Film de Phillip Noyce
Pays : Australie
Année de sortie : 1989
Titre original : Dead Calm
Scénario : Terry Hayes, d’après le roman Dead Calm de Charles Williams
Photographie : Dean Semler
Montage : Richard Francis-Bruce
Musique : Graeme Revell
Avec : Sam Neill, Nicole Kidman, Billy Zane
Calme Blanc est un thriller maîtrisé, dont le récit à suspense illustre en filigrane le parcours intime du couple incarné par Nicole Kidman et Sam Neill.
Synopsis de Calme blanc
John, officier de la marine nationale australienne, et son épouse Rae partent seuls en croisière sur l’océan Pacifique, pour tenter de se remettre tant bien que mal de la mort de leur fils unique. Rae, qui conduisait la voiture lors de l’accident qui coûta la vie à l’enfant, est particulièrement traumatisée. Un matin, ils aperçoivent un navire apparemment endommagé par une tempête.
Quelques instants plus tard, une barque s’approche peu à peu de leur bateau…
Critique et analyse du film
Premier succès international du réalisateur australien Phillip Noyce, Calme Blanc porte la signature de la société de production Kennedy Miller, fondée comme son nom l’indique par le tandem Byron Kennedy/George Miller, à qui l’on doit notamment la célèbre trilogie (bientôt une quadrilogie) Mad Max. Miller dirigea d’ailleurs la seconde équipe de tournage sur Calme Blanc tandis que plusieurs de ses collaborateurs figurent au générique, dont le monteur Richard Francis-Bruce, le brillant chef opérateur Dean Semler et enfin le scénariste et producteur Terry Hayes.
C’est ce dernier qui signa le scénario de Calme blanc, basé sur un roman (Dead Calm) de Charles Williams, célèbre auteur américain de polars hard-boiled dont l’univers a inspiré aussi bien François Truffaut (Vivement dimanche) que Dennis Hopper (Hot Spot, sorti un an après Calme Blanc). Sans oublier Orson Welles qui, entre 1966 et 1969, tourna une première adaptation de Dead Calm, rebaptisé The Deep, avec Laurence Harvey et Jeanne Moreau – malheureusement le film ne fut jamais terminé (plus d’informations ci-dessous).
Des différences significatives entre le roman et le film
Il existe des différences majeures entre le roman de Williams et le script écrit par Hayes, et ces différences donnent des indications importantes sur le sens de Calme blanc. Le roman compte au moins six personnages – quand le film n’en met en scène que la moitié – et développe de façon détaillée (et semble-t-il assez empathique) la psychologie de Hughie (Billy Zane). Or la personnalité et l’histoire de celui-ci sont à peine esquissés dans Calme blanc : c’est un dangereux paranoïaque, point final, et il n’existe pas le moindre dialogue, même allusif, qui permettrait de mieux comprendre les origines de sa pathologie – encore moins de susciter une once de sympathie à son égard.
Autre différence, et non des moindres : John et Rae Ingram sont en lune de miel dans le roman, tandis que dans Calme blanc le couple voyage en bateau pour se remettre d’une tragédie (la mort accidentelle de leur unique enfant).
Un thriller qui s’intéresse avant tout au parcours intime d’un couple en crise
Le scénario est donc nettement plus épuré que le roman ; il est aussi plus manichéen et moins étoffé psychologiquement, en tous cas en ce qui concerne le traitement du personnage de Hughie. Ce parti pris aurait pu appauvrir le matériau original, mais en l’occurrence il donne à Calme blanc un sens de lecture qui est loin d’être inintéressant. En ne mettant en scène que le couple et l’intrus (on songe à des films comme Le Couteau dans l’eau de Roman Polanski, ou au Plein Soleil de René Clément), et en réduisant ce dernier à une menace pure, Terry Hayes et Phillip Noyce nous racontent avant tout l’histoire d’un couple brisé qui, dans l’adversité, va tenter de se retrouver (ils sont, dans le film, très rapidement séparés par les circonstances). Tout personnage supplémentaire aurait parasité cette approche ; quant à Hughie, il n’est pas développé outre mesure car il n’est qu’un corps, un obstacle se dressant sur la route des Ingram.

Son rôle dans « Calme blanc » lancera la carrière internationale de Nicole Kidman, qui était largement méconnue à l’époque de la sortie du film.
La croisière tourmentée de John et Rae métaphorise donc le parcours d’un couple en crise, confronté aux épreuves de l’existence et qui doit se reconstruire (dans cette lutte, le rôle de la femme prend d’ailleurs à contre-pied certains clichés cinématographiques). Cette idée de renouveau est symbolisée par l’eau sur laquelle naviguent les Ingram (l’eau étant souvent associée, notamment dans la religion judéo-chrétienne, aux concepts de purification et de renouveau).
Un parallèle subtil entre deux séquences
Cette dimension de l’histoire est flagrante au cours de la séquence montrant Rae (Nicole Kidman) naviguer en direction du bateau où son époux (Sam Neill) est supposé se trouver. Longue d’une bonne dizaine de minutes, cette partie du film, portée par la musique solennelle de Graeme Revell, synthétise d’autant mieux l’enjeu principal de Calme blanc qu’une image renvoie directement au début du métrage – et souligne donc le sens de celui-ci.
En effet, le plan montrant Rae allumer un projecteur évoque l’une des premières scènes du film, à savoir celle où la jeune femme est allongée sur un lit d’hôpital (à moitié inconsciente) tandis que son mari répète son prénom, encouragé par un médecin qui tient une lampe dans sa main. La fin de Calme blanc fait ainsi écho à la situation initiale et à la mort de l’enfant, à ceci près que cette fois c’est la femme qui guide l’homme. En d’autres termes, tout ce qui se passe dans le film a un sens précis, un but caché : celui d’amener le couple au commencement d’un nouveau cycle.

Ce plan fait écho au début du film, où se produit une situation comparable mais où les rôles sont inversés.
Nicole Kidman, une icône en devenir
Si la toute dernière scène de Calme blanc, filmée à la demande de Warner Bros plusieurs mois après la fin du tournage, est inutile et grotesque, elle ne fait néanmoins pas oublier que pendant une heure et demie Phillip Noyce aura dirigé un thriller maîtrisé et sensible, porté par une Nicole Kidman dont la beauté stupéfiante contribue largement à l’intensité de certains plans. C’est ce rôle qui érigea la comédienne australo-américaine au rang d’icône cinématographique et qui lui ouvrit les portes d’Hollywood, où elle tournera l’année suivante le dispensable mais amusant Jours de Tonnerre, aux côtés de Tom Cruise. Sam Neill connaîtra de son côté l’un de ses plus grands succès quatre ans après Calme blanc, en interprétant – sous la direction de Steven Spielberg – le rôle du Dr. Alan Grant dans le célèbre Jurassic Park.
Phillip Noyce prendra également la direction des États-Unis dès le début des années 90, avec plus ou moins de réussite – on ne peut pas dire que Sliver, qui surfe maladroitement sur la vague de Basic Instinct (l’histoire est différente, mais Sharon Stone y est à peu près aussi vêtue), soit un thriller aussi réussi que Calme blanc, lequel compte certainement parmi ses meilleurs films à ce jour.
The Deep : une adaptation inachevée de Dead Calm par Orson Welles
Le directeur de la photographie Willy Kurant, à propos du tournage de The Deep :
Je filmais à l’épaule et Orson [Welles] me laissait cadrer le film. Ce qui était comme gagner la Légion d’Honneur, car normalement lorsque vous travailliez avec Orson, il vérifiait votre cadrage au millimètre près, et aussi comment vous équilibriez la lumière. Il me parlait beaucoup de composition asymétrique et de comment déséquilibrer l’image d’une manière très accentuée.
Une vingtaine d’années avant Calme blanc, une autre adaptation cinématographique du roman de Charles Williams faillit voir le jour. Son titre était The Deep, et c’est un monument du cinéma, à savoir Orson Welles, qui était aux manettes du projet en tant que réalisateur, scénariste et comédien. Welles souhaitait tourner un film plus commercial que certains de ses précédents longs-métrages (My hope is that it won’t be an art-house movie. I hope it’s the kind of movie I enjoy seeing myself. I felt it was high time to show that we could make some money
). Il faut rappeler ici que Welles a souvent eu du mal à obtenir des financements pour ses projets, et que plusieurs de ses films, dont La Dame de Shanghai, ont subi de violentes coupes imposées par les studios. On comprend donc qu’il ait été important pour lui de montrer qu’il pouvait tourner des films relativement grand public et rentables, probablement dans l’espoir de bénéficier de davantage de moyens et de liberté.
Entre 1966 et 1969, Welles tourne donc plusieurs scènes de The Deep près de la côté Yougoslave. Le casting inclut Michael Bryant, Jeanne Moreau (que Welles dirigeait pour la troisième fois après Le Procès et Falstaff) et Laurence Harvey (Un Crime dans la tête). Willy Kurant (qui collabora avec Godard, Gainsbourg, Pialat, Robbe-Grillet, etc.) travaillait comme chef opérateur. Malheureusement Welles fut confronté, comme souvent dans sa carrière, à des difficultés techniques et financières qui minèrent le tournage. The Deep n’arriva ainsi jamais à la phase de post-production, tandis que le décès de Laurence Harvey en 1973 annihila tout espoir de terminer le film. Les négatifs originaux ont disparu mais des work prints ont été conservés, et sont visibles dans le documentaire Orson Welles: The One-Man Band.

Orson Welles, Michael Bryant, Jeanne Moreau et Willy Kurant sur le tournage de « The Deep ». Source : wellesnet.com
Jeanne Moreau parlera plus tard d’une fantastique expérience
à propos de The Deep tandis que Peter O’Toole, qui avait été contacté pour jouer dans le film, dira beaucoup de bien du scénario que Welles lui avait proposé. A noter que le scénario en question semble être plus proche du roman que celui de Calme blanc, puisqu’on y retrouve plusieurs personnages absents dans la version de Phillip Noyce. Le site Wellesnet propose des photographies du tournage, une lettre d’Orson Welles adressée à Charlton Heston (qui devait ajouter une voix-off) et une interview du directeur de la photographie Willy Kurant : Wellesnet: The Deep (1966-1969).
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Par sa manière, habile et métaphorique, de raconter l'histoire d'un couple qui se reconstruit, Calme blanc s'affirme comme un thriller intelligent et sensible, bien que souffrant d'un final inepte.
2 commentaires
Ah, le short arraché de Nicole, et sa rousseur naturelle préraphaélite…
Le film de Noyce résonne aussi avec un second Polanski, « Lunes de fiel », autre croisière dangereuse d’un couple à la dérive…
Dans le même sillage, on recommande « Open Water », tragédie encore plus intimiste puisque filmée en Mini-DV, qui fait de la mer non plus une source régénératrice, mais bien, là aussi dans une tradition religieuse, le tombeau des amants sans enfants…
Analyse et photos ici :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/open-water-un-homme-et-une-femme.html?view=classic
Intéressante lecture de « Open Water » que j’avais bien aimé également. Effectivement il faudrait faire un dossier sur la mer et les couples au cinéma, il y a plusieurs exemples et angles différents.