Film de Brian De Palma
Année de sortie : 1981
Pays : États-Unis
Scénario : Brian De Palma
Photographie : Vilmos Zsigmond
Montage : Paul Hirsch
Musique : Pino Donaggio
Avec : John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz, Peter Boyden
Sam: And what about that scream? We gotta dub that.
Jack: All right. Know any good screamers?
Sam: I got a few ideas.
Jack: I bet you do.
Sam: Just worry about the scream.
S’il est en apparence un thriller politique, Blow Out est surtout (au même titre que Body Double) un film sur le lien réciproque entre le cinéma et la réalité.
Synopsis de Blow Out
Jack Terry (John Travolta) est preneur de son pour le cinéma. Il travaille avec Sam (Peter Boyden) sur une série B intitulée Co-ed Frenzy. Problème : l’une des comédiennes pousse un cri grotesque pendant une scène de crime. Sam demande donc à Jack de trouver une « doublure cri ».
Le soir même, alors que Jack effectue des prises de son dans un endroit isolé, une voiture fait une embardée et plonge dans une rivière. Jack parvient à sauver la passagère, prénommée Sally (Nancy Allen), mais pas le conducteur. Une fois à l’hôpital, Jack réalise que ce dernier n’est autre que le gouverneur McRyan, candidat aux prochaines élections présidentielles.
Plus tard, Jack réécoute la bande son qu’il a enregistrée la nuit de l’accident. On y entend un bruit de détonation, juste avant l’éclatement du pneu de la voiture…
Critique du film
Dans la nouvelle de Julio Cortázar intitulée Les Fils de la vierge (paru en 1959 dans le recueil Les Armes secrètes), un homme développe en grand format une photo qu’il a prise dans la rue, au cours d’une scène ambigüe dont il a été le témoin. Le photographe fixe longuement l’image, et celle-ci lui révèle peu à peu des choses sur la scène en question.
C’est (entre autres) cette idée que le cinéaste Michelangelo Antonioni développa dans son célèbre film Blow-Up (1966), très librement inspiré de la nouvelle précitée. Selon la comédienne Nancy Allen, Brian De Palma n’avait initialement pas pour projet de proposer une nouvelle variation autour du récit de Cortázar ; c’est en cours de route que, réalisant les similitudes avec Blow-Up, le réalisateur de Scarface décida d’appeler son film Blow Out — une manière d’assumer la filiation avec le film d’Antonioni et, indirectement, avec Les Fils de la vierge.
Si Blow Out se présente de prime abord comme un thriller politique, dans la lignée des grands thrillers complotistes des années 70 (le film comporte d’ailleurs une référence à Conversation secrète, de Francis Ford Coppola), c’est en réalité, à mon avis du moins, surtout un film sur le cinéma, au même titre que Body Double que Brian De Palma réalisera quatre ans plus tard.

Ce plan de « Blow Out » fait référence à l’ultime séquence de « The Conversation », de Francis Ford Coppola (« Conversation secrète » en français).
Dans ces deux œuvres, De Palma met effectivement en scène des personnages qui évoluent dans le milieu du cinéma : Jack Terry est preneur de son ; Jake Scully (le héros de Body Double) est comédien (on notera que leur nom est proche, comme si l’auteur avait voulu souligner les similarités entre leurs parcours respectifs). Jack et Jake sont, dès les premiers instants du film, confrontés à un problème lié à leur travail et tous deux vont vivre une expérience (dans la « réalité ») qui va leur permettre de « régler » (d’une certaine manière) la problématique initiale.
Dans Body Double, la claustrophobie de Jake Scully l’empêche de tourner une scène dans un cercueil, et il est de fait renvoyé par son metteur en scène ; dans Blow Out, le preneur de son Jack Terry doit retravailler la bande son d’un film et enregistrer un cri suffisamment convaincant pour une scène de meurtre. Cet enjeu apparaît d’autant plus essentiel que le générique de début de Blow Out se déclenche aussitôt après la phrase significative prononcée par Sam, le réalisateur du film en question : Just worry about the scream
. Une fois le générique de début terminé, les images d’une émission de télévision évoquent la fête de l’indépendance américaine — une référence directe à la fin du film.
Dès les premières minutes de Blow Out se met donc en place un mécanisme mystérieux, qui utilise une intrigue policière pour servir, fondamentalement, une quête à la fois intime et artistique. Intime, car Jake Scully va croiser en chemin une jeune femme dont il va tomber amoureux, mais aussi ses propres démons (un souvenir douloureux) ; artistique, car, rappelons-le, le point de départ de Blow Out est la quête d’un cri (pour les besoins de la bande son d’un film).
Le film de De Palma illustre donc l’un des grands principes de la création artistique : injecter une part de soi-même (de son expérience, de sa douleur aussi) dans son art. Dès lors, les péripéties rocambolesques et assez peu crédibles qui ponctuent le récit de Blow Out sont presque secondaires et on aurait probablement tort de critiquer leur caractère parfois un peu grossier et invraisemblable (à l’image de Burke, le tueur psychopathe incarné par John Lithgow).
En effet, si l’on considère que ce que vit Jack Terry est avant tout une aventure cinématographique, il est justement très cohérent que le scénario ne s’embarrasse guère de réalisme. Burke pourrait être un personnage de tueur dans les séries Z sur lesquelles Jack Terry travaille, et c’est justement cela qui est intéressant, car cela souligne le lien entre le cinéma et tout ce qui se passe dans le film. Ainsi que les rapports, les connexions, les interactions entre l’art et la « réalité ».
D’ailleurs, dans Blow Out, le cinéma est utilisé comme un moyen de comprendre la réalité (Jake Terry analyse la scène de l’accident en montant des images et en synchronisant celle-ci avec des sons : c’est le principe même du cinéma), et la réalité nourrit le cinéma (le héros utilise une scène de sa vie pour régler la fameuse « problématique » du cri).
C’est ce qui rend Blow Out si émouvant : s’il dépeint un univers politique trouble et corrompu, ce qui n’a rien de particulièrement original, le film loue d’un autre côté l’idée d’un cinéma où l’émotion et la sincérité priment — même si ça doit faire mal…
À propos de Blow Out
Une version française de luxe
Si un film doit idéalement être vu en version originale (sauf quand la version française a une saveur particulière, fut-elle nostalgique…), il faut tout de même souligner que la version française de Blow Out présente un intérêt rare, puisque c’est Gérard Depardieu qui double John Travolta. Les deux hommes sont d’ailleurs devenus amis dans la foulée.
Vilmos Zsigmond
La photographie de Blow Out est signée Vilmos Zsigmond, chef opérateur à la filmographie admirable. Il a notamment accompli un travail extraordinaire sur John McCabe, de Robert Altman ; L’Homme sans frontières, de Peter Fonda ; Délivrance, de John Boorman ; Rencontre du troisième type, de Steven Spielberg ; Voyage au bout de l’enfer et La Porte du paradis, de Michael Cimino. Il a collaboré à quatre reprises avec Brian De Palma : pour Blow Out, donc, mais également pour Obsessions, Le Bûcher des vanités (adapté du roman éponyme de Tom Wolfe) et plus récemment Le Dahlia noir.
Le clin d’œil de Tarantino à Blow Out
Quentin Tarantino fait explicitement référence à Blow Out dans son film Boulevard de la mort (2007), en ré-utilisant un extrait de la bande originale signée Pino Donaggio. En effet, quand l’une des filles sort dehors pour lire un SMS au cours de la longue séquence dans le bar, on entend le morceau de piano intitulé Sally and Jack, la fameuse mélodie tire-larmes issue de la BO de Blow Out.
L’avis de Pauline Kael
La célèbre et talentueuse critique de cinéma Pauline Kael aimait beaucoup Blow Out. Elle avait déjà rédigé un remarquable article sur Carrie, du même De Palma, que l’on peut lire dans Chroniques américaines, l’un des deux tomes consacrés aux chroniques de Pauline Kael.
Aux côtés de son cousin Body Double, Blow Out est un film clé dans la carrière de Brian De Palma, qui illustre avant tout les liens intimes entre la "réalité" et la fiction, l'expérience personnelle et la création (cinématographique en l'occurrence). John Travolta y livre l'une des plus belles prestations de sa carrière.
9 commentaires
Et Dressed to Kill , c’est pas Psychose?. The Untouchables et la scene de l’escalier? Un peu copieur de tout le monde De Palma. Son chef d’oeuvre c’est pour moi Carlito’s Way.
Je ne dirais pas que c’est un copieur, car il cite des films mais au fond ses œuvres ne ressemblent qu’à lui-même. Oui « Carlito’s Way » est très bon, mais j’avoue que je suis plus attaché à « Carrie », « Blow Out » et « Body Double ». Je trouve que c’est dans ces films qu’on ressent vraiment sa patte ! « Scarface » aussi. « Carlito’s Way » est plus sobre, moins outrancier mais du coup c’est un peu moins du De Palma je trouve… Dans le genre film d’action divertissant je trouve qu’il a plutôt bien rempli son contrat avec « Mission Impossible ». Je trouve aussi que « Le Dahlia Noir » a été exagérément descendu par des fans du bouquin qui ont regardé le film avec trop d’idées préconçues. C’est pas si mal que ça, et les scènes en noir et blanc avec la fille sont superbes. Mais définitivement, je place « Carrie » et « Body Double » très haut dans sa filmographie.
Tu délire la, Le Dalhia noir n’a ni l’atmosphère ni la noirceur ni le rhytme du livre. D’ailleurs celui qui ce coltine les oeuvres de James Ellroy doit les avoir bien accrochés. Et peut etre un jour verront nous la trilogie Underworld USA. J’enreve. Et j’espere que ce sera Fincher qui si collera. Son Zodiac est un pur moment de bonheur.
« Zodiac » est génial, c’est un autre niveau. Simplement si on le compare pas au bouquin (difficile j’imagine) « le dahlia noir » est un polar correct, même si c’est dommage que le scénario et les personnages soient si édulcorés. Et oui Fincher aurait la trempe pour adapter des romans complexes, espérons qu’il le fera, car « the social network » c’est pas mal et hyper maitrisé mais bon il peut faire tellement mieux ! Adapter du Tom Wolfe par exemple…
Le bucher des vanités, en voila un beau raté de de Palma. Et quel bouquin!
Fincher a adapté Fight Club de Chuck Palaniuk que tout le monde disait iréalisable. Impossible n’est pas Fincher.
L’échec du bucher des vanités, c’est en grande partie la faute des studios, après ça reste un échec… le bouquin est génial en effet… Par certains côtés Fincher me fait un peu penser à Kubrick. Leurs univers sont différents mais il a le même côté ultra perfectionniste (il fait souvent un très grand nombre de prises), et cette capacité à traiter des scénarios complexes… On sent que comme Kubrick il pourrait s’attaquer à des projets hyper ambitieux et les réussir. mais bref, pour revenir à De Palma c’est vraiment autre chose, simplement je trouve que certains de ses films ont plusieurs niveaux de lecture, ne sont pas si simples qu’il n’y parait (j’ai eu des regards différents sur body double et blow out en les revoyant), et puis visuellement il est capable de créer des supers moments de cinéma, c’est un maitre du plan séquence et du split screen ! J’aime bien aussi le plaisir qu’on ressent dans sa manière de faire et de montrer des films et son absence de snobisme, son côté décomplexé.
Blow out , est en quelque sorte au cinéma et à la prise de sons ce que le Cameraman est à la prise d’images. Rapports réalité/fiction, responsabilité du professionnel: des professionnels, son intervention dans les événements, la modification qu’apporte tout observateur. Par extension, réflexion sur tout travail de narrateur, journaliste. Mais, cela demanderait de plus longs développements
blow out est le pendant « sonique » du Cameraman de Keaton, pour faire trèèèès court
À la recherche du cri perdu, en effet, ce cri que ne parvient pas à pousser Jessica Tandy dans « Les Oiseaux ». Comment survivre à la férocité du monde ? L’épilogue répond de façon cynique et déchirante : le cri réel devient un matériau, un « effet », du film d’horreur fauché – sublimation et vulgarité face auxquelles Travolta se bouche les oreilles comme Œdipe se crevait les yeux.