Film de Ben et Chris Blaine
Année de sortie : 2015
Pays : Royaume Uni
Scénario : Ben et Chris Blaine
Photographie : Oliver Russell
Montage : Ben et Chris Blaine
Musique : Dan Teper
Avec : Fiona O’Shaughnessy, Abigail Hardingham, Cian Barry, Elizabeth Elvin, David Troughton
Une amie de Holly (s’adressant à elle) : Anyway, don’t kid yourself. You don’t wanna fuck him. You wanna be the one that IDs the body when he finally gets it right.
Extrait de Nina Forever
Une autre amie : No. She wants to save him. Don’t you?
Nina Forever propose un récit intelligent et habile, dont les thématiques se précisent au fur et à mesure de son déroulement.
Synopsis du film
Holly (Abigail Hardingham), étudiante dans le paramédical, se sent attirée par Rob (Cian Barry), qui vient de faire une tentative de suicide après la mort de Nina (Fiona O’Shaughnessy), sa petite amie.
Tous deux entament rapidement une relation ardente. Mais lors de leur toute première nuit d’amour, le corps ensanglanté de Nina émerge dans les draps et interrompt leurs ébats. La situation est d’autant plus troublante que Nina s’exprime, sur un ton volontiers acide…
Critique de Nina Forever
Nina Forever, pur « produit » du cinéma horrifique indépendant britannique (le film a été financé via une campagne de crowdfunding), projeté pour la première fois au South by Southwest 2015 (à Austin), a été réalisé par deux frères, Ben et Chris Blaine, également auteurs du scénario. Si on lit le pitch dans les grandes lignes, il peut faire (très) vaguement songer à Life After Beth, sorti un an plus tôt aux États-Unis.
On retrouve en effet dans ces deux longs métrages la thématique du deuil, en l’occurrence le deuil d’une ancienne petite amie. Dans Life After Beth, la petite amie en question est un zombie, dans Nina Forever, on est un peu entre le fantôme et le zombie mais son existence est en tout cas plus abstraite, plus fantasmée, plus subjective.

Cette lointaine similitude entre ces deux films relève — contrairement à ce que leurs dates de sortie respectives, assez proches, pourraient laisser penser — d’un pur hasard. En effet, la production de Nina Forever a été lancée dès 2013, année à laquelle les frères Blaine n’avaient pu voir Life after Beth, ni même en entendre parler. Mais de toutes manières, si on imagine tout à fait ces deux longs métrages cohabiter dans une programmation thématique axée sur le deuil dans le cinéma de genre, ils restent très différents à bien des égards.
Dans Life After Beth, nous suivons en effet l’expérience d’un jeune homme qui a une relation avec une version zombifiée de sa petite amie, revenue à la vie après avoir été mortellement mordue par un serpent, tandis que dans Nina Forever, non seulement Rob sort avec une nouvelle petite amie (ce qui instaure un schéma triangulaire absent dans Life After Beth) mais celle-ci est en réalité le personnage principal du film (la narration adopte son point de vue ; d’ailleurs elle est présente dans la grande majorité des scènes, ce qui n’est pas le cas de Rob). Et ça change tout, comme nous allons bientôt le constater.

L’une des qualités du film est sa justesse de ton. On sourit (jaune), certes, mais pas tout le temps ; le film ne sombre jamais dans la farce, alternant des scènes un peu absurdes avec des séquences plus graves, et maintenant dans l’ensemble une atmosphère plutôt « sérieuse ». Quant au sujet, il est plus riche qu’il n’y parait, dans le sens où plusieurs thématiques distinctes se mêlent ici.
Comme déjà mentionné, le film traite du deuil, à travers l’expérience de Rob qui a perdu son ancienne compagne dans un accident mortel mais qui continue à fréquenter régulièrement ses parents et qui a, on le comprend, du mal à passer à autre chose. Il traite aussi, métaphoriquement, de la manière dont une relation amoureuse passée impacte une relation présente (qui n’a jamais senti, dans les pensées ou discours de son compagnon ou compagne — ou dans les siens d’ailleurs —, la présence plus ou moins furtive ou entêtante d’une ancienne conquête ?).

Enfin, et c’est un axe qui gagne en importance au fur et à mesure du film, au point d’ailleurs de devenir le principal, Nina Forever raconte aussi et surtout l’histoire d’une jeune femme trop empathique, obsédée par l’idée de sauver les autres, pour des raisons d’ailleurs qu’on ne connaîtra pas (et c’est tant mieux). Cette jeune femme, étudiante en paramédicale (ce qui n’est bien sûr pas sans lien avec sa personnalité et sa problématique), est la véritable « héroïne » du film, et son prénom (Holly) fait très certainement référence à « holy » (qui veut dire « sainte »).
L’interprète de Holly, Abigail Hardingham, compose de façon nuancée ce personnage consistant et mystérieux (you know nothing about me
, dit-elle à un ancien petit ami), auquel l’habile twist final donne toute son importance. Son drame intime est le cœur de ce film étonnant, décidément moins balisé et prévisible qu’on aurait pu le croire. Et qui possède par ailleurs de vraies qualités esthétiques : les cadrages des frères Blaine, combinés à la photographie d’Oliver Russel, donnent lieu à de beaux plans de cinéma, soigneusement composés, et toujours au service du récit. Les scènes mettant en scène les trois personnages centraux (Holly, Rob et Nina) sont particulièrement bien réalisées, avec un travail soigné sur les angles de vue, la lumière et les perspectives.

Nina Forever, à travers son trio de personnages, gravite autour de trois axes intéressants : le deuil d’un proche ; l’intrusion du passif amoureux dans les nouvelles relations ; et enfin une soif d’aider, de sauver les autres qui peut prendre des proportions problématiques. Ces thèmes cohabitent dans un récit cohérent, bien filmé, accompagné par un excellent choix de musiques et servi par des comédiens de talent. Autant de bonnes raisons de découvrir le premier long métrage des frères Blaine.
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