beaucoup dans la réussite du film. McCabe est un personnage attachant, maladroit et sympathique (That man never killed anyone in his life
, dit de lui l’un des tueurs à gages). Plusieurs aspects de son caractère le rendent assez touchant : il cherche à se donner des grands airs alors qu’il est plus ignorant qu’en apparence (il n’arrive pas à tenir les comptes de son entreprise car il confond débit et crédit) ; fier et inconscient, il ne mesure pas du tout le danger que représente la compagnie minière ; et ses efforts pour gagner en crédibilité auprès de Mrs Miller – dont il est amoureux – sont à la fois comiques et émouvants. Enfin, comme mentionné précédemment, McCabe porte sur ses frêles épaules les valeurs associées à la figure de l’entrepreneur américain indépendant, et sa lutte contre les tueurs engagés par la riche compagnie minière prend donc une dimension à la fois belle, iconique et dérisoire.
John McCabe étant un western réaliste et de son temps, la femme n’y joue pas le rôle d’une cruche effarouchée. Mrs Miller, interprétée par la belle Julie Christie, est intelligente, lucide, expérimentée, déterminée, forte de caractère. Comparativement à elle, McCabe semble désespérément pataud. On lui devine un passé difficile (elle est prostituée) car elle semble bien décidée à s’en sortir et ne retrouve une forme de douceur que sous l’effet de l’opium qu’elle consomme en secret. Rejetant sa part de tendresse et ses sentiments, elle ne manifestera qu’accidentellement ou de façon très intermittente son affection envers son associé, comme si elle considérait que la réussite dans le monde moderne exigeait de mettre de côté sa sensibilité pour se concentrer sur le profit et l’ascension sociale. Ce personnage de femme complexe et que l’on devine habitée par des contradictions profondes est résolument moderne, ce qui ne surprend pas tant le propos politique du film peut être appliqué à l’époque de son tournage – comme à l’époque actuelle.
Robert Altman filme délicatement ces deux êtres qui n’arrivent que difficilement à s’ouvrir l’un à l’autre – et dont la relation est corrompue par l’argent (McCabe paie pour coucher avec elle ; au cours d’une scène de lit, Altman fait d’ailleurs un gros plan significatif sur la boîte en osier dans laquelle il place ses billets). Une émotion subtile affleure ainsi au cours des belles scènes d’intimité du film, scènes magnifiées par la remarquable photographie de Vilmos Zsigmond.
John McCabe est un western mélancolique et désabusé, dont le discours - politique mais jamais caricatural - est étonnamment moderne et intemporel. C'est aussi l'histoire d'un amour qui ne commence jamais vraiment, et que Robert Altman filme avec beaucoup de délicatesse. Sans doute l'un des meilleurs films de son auteur avec The Player et Le Privé.
2 commentaires
Je recherchait un titre de western réaliste et je découvre votre site. Dommage qu’il n’y ai pas plus de photos (ou j’ai pas remarqué).
Justement ! Des galeries de photos vont être ajoutées prochainement. Actuellement, il y en a environ 2 – 3 par article, et parfois des vidéos.