Les séances 4 et 5 du festival Court Métrange, à Rennes, étaient respectivement liées à deux motifs phares du cinéma de genre : la vie extraterrestre ; les contes et légendes.
Avant la séance
Aucun rapport avec le festival, mais en tant que touriste en terre bretonne, je me devais d’évoquer deux adresses qui valent le détour, dont j’ai pu profiter entre les séances 5 et 4 (en effet, j’ai d’abord été voir la séance 5 à 21h30 le jeudi 28 ; puis une rediffusion de la séance 4 le lendemain à 14h30).
Il s’agit d’une part de Cavoua Coffee Spot, à Saint-Malo, dans lequel j’ai pris un délicieux petit déjeuner vers 9h du matin en attendant que la mer descende un peu pour pouvoir aller me baigner ; et d’autre part de La Timonerie, avenue Jean Janvier à Rennes, un lieu chaleureux où l’on sert une cuisine maison sans chichis, à prix doux, et où l’on est très bien accueilli.
Et maintenant, parlons cinéma.
Chroniques
Contrairement aux précédents articles qui détaillaient chaque court métrage projeté, je vais prendre le parti cette fois-ci de vous parler uniquement de ceux qui m’ont marqué. Pour une raison très simple : j’avais décidé de rédiger ces articles sur place uniquement, pour rester dans l’atmosphère du festival et des lieux, or je rentre ce soir à Paris, et j’ai dû quitter ma chambre d’hôtel (au Florin) ce matin. C’est donc au sein même du Village Métrange, dont j’ai déjà parlé, que je rédige cette chronique plus synthétique que les précédentes, en espérant que la batterie de l’ordinateur ne va pas réduire ma plume virtuelle au silence avant le point final de cet article.
Je tiens à préciser que la programmation de Court Métrange est franchement de bonne qualité, fait souvent la part belle à la singularité et que je n’ai vu aucun mauvais film pendant ces trois jours. Ceux que je n’évoque pas ci-dessous m’ont moins séduit, mais c’est une simple question de goût.
Séance 4 : des visiteurs venus d’ailleurs
Comme son titre le suggère fortement, cette séance propose des courts mettant en scène, d’une façon ou d’une autre, un ou plusieurs extra-terrestres. Ce sous-genre a produit de nombreux classiques ; à titre personnel, je citerais L’Invasion des profanateurs de sépulture (qui est aussi lié au thème du double, ce qui rejoint le thème de la séance 3) de Don Siegel (objet de plusieurs remakes), le célèbre Alien de Ridley Scott et le nettement plus confidentiel Extraterrestre de Nacho Vigalondo (découvert au PIFFF), mais les exemples sont légion.
Le film qui m’a de loin le plus séduit dans cette sélection est Power Signal (d’Oscar Boyson, USA). On y suit un livreur en restauration new-yorkais qui se montre plutôt sceptique quand ses collègues évoquent un mystérieux livreur qui n’aurait pas grand-chose d’humain. Lors d’une livraison chez un homme qui va lui parler, comme l’un des clients de Travis Bickle dans Taxi Driver, d’une rupture mal digérée, le protagoniste va être confronté à des événements pour le moins étranges.
La qualité première de Power Signal est son ambiance. Le film nous plonge dans une nuit urbaine que la bande son et la réalisation du film rendent palpable à l’écran. Ensuite, le récit surprend : son déroulement ne reprend pas les poncifs du genre. L’élément de science-fiction s’incarne dans un unique personnage, habillé comme n’importe quel livreur, et intervient dans un cadre tout à fait réaliste. Or, c’est une des choses qu’on attend du cinéma de genre, à mon sens, que de ne pas systématiquement emprunter les mêmes schémas narratifs que ceux établis par de nombreux films (et livres) plus ou moins célèbres.
Cerise sur le gâteau, on a droit à une bande originale type modern jazz qui m’a fait penser à du John Lurie, et même à une réhabilitation surprenante de C’est la ouate, le célèbre tube français des années 1980 chanté par Caroline Loeb.
Au niveau thématique, le film évoque directement la condition des travailleurs précaires, venant de pays multiples, soumis aux caprices et humeurs de leurs clients et à des rythmes de travail usants. Mais la symbolique derrière le fameux livreur extraterrestre m’a semblé opaque (vengeance sociale ? inversion des classes ?), ce qui n’est pas une critique : Power Signal m’a embarqué, du premier au dernier plan (qui m’a fait songer, dans un tout autre registre de fantastique, à The Invitation).
Séance n°5 : les mythes au logis
Avant de parler de cette séance, je rendrai hommage aux titres de chacune d’elles, qui sont quand même franchement bien trouvés. Ici, le jeu de mots indique que les courts en question vont traiter d’un mal de nature folklorique qui s’invite dans nos foyers.
La séance s’est ouverte par un film français de Rodrigue Huart, qui était d’ailleurs présent pendant le festival (et dont vous pouvez découvrir une interview par l’équipe Court Métrange dans la vidéo ci-dessous). Transylvanie nous parle du quotidien d’Ewa, une petite fille (10 ans) qui vit dans un immeuble de banlieue et qui est persuadée d’être une vampire. Pour ne pas affronter seule cette condition délicate, elle espère transformer à son tour quelqu’un d’autre, si possible un beau garçon évidemment.
C’est toujours intéressant, à mon sens, de prendre des motifs horrifiques anciens (en l’occurrence, le mythe du vampire) et de les insérer dans un contexte ultra banal et contemporain. On évite ainsi certains clichés usés du genre, et du même coup, on donne à une figure classique une résonance actuelle, intime et sociale à la fois. En l’occurrence, Transylvanie parle (selon moi en tout cas) d’ennui dans les banlieues, de solitude enfantine, de harcèlement social (la protagoniste est mal intégrée parmi les gens de son âge), et de l’idée que nos différences, notre non-conformité, peut nous sembler, à nous-mêmes, monstrueuse.
Tout cela est plutôt bien vu, et le final, dont je ne dirai rien bien sûr, m’a paru, à la réflexion, assez ambigu (on se pose la fameuse question : la caméra montre-t-elle une réalité objective ou le point de vue d’un personnage, en l’occurrence celui du jeune homme auquel Ewa s’est attachée ?). Or, en fiction, un minimum d’ambiguïté est souvent bienvenu, pour ne pas dire nécessaire.
Moshari (Nuhash Humayun, Bangladesh) m’a fait forte impression. On y suit deux sœurs devant dormir chaque nuit sous une moustiquaire à cause d’une invasion de créatures vampiriques ne sortant qu’après le coucher du soleil ; invasion qui a provoqué la chute de l’Occident (l’action se situe en Asie). Tout d’abord, le duo central est terriblement attachant (avec la grande sœur sévère et protectrice, la petite qui a besoin de tendresse : on devine que leur mère est morte).
Ensuite, la mise en scène et la photographie sont diablement efficaces (plusieurs scènes fonctionnent très bien en termes de flipomètre) ; enfin, cette étrange idée de moustiquaire est, à défaut d’être réaliste (on s’en moque), très poétique. Elle permet au réalisateur de fabriquer de très jolis plans (voire la scène où la petite fille frôle la moustiquaire qui ondule sous ses gestes, symbole d’une frontière fragile entre le foyer et le monde extérieur) et par ailleurs, cette forme de confinement radical (il n’y a pas beaucoup de place sous une moustiquaire) m’a semblé faire écho, de façon implicite et jamais appuyée, à la pandémie de COVID. Quant au sort de l’Occident dans le film, on peut y voir une critique de l’arrogance des occidentaux, ou encore de leur économie (en partie) destructrice.
Si on ajoute à cela une conclusion émouvante mais absolument pas pathos, on tient un excellent court métrage, à la fois prenant et proposant un saisissant contenu émotionnel et symbolique, voire politique.
Après la séance : conférence sur les représentations et les symboles de l’eau dans le cinéma de genre
Ce même jour, à 18h30, le festival avait organisé une conférence autour de l’eau dans le cinéma de genre (son utilisation ; ses significations), qui s’est déroulée au musée des Beaux-Arts de Rennes, quai Emile Zola. Sitôt la chronique ci-dessus achevée, je m’y suis rendu (il ne faut pas plus de cinq minutes pour rejoindre le musée depuis le Village Métrange).
La conférence était tenue par Guy Astic, enseignant en cinéma, éditeur (directeur des éditions Rouge profond) et auteur de plusieurs ouvrages (dont un livre sur Twin Peaks), et Olivier Scheffer, spécialiste de l’esthétique romantique allemande, grand amateur de cinéma de genre et auteur notamment de Figures de l’errance et de l’exil, dont la couverture est une photo issue de Carnival of Souls, un classique du cinéma fantastique.
Il s’agissait donc de réfléchir sur l’eau dans le cinéma de genre. Comment est-elle utilisée ? Que représente-t-elle selon les cas de figure ? Les propos étaient illustrés par plusieurs extraits de films, dont le premier a justement été Carnival of Souls. Il a aussi été question de The Fog (John Carpenter), des Griffes de la nuit (la célèbre scène de la baignoire), d’Abyss, de Under the Skin…

Des références littéraires (Lovecraft), poétiques et philosophiques (Bachelard) ont également été citées et commentées dans cette conférence fort intéressante, qui a permis d’éclairer plusieurs symboliques de l’eau (l’inconscient, le hors-champ, la mort, l’inconnu…). Des membres du public ont d’ailleurs émis des réflexions pertinentes à la fin de la conférence. Je me souviens par exemple d’une intervention citant Dark Water ou encore les films de Bonello ; du point de vue d’une apnéiste regrettant que les fonds marins soient associés presque uniquement, dans la fiction, à quelque chose d’anxiogène…
Pour ma part, j’ai évoqué les films Calme Blanc et Les Cinq diables, réalisant pour la première fois que l’eau, dans ce film de Léa Mysius, avait une fonction symbolique forte (la renaissance et le pardon), et venait s’opposer à la notion du feu (également fondamentale dans le film). Je n’aurais peut-être jamais songé à cela sans cette conférence, et sans les propos de Guy Astic réagissant à ma brève intervention.
C’est tout l’intérêt des conférences. Les mots et commentaires des autres nous amènent à reconsidérer des choses, à développer des idées, et en les formulant, cela peut faire à leur tour réagir les conférenciers ou quelqu’un du public. Indéniablement, ce événement a été une belle façon de ponctuer ma venue à Court Métrange et ma visite à Rennes. Il faudra que je songe à enrichir bientôt ma chronique des Cinq diables, qui me paraît soudain passer à côté de l’essentiel… Autrement dit, à côté de l’eau.
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