Film de Brian De Palma
Année de sortie : 1970
Pays d’origine : États-Unis
Scénario : Brian De Palma, Charles Hirsch
Photographie : Robert Elfstrom
Montage : Paul Hirsch
Avec : Robert de Niro, Jennifer Salt, Gerrit Graham, Ruth Alda.
Hi, Mom!, cinquième long-métrage de Brian De Palma, est très représentatif des techniques de réalisation et des thématiques fétiches du metteur en scène de Carrie, ainsi que de ses influences et de son regard sur la société américaine de l’époque.
Synopsis de Hi, Mom!
Jon Robin (Robert de Niro) loue un appartement délabré à New-York. Soutenu par un producteur de films pornographiques, il achète un télé-objectif et filme la vie des habitants de l’immeuble d’en face, dans le but de capturer quelques images salaces. Plus tard, il rejoint une troupe de comédiens afro-américains, et participe à un happening télévisuel revendicatif et engagé.
Critique
Deux ans après Greetings, le jeune réalisateur Brian De Palma (Body Double ; Blow Out ; Scarface ; Passion) retrouve le jeune comédien Robert de Niro, pour un autre film polémique dans lequel il réfléchit sur le pouvoir de l’image, le voyeurisme et le cynisme télévisuel, les valeurs matérialistes et les malaises d’une Amérique déchirée par les inégalités sociales et empêtrée dans la guerre du Vietnam.
Hi, Mom! est profondément ancré dans son époque. Dans les années 60, l’histoire de la télévision américaine est notamment marquée par l’assassinat de Kennedy et la guerre du Vietnam, largement diffusée ; deux phénomènes qui vont bouleverser aussi bien les consciences que les codes cinématographiques et l’art en général. 1969 est également l’année du démantèlement du mouvement le Black Panther Party, dont les membres les plus influents furent arrêtés, voire tués dans certains cas. Les comédiens afro-américains que Jon Rubin rencontre dans le film et la pièce filmée Be Black, Baby font clairement écho à ce contexte.
Le sujet permet à Brian De Palma d’expérimenter différents styles de réalisation cinématographiques et télévisuels (micro-trottoirs, caméra à l’épaule, etc.) et de convoquer plusieurs de ses influences, de Hitchcock (pour le thème du voyeurisme, exploité notamment dans Fenêtre sur Cour) à la nouvelle vague française, qui eut une influence assez importante sur de nombreux réalisateurs américains des années 60-70.
Hi, Mom! développe un point de vue assez visionnaire sur le pouvoir de l’image, qu’il s’agisse de cinéma ou de télévision, et son rapport perverti, ambigu et souvent trompeur avec la réalité. La première partie, celle où le personnage principal filme les habitants de l’immeuble d’en face avec son téléobjectif, avant de mettre en scène (à la seconde près) sa relation avec une jeune femme, est très révélatrice aussi bien du voyeurisme que de la manipulation et du mensonge qu’incarnent si bien, de nos jours, la télé-réalité (et la télévision en général).

Jon Robin (Robert de Niro) montre à son producteur le film qu’il a tourné. Mais le résultat ne concorde pas avec ce qu’il espérait.
La seconde partie exploite les mêmes ressorts, mais dans le cadre d’une démarche beaucoup plus politisée ; Brian de Palma y traite de la situation des noirs en Amérique, des inégalités sociales, du conflit au Vietnam, pointant du doigt de manière très explicite le système de valeurs et la politique d’un pays qui, comme il le démontre très clairement, génère de la folie et de la violence. On retrouve ce discours très engagé dans de nombreux autres films américains de l’époque (le Nouvel Hollywood a démarré quelques années plus tôt) ; ici, Brian De Palma l’assène littéralement sur la tête du spectateur. Le message n’est pas intégré à une histoire qui le transmettrait de manière plus ou moins subtile et nuancée, il est pour ainsi dire martelé à travers ce qui s’apparente à une véritable démonstration visuelle, avec tout ce qu’elle peut avoir de virtuose, de saisissant et d’intéressant, mais aussi un aspect plus limité et moins profond.
Ce parti pris est ce qui fait la cohérence et l’identité de l’œuvre ; d’un autre côté, il explique aussi pourquoi Hi, Mom! est davantage une curiosité révélatrice du regard d’un auteur sur son époque – et de ses nombreuses influences – qu’un très bon film, même si ses qualités cinématographiques sont indéniables.

Jon Robin (Robert de Niro) dans « Hi, Mom! »
Jon Rubin n’est pas vraiment un individu à proprement parler ; il est avant tout le reflet de plusieurs aspects de l’Amérique : une Amérique cynique, voyeuse et manipulatrice dans la première partie du film, une Amérique révoltée, violente et finalement démente dans la seconde. Une Amérique sacrifiée également, puisque Rubin revient du Vietnam. C’est donc un miroir sur lequel se projettent les malaises d’un pays et d’une époque ; sa propre personnalité et son ressenti n’affleurent jamais dans le film. La plupart des autres personnages ont d’ailleurs plus ou moins la même fonction symbolique – Brian de Palma cherchant davantage à démontrer quelque chose qu’à raconter une histoire, il ne laisse volontairement aucune place à la psychologie dans un film qui est principalement un exercice cinématographique au service d’un discours politique très engagé, doublé d’une réflexion sur la télévision, et plus généralement le pouvoir de l’image.
Tour à tour drôle et plus dérangeant (la scène autour de Be Black Baby, qui place le spectateur dans une position de voyeur, est assez pesante), toujours expérimental sur le plan de la réalisation et du découpage, Hi, Mom! est une œuvre de jeunesse pleine d'énergie et de conviction. Un collage d'influences, d'idées et de thématiques, un brûlot cinématographique audacieux, visionnaire mais aussi limité, qui vaut surtout comme témoin d'une époque et de l'émergence d'un réalisateur qui n'allait pas tarder à marquer l'histoire du cinéma.
2 commentaires
Cineaste très inegal. Le dernier bon étant a mon gout Carlito’s Way avec Al Pacino. Le Dalhia Noir est raté, et Dressed To Kill et Blow out complete la trilogie. Chapeau pour Phase IV! il fallait oser le ressortir. Et quel final!
Drôle et théorique témoin de son temps – l’accéléré de l’extrait fait penser à la bande-annonce de « Femme fatale ». L’effacement, modéré, du personnage renvoie à Godard, influence majeure du De Palma de cette époque. On peut aussi le lire comme un exercice d’entraînement avant la bombe « Redacted ».