Vendredi 13 mars, à 20 heures, la cinémathèque française projetait La nuit des horloges et Le viol du vampire, soit le dernier et l’un des premiers films du réalisateur Jean Rollin, une des figures emblématiques du cinéma bis français. A cette occasion, Rollin dédicaçait ses mémoires, « Moteur, coupez », et répondait aux questions des spectateurs.
On aime ou pas le cinéma de Jean Rollin, mais difficile de ne pas apprécier l’homme et son envie intacte de faire des films, avec le peu d’argent dont il dispose. Je ne peux pas commenter avec précision la filmographie du réalisateur, n’ayant vu que La nuit des horloges – en même temps, le fait que ce film intègre de nombreux plans issus de ses anciennes oeuvres, sa vision permet de se familiariser avec l’univers de Jean Rollin dans son ensemble.
Rollin, figure emblématique du cinéma bis français
En quelques mots, Jean Rollin est l’un des rares réalisateurs français à s’être aventuré dans le fantastique. Emblème d’un cinéma bis financé au compte goutte (son dernier film a été tourné en plusieurs fois, l’équipe reprenant le tournage dès que Rollin, également producteur, parvenait à réunir un peu d’argent), Rollin filme des vampires, des jolies filles légèrement ou pas vêtues du tout, de la violence volontairement pas réaliste, bricole des plans parfois plutôt inventifs et semble influencé par le surréalisme (il cite Buñuel dans son dernier film) et le dadaïsme.
Probablement pour des raisons alimentaires, Rollin a même tourné, sous divers pseudonymes, de nombreux films pornographiques aux titres plutôt explicites : Remplissez-moi les 3 trous, Par devant et par derrière, Folies anales, etc. Il précise dans ses mémoires que les tournages se faisaient dans une ambiance bon enfant, entre personnes qui s’appréciaient et se respectaient.
C’est à ma connaissance la deuxième fois, avec La Nuit des horloges, qu’il fait appel à une actrice x (Ovidie en l’occurrence) pour jouer dans un film non pornographique, puisqu’il a tourné plusieurs fois avec Brigitte Lahaie.
Un cinéma en voie de disparition en France ?
Si les séries Z ont leur public notamment en Angleterre et aux Etats-Unis (pays dans lesquels Rollin a de véritables fans), c’est de moins en moins le cas en France. En réalité, ces films sortaient dans des petites salles de cinéma aujourd’hui disparues ou du moins de plus en plus rares. C’est regrettable, car le film bis possède un charme indéniable, et le cinéma français actuel, tragiquement pas inspiré et cantonné dans peu de genres différents, gagnerait à soutenir et à laisser davantage de place à ces films sans prétention.
Il y a d’ailleurs peu de chances que La nuit des horloges soit distribué en France ; l’unique distributeur auquel le metteur en scène a fait parvenir une copie du film n’ayant pas cru utile de lui répondre. Rollin a l’habitude de ce type de difficultés ; le seul exemplaire de L’itinéraire marin, réalisé avant Le viol du vampire, a d’ailleurs apparemment brûlé dans un laboratoire.
Le viol du vampire
Après la projection de La nuit des horloges, qui met donc en scène Ovidie dans le rôle d’une femme évoluant dans l’univers fantasmagorique d’un écrivain et réalisateur disparu – Michel Jean, en réalité Rollin lui-même – le réalisateur revenait avec une perceptible nostalgie sur la sortie de Le viol du vampire.
Réalisé alors qu’il avait 27 ans, et ne connaissait, selon ses propres dires, à peu près rien au cinéma, Le viol du vampire a été en partie totalement improvisé, tous les exemplaires du scénario fournis à l’équipe artistique et technique du film ayant été égarés au cours du tournage. Toujours selon le réalisateur, personne n’a jamais rien compris en film (à part lui).
Le viol du vampire est l’unique film à être sorti une semaine du mois de mai 68, en raison des événements de l’époque. Cette absence de concurrence fait que de nombreux spectateurs ont été voir le film, les réactions variant de la plus totale indignation – due à l’incohérence (voulue) du scénario et à des scènes plutôt osées – à la franche rigolade. Ecran bombardé de projectiles, spectateurs quittant la salle après quelques minutes (permettant ainsi à ceux qui faisaient la queue dehors d’entrer à leur tour), critiques assassines, Le viol du vampire a reçu un accueil plutôt violent, provoquant un véritable petit scandale.
Jean Rollin a évoqué non sans amusement certaines séquences tournées alors qu’acteurs et techniciens étaient bourrés (après avoir bu des grogs « très chargés en rhum »), d’où la démarche incertaine des comédiens et un cadreur endormi pendant le tournage d’une scène. Le film a également eu des problèmes avec la censure du fait d’un plan montrant un homme vampire nu, Rollin ayant remédié au problème en dissimulant l’essentiel derrière les lettres du générique lors de la projection du film aux censeurs (apparemment, la nudité féminine ne posa pas de problèmes).
« On fait des films avant tout pour soi »
Rollin, qui préfère filmer des vampires femmes et on ne l’en blâmera pas, semblait content que l’ensemble des spectateurs soit resté au cours de la projection, lui qui était habitué à ce que ses films provoquent le départ prématuré de certains d’entre eux. Il semblait fier et heureux de son travail, tout en témoignant d’une humilité et d’une absence de prétention totales et très appréciables. Ainsi que d’une évidente et sincère passion pour le cinéma.
A la question d’un spectateur qui avait l’impression que Rollin avait tourné La nuit des horloges pour lui alors que ses précédents films lui semblaient davantage dédiés au plaisir des spectateurs, le réalisateur répondait intelligemment que tout metteur en scène témoignant d’un minimum de personnalité ne réalisait au fond des films que pour lui-même – quand bien même espère t-il que son oeuvre trouvera son public. Rollin citait en contre exemple Bienvenue chez les Ch’tis, tourné selon lui « pour les spectateurs ». Alors quoi, Dany Boon serait un réalisateur dénué de personnalité?
3 commentaires
Ayant assisté il y a quelques mois à une avant-première (voire même plus étant donné le statut du film à l’époque, qui a apparemment peu évolué), de la Nuit des Horloges, nous avons pu discuter avec le réalisateur à l’issu de la diffusion de son film.
Déjà en tant que passionné de vampire (http://blog.vampirisme.com/vampire/ en est la preuve), j’éprouve un attachement certain à l’oeuvre du bonhomme, qui oeuvre bon gré mal gré dans le giron du cinéma de genre, voire bis, depuis ses débuts.
Il est déjà touchant de noter que au fur et à mesure des questions, a émergé l’image d’un réalisateur intègre, qui filme à l’instinct, et semble privilégier l’amour des images et de l’esthétisme à celui du scénario. Un choix qui donne un résultat unique sur l’ensemble de son oeuvre.
Kitsch, pas toujours bien joué, les films de Rollins n’en sont pas moins des très bons exemples que le cinéma de genre à une existence en France, et que certains réalisateurs continuent de le faire vivre, malgré les difficultés (le récit du tournage de la nuit des Horloges ainsi que sa durée sont une vraie histoire de fou).
[…] Jean Rollin à la cinémathèque de Citizen Poulpe […]
On retiendra de Rollin le rôle iconique de Brigitte Lahaie dans « Fascination », avec sa grande capeline et sa lourde faux, ou bien son personnage tragique de « La Nuit des traquées » (pour la petite histoire, l’actrice tricotait sur le tournage des films X signés Gentil !). Une considération aussi, en forme de constat : dans l’économie bourgeoise du cinéma français, l’horreur fit toujours figure de parent pauvre, malgré quelques francs-tireurs par définition isolés, et les pouvoirs établis, comme souvent, rendent hommage aux artisans sur le point de périr. Genre prolétaire plus encore que populaire, le cinéma d’horreur survit encore dans des cultures possédant une tradition de divertissement héritée de la fête foraine (les USA) ou du folklore oral et historique (l’Asie, l’Espagne). L’obscénité budgétaire de « World War Z », estimé à 175 millions de dollars, laisse dès lors songeur.