Film de Michelle Garza Cervera
Année de sortie : 2022
Pays : Mexique, Pérou
Scénario : Michelle Garza Cervera et Abia Castillo
Photographie : Nur Rubio Sherwell
Montage : Adriana Martínez
Avec : Mayra Batalla, Alfonso Dosal, Samantha Castillo, Aida López, Natalia Solián
Ce n’est rien, vous êtes juste enceinte.
Un médecin quelque peu léger dans ses propos dans Huesera
Huesera était projeté ce samedi 10 décembre au Max Linder Panorama dans le cadre du PIFFF 2022, où il a été sélectionné en compétition. Loin d’être un simple film d’horreur de plus sur le thème de la maternité, le premier long métrage de la cinéaste mexicaine Michelle Garza Cervera reflète un traitement sensible et intelligent, autant qu’une belle maîtrise formelle.
Synopsis du film
Octavia (Mayra Batalla) est heureuse : elle est enceinte de son compagnon Raúl (Alfonso Dosal), tout aussi ravi qu’elle. Assez vite, pourtant, la jeune femme est la proie de sérieuses angoisses…
Critique de Huesera
Il y a des films où dès la scène d’ouverture, on sent que le cinéaste sait ce qu’il, ou elle, veut raconter, et en donne, à travers quelques plans significatifs, une sorte d’avant goût. C’est le cas dans Huesera, dont la séquence introductive est un modèle du genre. On suit une femme monter des marches et lever, parfois, les yeux vers une statue religieuse ; la manière dont tout ceci est cadré ne permet d’abord ni de situer la distance ni, surtout, d’estimer les dimensions de la statue en question. C’est un lent travelling arrière qui finit par nous révéler sa taille impressionnante, pour ne pas dire effrayante. Et je n’emploie pas ce mot par hasard : dans le film, le poids de la religion mais surtout celui des normes sociales (qui sont en grande partie liées à la religion, surtout dans une société très catholique comme celle du Mexique) est imposant et omniprésent.
L’histoire, inspirée d’une expérience vécue par la grand-mère de la réalisatrice, a pour objet central la maternité. Ce n’est évidemment pas le premier film de genre à s’emparer de ce thème (Rosemary’s Baby est peut-être le tout premier d’une longue liste à être allé sur ce terrain dans l’univers du fantastique ; la cinéaste cite d’ailleurs le film de Polanski parmi ses références) ; en revanche, sa manière de l’aborder est singulièrement intelligente.
Au fil d’un récit tendu et anxiogène, Huesera amène le spectateur à s’interroger et à regarder sous un nouvel angle le début volontairement idyllique, centré sur l’euphorie des futurs parents. Dans le choix d’Octavia de devenir mère, il devient peu à peu difficile de distinguer ce qui relèverait d’un désir intime de ce qui découle d’une influence sourde ; celle que les normes et injonctions sociales exercent sur les individus et, en l’occurrence, plus particulièrement sur les femmes.
Parallèlement à cette question d’ordre sociétale, culturelle, politique en quelques sortes (au sens large), Huesera nous rappelle fort justement que la grossesse est une expérience physiquement et moralement éprouvante (sachant bien entendu qu’elle ne sera pas vécue par toutes les femmes de la même manière), ce que métaphorisent assez clairement les distorsions corporelles que le film nous donne à voir (lesquelles sont aussi l’image d’une identité psychique bousculée par la présence d’un être vivant dans son propre corps).
L’actrice principale Mayra Batalla exprime à merveille les angoisses et les errements vertigineux qui traversent son personnage ; mais le talent des comédiens n’est pas le seul atout du film, loin s’en faut. Ne se contentant pas d’enchaîner des « scènes d’atmosphère » (erreur commune à beaucoup de films de genre), le scénario n’oublie ni la caractérisation des personnages, ni les éléments narratifs significatifs, à l’image de ceux portant sur le passé de l’héroïne, qui éclaire d’un jour nouveau ce qu’elle vit dans le temps présent.
Il y a peut-être des petites longueurs mais la tenue formelle (Huesera est très bien filmé et photographié) et la qualité du récit (qui puise habilement dans la culture et le folklore mexicains) font qu’elles n’entament jamais l’intérêt du spectateur, jusqu’à un final dont bien sûr je ne dirai rien ici, si ce n’est qu’il est d’une totale cohérence.
Une scène du film en apparence anodine m’a paru particulièrement significative. Lors d’une visite d’Octovia et de Raúl chez le médecin chargé du suivi de la grossesse, celui-ci dit à la future mère : ce n’est rien, vous êtes juste enceinte ; phrase évidemment tout à fait déplacée surtout de la part d’un homme, ignorant par définition de quoi il parle vraiment. En arrière plan, on aperçoit, affiché sur le mur, la photo d’une césarienne, qui vient habilement souligner l’inconscience du docteur…
C’est aussi à ce sens du détail qu’on reconnait les auteurs de talent. De toute évidence, Michelle Garza Cervera et Abia Castillo (la co-scénariste) méritent largement d’être considérées comme telles.
Pour consulter le programme du PIFFF 2022, c’est par ici.
Techniquement maîtrisé, Huesera explore intelligemment les questions sociétales, culturelles, religieuses et identitaires liées à la maternité, tout en illustrant à quel point une grossesse est tout sauf une promenade de santé. Très bon choix du PIFFF édition 2022 donc, qui a permis de découvrir une jeune réalisatrice à suivre.
Aucun commentaire