Film de Don Siegel
Titre original : Charley Varrick
Année de sortie : 1973
Scénario : Howard Rodman et Dean Riesner, d’après le roman de John Reese.
Photographie : Michael C. Butler
Montage : Frank Morriss
Avec : Walter Matthau, Joe Don Baker, Felicia Farr, Andrew Robinson, Norman Fell, Woodrow Parfrey, Jacqueline Scott, William Schallert, John Vernon.
Molly (qui vient de frapper un homme) : I allow very few men to speak to me in that tone. Few caucasians. And no nigras at all.
Sorti plutôt discrètement en 1973, Tuez Charley Varrick, de Don Siegel, est devenu – quelques décennies plus tard – un polar culte des années 70. Un statut largement mérité.
Synopsis de Tuez Charley Varrick
Début des années 70, au Nouveau Mexique. Charley Varrick (Walter Matthau), sa femme Nadine (Jacqueline Scott) et deux complices – Harman Sullivan (Andrew Robinson) et Al Dutcher (Fred Scheiwiller) – braquent une petite banque locale. Le hold-up tourne mal et une fusillade éclate, au cours de laquelle Nadine abat un policier avant d’être sérieusement blessée à son tour.
Les bandits parviennent néanmoins à s’enfuir. Charley Varrick réalise alors qu’ils ont dérobé une somme colossale, disproportionnée par rapport à la modestie de l’établissement. Rapidement, ils se retrouvent traqués non pas uniquement par la police, mais également par la mafia, qui embauche un tueur redoutable – Molly (Joe Don Baker) – pour retrouver Varrick et l’abattre…
Critique du film
Don Siegel par Alain Corneau
Dans l’édition française du DVD de Tuez Charley Varrick, Alain Corneau parle remarquablement bien de son metteur en scène. Selon lui, Don Siegel était un « artisan d’art », un réalisateur humble, consciencieux, qui préparait minutieusement ses plans et tournait vite. Un véritable auteur, avec un regard et un discours, mais qu’il n’a jamais martelés ou revendiqués ; il « avançait masqué », pour reprendre les mots du metteur en scène regretté de Série noire et Le Choix des armes.
C’est sans doute la sobriété de son style et son sens de l’économie qui expliquent en partie pourquoi les points de vue sur ce cinéaste de premier ordre sont parfois réducteurs. Tout comme il était réducteur et simpliste, comme le rappelle justement Corneau, de considérer Harry Callahan comme l’alter égo de Don Siegel (réalisateur de L’Inspecteur Harry). Ce dernier, qui donna très peu d’interviews dans sa vie, ne chercha d’ailleurs pas à démentir ou à se justifier. Corneau le voit comme un « humaniste pessimiste », un fin observateur de son époque, et lui prête une influence majeure sur le cinéma américain et même européen. Don Siegel, ne l’oublions pas, fut l’un des maîtres de Clint Eastwood, qu’il dirigea dans L’Inspecteur Harry mais aussi dans Un Shérif à New York, Sierra Torride et l’excellent Les Proies, un drame d’une noirceur et d’un cynisme inouïs. Eastwood dédia d’ailleurs à Siegel son film Impitoyable.

Don Siegel et Clint Eastwood. Source : http://www.findeseance.com/Don-Siegel-1912-1991
Rappelons aussi que Don Siegel est le réalisateur de l’un des premiers grands films de science-fiction, l’excellent Invasion of the Body Snatchers, sorti en 1956.
En résumé, Siegel fait un peu songer à ce type de musiciens qui ne cherchent pas à se mettre en avant, et dont le jeu pourrait paraître appliqué mais un poil conventionnel à une oreille distraite, tandis qu’une écoute plus poussée révélerait les subtilités – les audaces, même – de sa partition.
Tuez Charley Varrick : un polar efficace et un vrai film d’auteur
La mise en scène
Tuez Charley Varrick illustre très bien les propos tenus par Alain Corneau sur Don Siegel. Les cadrages, le montage, le jeu des acteurs et la musique (signée Lalo Schiffrin) imprègnent le film d’un rythme et d’une énergie remarquables. On a l’impression qu’il n’y aucun plan de trop. Chaque scène du film témoigne d’une précision et d’une concision parfaites. Siegel ne se regarde pas filmer, il est entièrement voué à un noble objectif : obtenir le meilleur rendu possible en un minimum de temps.
Ce qui impressionne, c’est que là où ce sens de l’efficacité pourrait rendre le film certes rythmé et bien calibré mais relativement creux, il n’en est rien : non seulement Don Siegel signe des images très abouties sur le plan esthétique (plusieurs plans tournés en extérieur sont superbement cadrés et photographiés), mais il s’intéresse vraiment aux personnages et à l’histoire qu’il raconte, tirant le meilleur parti du scénario, des comédiens et de chaque séquence du film. Par exemple, la scène où le directeur de la banque Harold Young (Woodrow Parfrey) discute avec Maynard Boyle (John Vernon), le PDG, aurait presque pu être anecdotique, accessoire. Mais la justesse des dialogues, la mise en scène de Don Siegel et la beauté des plans (le chef opérateur est Michael C.Butler, qui travailla également sur The Missouri Breaks) lui donnent une force réelle ; au final, elle permet d’approfondir les personnages et de souligner la vulnérabilité de Young.

John Vernon et Woodrow Parfrey. « I can’t start my life over again now. »
Les personnages et la dimension emblématique du protagoniste
L’un des atouts de Tuez Charley Varrick réside dans ses personnages, tous bien définis, même s’ils n’apparaissent que quelques instants à l’écran. Il n’y en a pas un, secondaire ou non, qui n’a pas une caractéristique intéressante ou simplement amusante, tous sont dépeints avec justesse et présentent une réelle dimension humaine : le directeur de la banque désespéré par la situation dans laquelle il se retrouve ; la vieille dame un tantinet lubrique ; l’armurier handicapé redoutable en affaires ; la photographe sexy et pleine de caractère ; le shérif empathique et déterminé ; le complice alcoolique, teigneux et stupide (Andrew Robinson, qui interprète le rôle du tueur dans L’Inspecteur Harry)… Molly, l’homme de main chargé de récupérer l’argent pour le compte de la mafia, est de ces salauds charismatiques qu’on aime tant voir dans ce type de films. L’acteur Joe Don Baker, dont cela restera la composition la plus remarquable, donne à ce personnage sadique, macho et raciste une présence indéniable. On le retrouvera bien plus tard dans Les Nerfs à vif, de Martin Scorsese (remake du film éponyme de 1962) ; il y interprète le rôle de Claude Kersek, un homme engagé par Sam Bowden (Nick Nolte) pour faire abattre le redoutable Max Cady (Robert de Niro).

Molly : « You just keep throwing your feathers, mister, before I put you in the hospital ».
Et il y a bien sûr Charley Varrick, qui donne son titre au film (le titre original est simplement Charley Varrick). Flegmatique, réfléchi, rusé, séducteur, le personnage est original et intéressant, très loin des archétypes du genre. Il ne veut pas vraiment de tout cet argent, sale de surcroit ; c’est avant tout un homme qui a cherché à gagner sa vie simplement, en marge de toute organisation importante, légale ou non. Sa volonté de rester en dehors de tout ça et de ne pas s’attirer des ennuis est telle que son premier réflexe est de vouloir rendre l’argent du braquage à la mafia. Original pour le « héros » d’un film de ce genre…
Varrick représente cette figure en un sens mythique de l’américain attaché à son indépendance et à sa liberté (le slogan de son entreprise est the last of the independants), mais sans en être la caricature, et là est toute l’intelligence d’un scénario qui ne cherche jamais à idéaliser l’homme. En dépit de ses bons côtés, il reste un braqueur de banques qui ne s’embarrasse guère de scrupules et réfléchit avant tout à son propre intérêt et à sa survie. Si Charley Varrick incarne bel et bien, à sa façon, certaines valeurs (sans doute chères à Don Siegel), il est loin d’en être un symbole immaculé, et ce sont ces nuances et cette ambiguïté qui font l’épaisseur, la crédibilité et l’originalité du personnage. Évidemment, impossible de ne pas évoquer la performance de son interprète, l’acteur Walter Matthau, dont le charisme, la décontraction et le charme singulier servent remarquablement bien son rôle.
Le propos
C’est essentiellement à travers le personnage de Charley Varrick que passe le discours, discret mais bien réel, du film : Tuez Charley Varrick illustre, efficacement et sobrement, le combat inégal entre l’individu et le pouvoir, celui-ci étant représenté à la fois par la mafia et par ces « grands groupes » qui ont empêché le héros de prospérer en tant qu’entrepreneur indépendant. Cette valeur de l’individu vis à vis des organisations puissantes qui l’entourent est très ancrée dans une tradition américaine qu’évoquent, d’une certaine manière, les très beaux premiers plans du film (des images bucoliques de la campagne).
Un autre personnage du film symbolise ce rapport de force déséquilibré : Harold Young (Woodrow Parfrey), le directeur de la banque braquée par Charley Varrick et ses complices. Soupçonné de traîtrise par la mafia, cet homme au fond modeste et consciencieux (I’m not an ambitious man
, people appreciate the way I restored the bank
, for the first time in my life, I found a place that I love
, dit-il à Boyle) réalise avec désespoir que son existence n’a aucune valeur aux yeux de ceux dont il s’est fait le complice, et qu’il n’a ni la force ni la volonté de fuir. Son cas illustre donc tout aussi bien que celui de Varrick la solitude de l’individu qui n’avait d’autre objectif que de mener une existence paisible, mais qui finit par se retrouver confronté à une organisation qui le dépasse.
Don Siegel, dans sa carrière, n’a pas cherché à lutter contre les « puissants », c’est à dire les producteurs ; il s’est arrangé pour réaliser des films bien vus des studios, et dans lesquels il exprimait, avec humilité, discrétion et retenue, ses observations et ses talents de réalisateur. En un mot, son point de vue en tant qu’individu, et c’est là où il rejoint le héros de ce très bon film.
C’est ce regard à la fois sobre et empreint d’humanité que Siegel porte sur les personnages et les paysages qu’il filme, ainsi que le discours sous-jacent d’une intrigue policière remarquablement bien menée, qui font de Tuez Charley Varrick certes un polar efficace, mais aussi un véritable film d’auteur. À découvrir d’urgence.
Tuez Charley Varrick est un film original, efficace et percutant qui, dans sa manière de mettre en scène la lutte de l'individu contre les institutions, comporte un sous-texte politique. Un petit bijou des années 70, adulé par un certain Quentin Tarantino...
5 commentaires
Tres bon film. Les plans au début montrant les petits éleveurs, révellent justement pourquoi les gens, par désespoir, en arrivent a ce constat .Un braquage ou la mort. Un excellent thriller.
Oui très juste, les premières images du film sont très significatives.
oui,je confirme c’est un très bon film, le coup de cœur des années 70.
Joe don baker en tueur a gage, son jeux décontracté et inquietant, m’a marqué. « Je m’appelle Molly ». phrase drole , mais faut pas ce moquer!
Conseil de lecture : son autobiographie, chez Faber & Faber, intitulé « A Siegel Film ». L’affiche au revolver fait penser aux toiles warholiennes d’« Étreintes brisées » d’Almodovar.