Ce jeudi 25 avril était projetée, au Studio des Ursulines, la première séance de courts métrages en compétition dans le cadre du Festival Format Court 2024. D’emblée, la barre a été mise très haut…
Boléro, de Nans Laborde-Jourdàa
Réalisé (et écrit) par l’acteur et cinéaste français Nans Laborde-Jourdàa, Boléro raconte l’histoire d’un danseur prénommé Fran (interprété par François Chaignaud, lui-même chorégraphe), qui rend visite à sa mère. On sent qu’il ne souhaite pas trop s’attarder sur le territoire de sa jeunesse, pour des raisons qui, intelligemment, ne sont pas détaillées, mais qui ne sont sans doute pas sans lien avec ce qui passe ensuite. Lorsque sa sœur vient le récupérer, sa mère et lui, après une panne de voiture, Fran préfère regagner la ville à pied, en passant par la forêt environnante.
Je ne raconterai pas la suite en détails, bien évidemment ; mais ce film curieux met en scène une transe collective mystérieuse et sensuelle, cadencée par la rythmique entêtante propre au thème de Ravel qui donne son titre au court métrage.
La caméra capture une sorte de désordre chorégraphié, d’anarchie gracieuse, que le réalisateur nous laisse le soin d’interpréter. On peut aussi choisir de se laisser porter, sans trop réfléchir, par une situation troublante, qui ne détonnerait pas dans un recueil de Cortázar. De ma part, c’est un compliment.
Herbe verte, d’Elise Augarten
La première chose qui frappe dans Herbe verte, c’est le parti pris formel. Dans certains plans, la cinéaste Elise Augarten superpose des images animées à un fond « réel » – une manière, sans doute, de figurer la résurgence d’un traumatisme enfantin dans le présent de l’héroïne, résurgence provoquée par un objet évocateur (une balle rendue à un enfant, dans le métro).
Sujet intemporel (le trauma lié à une agression sexuelle, motif qu’on retrouve d’ailleurs dans Boléro) et d’actualité, dans la mesure où il est fréquemment discuté dans les médias et abordé dans la fiction. La force de ce court métrage est de proposer un dessin remarquable, finement colorisé et animé d’une façon particulièrement expressive, si bien qu’on ressent de manière saisissante ce qu’éprouve la protagoniste ; assurément, le sens esthétique des personnes impliquées ici ne fait pas le moindre doute.
Herbe verte, dépourvu du moindre dialogue, offre ainsi une expérience à la fois oppressante, douloureuse et non dénuée de poésie et d’un certain espoir. Sa virtuosité formelle, parce qu’elle sert une émotion authentique, n’a rien de démonstrative ; elle n’en est que plus impressionnante.
Le Vide, de Mandana Ferdos
Comme les rêves sont trompeurs, je les ai parfois rêvées heureuses.
Extrait de Le Vide, de Mandana Ferdos
Pendant le confinement lié à la pandémie de COVID, l’injonction de rester chez soi et les salles de cinéma fermées ont inspiré à Mandana Ferdos une idée de film, qui parlerait à la fois de la condition des femmes et de cinéma.
Deux sujets en un sens lié : lorsqu’à la fin des années 1970, la révolution islamique est survenue en Iran – le pays d’origine de la réalisatrice –, les femmes ont été obligées de porter le voile et de rester à la maison, tandis que les cinémas ont été condamnés (voire incendiés, à l’image du cinéma Rex à Abadan, où 470 personnes ont péri).
Peur des images, peur de la liberté des femmes… Le Vide (en référence aux rues désertes de Paris pendant le confinement) part de cette analogie saisissante, puis superpose un texte en voix off (prononcé par Ariane Naziri) à des images du Paris de 2020 mais aussi à des archives liées à l’enfance iranienne de Mandana Ferdos. Le texte est aussi puissant que sobre ; les images, composées de manière précise et inspirée, sont teintées d’une mélancolie profonde.
Le résultat est d’autant plus émouvant qu’il résonne particulièrement avec l’actualité en Iran, marquée par les manifestations de la population civile contre le régime abject des mollahs ; mais on aurait évidemment tort de limiter la portée de ce film remarquable à ce seul pays – sa portée est mondiale.
Note : Mandana Ferdos filme à un moment la façade d’un cinéma où apparaît l’affiche de l’excellent Claire Dolan, dont le sujet résonne avec celui de Le Vide.
Saint Lazare, de Louis Douillez
Plus léger que les deux films précédents, Saint Lazare, teinté d’une touche légèrement rétro (de par la photographie de Sacha Lévêque et à travers la musique également, qui évoque un peu le cinéma de la Nouvelle Vague), est pourtant résolument ancré dans son époque. Partant d’un quiproquo qui réunit un jeune homme (Lazare) et une jeune femme (Flore) dans l’appartement de cette dernière, Louis Douillez met en place un basculement habile : le jeune homme arrogant se révèle fragile et perdu, tandis que la jeune femme, qui semble d’abord un peu écervelée, se révèle pleine d’intuition.
Le texte, qui liste à peu près tous les termes désignant actuellement les genres et les sexualités, n’est pas un catalogue : il propose une vraie réflexion sur l’acceptation de soi, sur le poids des clichés, sur la pression sociale. Réflexion qui s’articule de manière ludique et que le jeu très convaincant des jeunes comédiens (Maximilien Delmelle et Yara Pilartz) sert à merveille. En prime, un dernier plan sobre et significatif, qui conclut parfaitement ce film à la fois drôle, malin et grave.
Le Songe de Joseph, de François Hébert
Voilà peut-être le plus énigmatique des courts-métrages de cette séance, ce qui n’est pas une critique. Le Songe de Joseph (a priori une référence au tableau de Georges de La Tour, Le Songe de saint Joseph) semble être une réflexion autour des théories développées par l’historien de l’art allemand Aby Warburg (1866-1929), en particulier celles qui concernent le pouvoir des images (ce qu’elles disent de la réalité objective, mais aussi et surtout ce qu’elles traduisent des hommes, ceux qui les confectionnent et ceux qui les considèrent ; source : Aby Warburg et le pouvoir des images
). C’est en effet en voyant la photo d’un tableau non identifié, collée sur l’une des pages du journal tenu par un jeune homme (interprété par Edouard Sulpice), que Maud (Agathe Mazouin) va éprouver un malaise soudain, dont elle va ensuite tenter de comprendre les raisons. Les recherches qu’elle mène, en tant qu’étudiante, sur Aby Warburg vont résonner curieusement avec sa propre expérience.
L’idée est intéressante, et le réalisateur François Hébert parvient, notamment à travers de lents mouvements de caméra sur les paysages environnants, à créer une atmosphère étrange, à la lisière d’une forme subtile de fantastique. Volontairement flottant, y compris dans sa conclusion, Le Songe de Joseph n’est peut-être pas le film qui m’a le plus saisi parmi cette sélection, mais les motifs qu’il explore, et sa tonalité suspendue, m’ont néanmoins séduit, au même titre que l’interprétation à la fois sobre et habitée d’Agathe Mazouin, dont le jeu rend très bien compte des angoisses et questionnements de son personnage.
Pour conclure
J’ai été sincèrement impressionné par la qualité de cette première sélection, tant sur le plan formel qu’au niveau des sujets explorés (certains revenant de façon récurrente, comme le poids du passé, par exemple), de la façon dont ils sont traités, de l’écriture et du jeu des comédiens. De toute évidence, Format Court confirme ici son statut de prescripteur et découvreur de choix en matière de courts métrages. Il me tarde de découvrir les autres séances, qui seront également chroniquées. En attendant, je vous invite à consulter le programme du festival, en cours jusqu’à dimanche prochain !
Consulter la chronique de la séance Focus Ville de Paris
Lire la chronique de la séance n°2
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