Nouvelle chronique du festival Format Court 2024, dédiée à la séance n°2 des courts métrages en compétition.
Pas le temps, de Camille Lugan
C’est très probablement un pur hasard, mais Pas le temps m’a fait songer à Power Signal, autre court métrage que j’ai vu dans le cadre du festival rennois Court Métrange (séance 4). Ces deux films illustrent la condition précaire et physiquement éprouvante des livreurs de repas dans les grandes villes. Là où Power Signal allait vers la science-fiction, Pas le temps reste plus ancré dans le réalisme, bien qu’explorant, le temps d’une scène brève mais assez fascinante, ce qu’on peut considérer comme une sorte de légende urbaine (réelle ou fictive, je ne saurais le dire) circulant entre les livreurs.
La mise en scène dynamique et le jeu de Sonia Bonny expriment parfaitement l’urgence permanente et oppressante à laquelle fait référence le titre, et qui régit le quotidien de Julie (la protagoniste), comme celui de ses pairs. Le récit est épuré, bref, efficace et bien sûr, il reflète une réalité sociale aussi indéniable que peu reluisante. On n’est pas si loin d’une forme d’esclavage moderne.
L’Américain de Maxime Renard
En dépit de son réalisme, ce court métrage a des allures de fable moderne sur le thème de l’enfermement social. Un jeune homme rêveur et mythomane, plutôt mal vu dans sa cité (ce n’est ni un dur ; ni un bon élève ; ni un séducteur), se retrouve coincé après s’être inventé un futur imaginaire à Los Angeles, futur qui lui vaut soudain le respect des autres.
Malik (Bilel Chegrani) porte les rêves des autres habitants de son quartier ; il suscite la fierté de ceux qui ne voient guère d’autres perspectives que celles des tours environnantes, qui semblent à la fois aimer et ne pas aimer cet environnement où l’ennui, le désœuvrement et la solidarité se côtoient.
Bilel Chegrani incarne avec grâce un personnage de loser attachant, tandis que le final n’est pas dépourvu d’une certaine ambiguïté.
Guerre las, de Jean-Baptiste Bertholom
On est en plein dans l’actualité (façon de parler : c’est un problème déjà ancien !) avec ce film d’animation qui chronique le mal-être des agriculteurs à travers un dessin âpre, hanté par une bande son volontairement répétitive. La perte de sens résonne dans chaque plan de ce film difficile, qui nous renvoie à une réalité à la fois proche, contemporaine et abstraite quand on ne la vit pas soi-même. C’est aussi cela, l’une des vocations du cinéma, que de nous rapprocher un tout petit peu, pendant quelques minutes en l’occurrence, de la vie des autres.
Le parti pris formel est hyper cohérent, avec ces images en format carré, flottant dans le noir, qui illustrent fort bien l’enfermement et la solitude du protagoniste.
L’Anniversaire d’Enrico, de Francesco Sossai
Nous voilà à l’aube de l’an 2000, avec cette perspective de bug qui n’est finalement pas arrivé, mais qui inquiète le jeune protagoniste italien de L’Anniversaire d’Enrico. L’inquiétude est d’ailleurs omniprésente ici. En filmant cette fête d’anniversaire se déroulant dans une maison située en territoire rural, Francesco Sossai semble vouloir saisir, à travers de nombreux plans rapprochés, différentes sources de malaise nichées au cœur du quotidien, qu’il s’agisse de la violence enfantine ordinaire (en particulier, celle des garçons entre eux), d’une vieille dame n’émettant plus qu’un son plaintif ou d’un chien aboyant dans la nuit.
Il ne se passe rien de très notable, à l’exception d’une fugue inattendue ; on peut d’ailleurs se demander si le metteur en scène n’a pas puisé cette histoire dans ses propres souvenirs. Toujours est-il qu’il se montre plutôt habile dans l’art d’exprimer la tension à partir de détails, et de rendre compte de la confusion intérieure propre à ce moment éphémère où l’on n’est plus tout à fait un enfant, pas encore vraiment un adolescent.
Note : je n’ai pas encore pu visionner Le Bannissement, l’un des courts métrages au programme de cette séance.
Pour conclure
Trois des cinq courts métrages projetés dans le cadre de cette séance reflètent, chacun à leur façon, des problématiques sociales et économiques contemporaines. Ma préférence personnelle s’oriente vers Pas le temps, mais chacun des films me semble porteur d’un point de vue singulier et intéressant ; ce qui vient confirmer mon sentiment que la sélection de Format Court est rigoureuse et inspirée.
Consulter la chronique de la séance n°1
Lire la chronique de la séance n°2
Lire la chronique de la séance n°3
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