Film de Laura Citarella
Année de sortie : 2011
Pays : Argentine
Scénario : Laura Citarella
Photographie : Agustín Mendilaharzu
Montage : Alejo Moguillansky
Musique : Gabriel Chwojnik
Avec : Laura Paredes, Julián Tello, Santiago Gobernori, Debora Dejtiar, Julio Citarella
Le cinéma L’Écran, à Saint-Denis, a projeté, dans le cadre du festival Regards Satellites 2024, le premier long métrage de la réalisatrice argentine Laura Citarella. S’il porte en lui des éléments et motifs présents dans le récent (et envoûtant) Trenque Lauquen, Ostende est bien davantage qu’un coup d’essai, mais déjà l’affirmation d’un style, à la fois singulier et indissociable, me semble-t-il, d’une esthétique qui s’est en grande partie développée en Amérique latine, à savoir le réalisme magique.
Synopsis du film
Suite à un jeu télévisé, une jeune femme remporte un séjour dans un hôtel à Ostende, une station touristique située dans la province de Buenos Aires, au bord de la mer d’Argentine. En attendant que son petit ami la rejoigne, elle rêvasse, somnole sur la plage, et observe les autres clients.
Parmi ceux-ci, un trio formé d’un vieil homme et de deux jeunes femmes attire son attention – et stimule son imagination…
Critique d’Ostende
En dépit de l’horaire matinale, la salle 2 du cinéma d’art et d’essai de la ville de Saint-Denis était bien remplie en ce dimanche 3 mars 2024. Les spectateurs n’avaient pas renoncé à une grasse matinée dominicale sur un coup de tête : ces jours-ci, entre les murs de L’Écran, la seconde édition du festival Regards Satellites bat son plein. La séance d’hier à 11h15 non seulement permettait de découvrir un film rare (à ma connaissance, jamais diffusé dans les salles françaises), mais elle était présentée, entre autres, par la réalisatrice elle-même et par la comédienne Laura Paredes.
Membre (et même co-fondatrice, si je ne m’abuse) du collectif artistique argentin El Pampero, que met en avant le festival cette année, Laura Citarella a marqué l’année cinématographique 2023 à travers son film en deux parties Trenque Lauquen. Sorti douze ans plus tôt (en 2011), Ostende est, à bien des égards, proche de ce dernier et d’ailleurs, la réalisatrice, mais aussi Laura Paredes (qui joue dans les deux films), ont clairement indiqué que ce premier long leur avait permis de déblayer le chemin (sinueux, sans doute) vers Trenque Lauquen.
À partir d’un point de départ assez simple (une femme, en attendant d’être rejointe par son petit ami dans un hôtel à Ostende, observe d’autres clients de l’établissement et commence à soupçonner que quelque chose de louche se trame) que n’aurait pas renié Hitchcock, le film excelle dans l’art de donner, à des scènes tout à fait réalistes, un écho légèrement étrange, dont on ne sait pas bien s’il provient uniquement du regard d’une protagoniste trop imaginative, ou s’il y a bel et bien quelque chose de curieux qui se trame.
On songe évidemment à Fenêtre sur cour (qui illustre également une certaine forme de voyeurisme, et la façon dont l’observation des autres stimule l’imagination), mais Ostende est très différent, dans son rythme et dans son atmosphère, du classique précité. Contrairement à Hitchcock, Laura Citarella ne cherche pas à créer de la tension, un suspense haletant, au point que si la trame du film le rapproche d’un thriller, sa forme n’en épouse jamais les codes. Dans Ostende, le temps s’étire ; on est tantôt perplexe, tantôt amusé, tantôt intrigué, mais jamais scotché à son fauteuil. Ce n’est évidemment pas dû à un défaut de mise en scène mais à un parti pris, visant à créer une atmosphère suspendue, à la fois familière et très subtilement curieuse, procurant une sorte de fascination diluée, vaporeuse.
Il me semble que ce qui porte le film, c’est la soif d’histoires : cette jeune femme qui, à partir de détails que beaucoup jugeraient anodins, imagine un scénario rocambolesque – un scénario de polar en somme –, renvoie à la figure du scénariste ou de l’écrivain. Qu’est-ce qu’écrire une histoire, si ce n’est imaginer dans quel appartement va se retrouver telle personne que l’on vient de croiser, ou ce que se disent tels individus à portée de regard ? La plupart des fictions sont des explorations, des développements d’impressions et d’interrogations inspirées par l’observation du monde au quotidien. Ostende est, en quelque sorte, un film sur une femme qui imagine un scénario de film. Un scénario qui pourrait bien être vrai – mais qu’il le soit ou non, ce que le film met en scène, c’est la capacité et le besoin d’imaginer, d’interpréter à partir de ce que nos sens nous renvoient. Son héroïne est tour à tour spectatrice, actrice et, d’un certain point de vue, autrice.
Cette confusion des frontières pousse le spectateur à combler, avec son propre imaginaire, les espaces envoûtants que lui fournit le cinéma de Laura Citarella. À une époque où tant de films nous enferment ou nous infantilisent, c’est là une démarche précieuse, qu’elle poussera plus loin, encore, dans Trenque Lauquen.
À propos de Regards Satellites
Comme son nom le suggère, Regards Satellites met à l’honneur un cinéma singulier, atypique, hors des sentiers battus et des formats les plus répandus. Rien d’étonnant donc, à ce qu’on y retrouve cette année le collectif El Pampero, dont plusieurs des membres seront d’ailleurs présents à L’Écran ce soir (lundi 4 mars).
Vous pouvez télécharger le programme du festival, qui dure jusqu’au 11 mars prochain, sur le site du cinéma L’Écran de Saint-Denis.
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