La Cinémathèque française programme, le samedi 7 mars prochain, un classique du cinéma de science-fiction : L’Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers). Un film au sujet intemporel, qui a fait l’objet d’interprétations variées et qui produit un écho distinct selon les points de vue et les époques. Certaines caractéristiques de la société moderne renvoient d’ailleurs directement à la problématique qu’il soulève.
À propos du film
L’Invasion des profanateurs de sépultures est sorti en 1956. Il est basé sur le second roman de l’écrivain américain Jack Finney, The Body Snatchers (publié en 1955). Sans dévoiler son dénouement, le film raconte l’histoire d’un jeune médecin habitant dans une petite ville de Californie, qui recueille plusieurs témoignages inquiétants : de nombreuses personnes prétendent ne pas reconnaître leurs proches, évoquant un comportement différent, étrangement détaché. Le médecin se demande s’il ne s’agit pas d’un cas de Capgras delusion (délire d’illusion des sosies de Capgras), un trouble mental qui occasionne ce type de paranoïa. Mais la suite des événements le pousse peu à peu à envisager une autre hypothèse…
Le film est considéré comme un incontournable de la science-fiction au cinéma. Son réalisateur est Don Siegel, connu principalement du grand public pour L’Inspecteur Harry mais qui a livré de nombreux excellents films nettement moins célèbres, à l’image de Tuez Charley Varrick ou encore Les Proies. L’écriture du scénario a été confiée à Daniel Mainwaring, écrivain et scénariste qui a notamment signé le script de La Griffe du passé, de Jacques Tourneur (un classique du cinéma noir américain, avec Robert Mitchum) ; mais comme souvent, plusieurs personnes ont contribué, dans l’ombre, à l’écriture. Sam Peckinpah, proche de Siegel, aurait d’ailleurs travaillé comme conseiller sur l’élaboration d’une partie des dialogues.
L’influence de L’Invasion des profanateurs de sépultures sur le cinéma de science-fiction est majeure. Il a été l’objet de plusieurs remakes, dont les plus célèbres ont été réalisés par Philip Kaufman et Abel Ferrara ; mais le style du film et ses thématiques ont inspiré de nombreux autres cinéastes.
Un sujet intemporel, et donc d’actualité…
Des interprétations multiples
J’ai vu pour la première fois L’Invasion des profanateurs de sépultures (quel titre !) en classe de première littéraire, dans le cadre d’un cours d’histoire donné par un professeur cinéphile. Il n’avait pas choisi ce film par hasard : nous étions en train d’étudier la période de la guerre froide, et il nous expliquait que le rejet du communisme s’exprimait alors largement dans le cinéma américain, en particulier dans le cinéma de genre. L’Invasion des profanateurs de sépultures mais aussi la première version de The Thing (The Thing from Another World, sorti en 1951) s’inscrivaient, selon lui, dans cette tendance.
Sa démarche était intéressante mais en réalité, son interprétation était en partie réductrice : s’il est très probable que selon ses producteurs, L’Invasion des profanateurs… était bel et bien une dénonciation du communisme, le film autorise d’autres interprétations. Plus tard, certains critiques de cinéma y ont vu une dénonciation du maccarthysme ce qui, politiquement, représente le point de vue opposé. Don Siegel, son (brillant) réalisateur, a quant à lui confié qu’il s’en prenait en réalité… aux producteurs hollywoodiens, des légumes
, pour le citer !
La coexistence de ces différentes lectures, qui sont toutes valables dans l’absolu, illustre bien qu’une œuvre d’art est souvent, par définition, ambigüe et complexe. Si elle n’articule pas un discours moral et/ou politique extrêmement précis, et il me semble que c’est préférable (sinon, on n’est jamais très loin de la propagande), elle laisse au spectateur la possibilité de s’interroger sans qu’il ne soit nécessaire, et même souhaitable, de parvenir à une réponse unique et définitive. Possibilité que, malheureusement, une bonne partie du cinéma contemporain n’offre pas, justement parce qu’il cherche à articuler un discours moral explicite, souvent convenu par ailleurs.
La seule chose qui soit difficilement contestable dans le cas du film de Siegel, c’est qu’il illustre l’horreur que représente la mort de l’individualité, écrasée sous le poids de la pensée unique, qu’on pourrait comparer à une masse uniforme (comme le fameux Blob, un autre classique du cinéma de SF des années 40-50). Mais son message politique n’est pas clair et c’est tant mieux : en affirmant, de façon explicite, une idéologie précise, le film contredirait presque sa propre démarche initiale.
Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce qu’il ait été l’objet de plusieurs remakes ; le sujet du film est en effet largement intemporel, et chaque époque porte, en son sein, une nouvelle manière de l’aborder et de l’illustrer.
Des résonnances profondément actuelles
Aujourd’hui, un réalisateur qui déciderait de tourner une nouvelle version de L’Invasion des profanateurs de sépultures n’aurait pas à chercher l’inspiration bien loin : l’uniformisation des discours, et la condamnation verbale récurrente, et sans discernement, de tout propos (quels que soient la forme ou le support choisis) jugé non conforme à un certain « ordre moral », est particulièrement flagrante de nos jours, et les réseaux sociaux favorisent largement ce phénomène de lissage systématique du langage et donc, de l’art. Phénomène qui est en partie positif, quand il s’agit de pointer des propos ou attitudes discriminants par exemple, mais qui prend parfois des proportions excessives, et ne s’embarrasse pas toujours (et même rarement) de nuances.
Les gens qui fustigent violemment un tweet, s’offusquent d’un post Facebook en insultant copieusement son auteur(e), critiquent un film (ou un roman) ne présentant pas un caractère ouvertement moraliste ou didactique (ce qui n’est en rien la vocation de l’art), m’évoquent un peu les clones menaçants qui, dans les films de Siegel, de Kaufman et de Ferrara, montrent du doigt un individu en poussant un cri de ralliement, voué à prévenir la masse de son inacceptable présence.
Allez donc voir L’Invasion des profanateurs de sépultures à la Cinémathèque, le 7 mars 2020 prochain : plus de 60 ans après sa sortie, il décrit une société bien proche de la nôtre…
Plus d’informations sur la séance du 7 mars 2020 sur le site de La Cinémathèque
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