Deuxième jour du festival Format Court 2024. Ce vendredi 26 avril, à 18h30, se déroulait une séance hors compétition, consacrée au Fonds court métrage de la Ville de Paris. La célèbre actrice Clotilde Coureau, présidente du jury de l’organisation précitée, était présente entre autres invités, dont les réalisateurs et producteurs des cinq films qui ont été projetés. Tous ont un thème commun : la famille.
Marcher, de Jeanne Herry
La brillante réalisatrice de Elle l’adore, Pupille et Je verrai toujours vos visages a signé son tout premier film en 2009, et il s’agit d’un court métrage, tourné en 35 mm. Au départ, son projet était de tourner une sorte de huis clos dans une voiture ; finalement, elle a pris le contrepied de cette idée en décidant de suivre une femme qui marche; et pas n’importe quelle femme, puisqu’il s’agit de sa mère, l’actrice Miou-Miou.
On voit ainsi la comédienne évoluer dans deux lieux intimement liés à son existence, les rues de Paris (le 11ème) et la cote bretonne (ayant vu apparaître le nom de fort la Latte dans le générique de fin, je présume qu’il s’agit plus précisément du littoral dans les Côtes d’Armor). Elle joue son propre rôle, travaillant le texte d’un film (sans doute fictif) dans lequel elle s’apprête à jouer. Le film la capture à un moment important de son existence : dans Marcher, Miou-Miou devient grand-mère d’un petit garçon, or dans la vraie vie, Jeanne Herry avait donné naissance à son fils Antoine environ un ou deux ans avant le début du tournage.
Ce qui est beau ici, c’est le mouvement, ceux que la caméra et la comédienne exécutent en harmonie. Un mouvement dans l’espace, qui a une portée métaphorique : ce n’est pas que le déplacement d’un corps dans un territoire, mais aussi l’idée d’une vie qui continue. On croise dans ce joli moment de cinéma l’acteur Grégory Gadebois, en patron de bar visiblement épris de sa cliente.
Langue maternelle, de Mariame N’Diaye
Avec ce film, la comédienne et désormais réalisatrice Mariame N’Diaye propose un récit très personnel, directement inspiré de la vie de ses parents, arrivés en France (depuis le Mali) au début des années 1980 (un peu avant l’élection de François Mitterrand).
Langue maternelle décrit les difficultés de Sira (Mariame N’Diaye), une jeune mère qui, face aux exigences d’un nouvel environnement, a le sentiment de devoir renoncer à une culture, une tradition, un langage qu’elle craint de ne pas pouvoir transmettre à sa fille Abi (Amina Soumbounou). Face à elle, le père de famille, Malick (Djibril Sangaré), parle déjà assez bien le français et tente de convaincre son épouse d’apprendre cette langue, et de privilégier son usage en s’adressant à Abi.
Ce récit tout simple illustre une réalité complexe, qui, bien que connue, est souvent niée ou oubliée : l’adaptation à un pays très différent de son pays d’origine est quelque chose de difficile, de violent parfois, la frontière entre l’intégration et la perte d’identité étant souvent floue.
Planter les choux, de Karine Blanc
Une femme (Romane Bohringer, lumineuse et énergique), mère d’une petite fille en bas âge, se rend à un entretien professionnel après avoir disposé le berceau sous l’escalier au rez-de-chaussée, et la voilà coincée dans l’ascenseur en panne, un employeur peu scrupuleux (Patrick Chesnais) allant jusqu’à mener l’entretien en s’asseyant sur les marches…
Peu à peu, celui qui pensait mener le jeu et dominer son interlocutrice comme il domine sa secrétaire avec ses ordres et sa grosse voix se retrouve désemparé, à devoir s’occuper d’un bébé qui pleure – tâche dont on devine qu’il s’est rarement acquitté au cours de sa vie d’homme. Et c’est la femme en retard, au chomage et d’abord taxée de mère négligente, dont on réalise qu’elle est en fait une pro de l’organisation au quotidien.
En quelques minutes, Planter les choux délivre un propos féministe avec humour, légèreté et beaucoup de justesse.
Father’s Letters, d’Alexey Evstigneev
Ce film d’animation, une coproduction franco-russe réalisé par un jeune cinéaste, raconte l’histoire de M. Vangengheim, un météorologue conduit dans un goulage stalinien dans les années 1930. Depuis cet environnement plus qu’hostile, mortel même, il écrit des lettres à son fils, que l’intéressé ne recevra que plus tard. Des lettres dans laquelle il présente la réalité sous un jour moins sombre, parlant notamment de fleurs mystérieuses résistant au froid – un motif qui résonne comme une note d’espoir, vu le contexte…
Le dessin, dans Father’s Letters, est stylisé, marqué par des traits abrupts ; on y sent une dureté, une aprêté qui convient au sujet. Le film ne sera sans doute pas projeté en Russie : le sujet du goulag y est tout simplement censuré, comme l’a expliqué le talentueux et timide Alexey Evstigneev, avant de baisser à nouveau le regard ; il est pourtant bien courageux, comme tous les russes qui, chacun à leur façon, racontent ce qu’ils veulent raconter, montrent ce qu’ils veulent montrer, sans se plier aux diktats poutiniens.
Anushan, de Vibirson Gnanatheepan
Autre récit d’immigration après Langue maternelle, Anushan raconte le quotidien d’une famille d’origine Tamoule habitant dans une cité à Évry, et qui accueille un oncle en provenance du Sri Lanka. Le jeune Anushan, passionné de rap français, voit d’un mauvais oeil ce nouveau venu et d’une manière générale, il semble rejeter tout ce qui a trait à ses origines et à l’histoire, visiblement douloureuse, de sa famille.
Récit de transmission et de mémoire, qui évoque des événements dont on parle peu (les tortures subies par les Tamouls au Sri Lanka), Anushan est porté par une démarche précieuse et authentique, et par des interprètes tous convaincants.
Pour conclure
Tantôt grave, tantôt plus légère (l’optimiste Marcher de Jeanne Herry ou encore le joyeusement féministe Planter les choux), cette séance a proposé deux récits (Langue maternelle et Anushan) illustrant les situations complexes et déchirantes que doivent souvent affronter les familles immigrées, ce qui me semble important à une époque où l’immigration n’est abordée, par les hommes politiques au pouvoir, que dans une optique de grapiller des voix à l’extrême droite au travers de discours sécuritaires, réducteurs et stigmatisants.
De son côté, Father’s Letter est le reflet d’une tragique histoire de répression et d’épuration en Russie qui, malheureusement, ne s’est pas arrêtée avec la mort de Staline.
Lire la chronique de la séance n°1
Lire la chronique de la séance n°2
Lire la chronique de la séance n°3
Aucun commentaire