Ce samedi 16 septembre à 19h30, L’Étrange Festival proposait en avant-première le premier long métrage de Sébastien Vanicek, Vermines, qui est aussi le premier film français de genre avec des araignées. La salle était comble, et fut d’ailleurs comblée, par un spectacle à la fois efficace et intelligent.
Le pitch
Kareb (Théo Christine) est un sympathique magouilleur, amateur de bestioles exotiques. Au cours d’une visite chez son commerçant préféré, il craque pour un spécimen d’araignée, appartenant à une espèce méconnue. Sa trouvaille rejoint donc sa ménagerie privée, dans l’appartement qu’il partage avec sa sœur (Lisa Nyarko) en Seine-Saint-Denis.
En rentrant d’une fête chez des voisins, Kareb réalise que la bébête s’est échappée de la boite à chaussures où il l’avait temporairement installée. La situation « s’envenime » très rapidement…
La critique de Vermines
Les films avec des araignées agressives sont une spécialité américaine. Parmi les exemples les plus célèbres, on citera Tarantula (1955), Arachnophobie (1990) avec le regretté Julian Sands ou encore Arac Attack (2002). On ne peut pas dire que ce sous-genre soit fréquemment abordé : ces dix dernières années, à part le méconnu Itsy Bitsy, aucun film ne me vient à l’esprit. En France, avant 2023, c’est le désert total, en tout cas à ma connaissance. Il faut rappeler que le cinéma hexagonal est non seulement frileux à l’égard du cinéma fantastique et d’horreur en général, mais encore plus quand il s’agit de « monster movies » ou de films avec des attaques animales. Certes, avec L’Année du requin, sorti en 2022, les frères Boukherma ont eu le mérite de se frotter au shark movie, mais il faut bien admettre que le résultat s’est avéré assez catastrophique (ni drôle, ni effrayant, le film étonnait par son absence de direction). Autant le dire d’emblée, Vermines corrige nettement le tir.
Sébastien Vanicek est un autodidacte, qui s’est formé en tournant des dizaines de courts métrages avec les caméras (et les amis) qu’il avait sous la main. Ce n’est pas un hasard si son premier long est un film avec des araignées : cet insecte renvoie à la fois à quelque chose de personnel (amoureux des animaux, Vanicek a tourné ses premiers plans en filmant, entre autres, des araignées) et à une métaphore sociale. En effet, l’araignée est un insecte objet de préjugés, qui suscite une peur parfois phobique et irrationnelle ; ce qui fait écho, d’une certaine façon, aux idées reçues qui circulent sur les habitants des banlieues en France et ailleurs – or le film se déroule presque entièrement dans l’immeuble d’une cité du 93, le département dont Sébastien Vanicek est originaire (et le titre Vermines a de toute évidence un double sens). En d’autres termes, le sujet de Vermines est connecté à la fois à quelque chose d’intime et à une réalité sociale. C’est sans doute en partie pour cela que le film possède une épaisseur, une consistance, un relief.
Ce qui ne l’empêche pas d’être ultragénéreux et divertissant. Si La Nuée, autre film de genre français avec des insectes, était, malgré des qualités indéniables, un peu alourdi par un message social pesant et un sérieux excessif, Vermines joue à fond la carte de l’émotion, assumant à 100% son côté pop-corn movie, sans oublier d’être intelligent et même, par moments, politique (les violences policières y sont dénoncées dans deux scènes significatives).

Le film trouve donc un équilibre assez rare entre de l’horreur fun et une dimension sociale bien réelle, mais qui ne vient pas écraser l’aspect divertissant. Devant le côté huis clos dans un immeuble de banlieue, on peut songer au récent La Tour, de Guillaume Nicloux (projeté à L’Étrange… en 2022), qui (en dépit du respect que m’inspire ce metteur en scène et de jeunes comédiens méritants) était terriblement lourd et se complaisait dans une noirceur peu inspirée. Des travers résolument absents ici, et ça fait du bien quand on sait que le genre en France se croit trop souvent obligé d’afficher un sérieux solennel pour justifier de son existence (comme s’il fallait à tout prix asséner dans l’esprit du spectateur : ok je fais un film d’horreur, mais aussi un film d’auteur).
Côté réalisation, Vermines est solide. L’énergie visiblement déployée se conjugue à une belle maîtrise technique (y compris au niveau de la bande son), même si une ou deux scènes m’ont paru un poil plus confuses que d’autres (je précise que la salle était pleine à craquer et que j’étais assez mal placé, ce qui a pu contribuer à cette impression). Le rythme est globalement maîtrisé, tandis que le talent et l’implication du casting achèvent d’imprimer à l’ensemble un tempo efficace.
Qu’il s’agisse de Théo Christine – qu’on a vu notamment dans le biopic sur NTM (où il incarne Joey Starr) –, de Finnegan Oldfield – qui a tourné avec Gatlif, Bidegain et Clément Cogitore dans le très bon Ni le ciel, ni la terre –, de Sofia Lesaffre – vue récemment dans Deep Fear, où elle était excellente – ou encore de Lisa Nyarko dans ce qui semble être son premier rôle : tou(te)s campent avec conviction des personnages attachants, dont la caractérisation est assez réussie. Il serait bien entendu injuste de ne pas citer Jérôme Niel, qui s’est fait connaître notamment pour ses fameux tutos de cuisine en mode énervé, et qui ici incarne au contraire un voleur de vélos au tempérament assez doux, dont le côté maladroit, un peu lunaire et décalé prête souvent à rire.

Dans ce genre de films, les effets spéciaux sont déterminants. Même avec les meilleures idées du monde et un bon sens de la mise en scène, tout peut s’écrouler si les scènes d’attaque ne semblent pas un minimum réalistes à l’écran (sauf si on prend le parti du hors-champ, à la manière de Jacques Tourneur par exemple ; mais on n’est pas du tout dans le même registre de fantastique ici). Et là aussi, Vermines convainc : pour faire simple, c’est franchement bien fichu. Les apparitions des araignées collent le frisson : l’impact est bel et bien là, renforcé par un cadrage et un découpage soignés.
Tour à tour drôle, flippant, sensible et politique, Vermines gagne donc sur tous les plans. Surtout que le scénario témoigne de choix malins jusqu’à la toute dernière minute (la scène finale, dont je ne dirais rien bien sûr, est très significative de l’approche du film, plus sensible qu’on ne pourrait le croire à la seule lecture du pitch).
Je ne serais pas surpris que Vermines séduise les amateurs de spider movies outre-Atlantique. Quant aux spectateurs français qui aiment partager des frissons et des émotions dans les salles obscures, ils auraient tort de se priver d’un spectacle aussi généreux et aussi bien exécuté.
Vermines sortira au cinéma le 27 décembre 2023.
À savoir :
- Le scénario du film a été écrit par Sébastien Vanicek et Florent Bernard. Celui-ci a notamment participé à l’écriture de la série Bloqués, puis a travaillé avec Jonathan Cohen sur les parodies de jeux TV La Flamme et Le Flambeau. Bernard a également terminé la réalisation de son premier long, Nous Les Leroy, avec Charlotte Gainsbourg et José Garcia, qui sortira en 2024.
- Sofia Lesaffre, qui a donc livré une interprétation très convaincante dans l’inégal mais pas inintéressant Deep Fear, a fait une apparition dans Les Misérables, de Ladj Ly, et tient également un rôle secondaire dans Une histoire d’amour et de désir, de Leyla Bouzid. Une comédienne à suivre, à mon avis, comme d’autres d’ailleurs au sein du casting de Vermines.
- Si des effets numériques ont bien entendu été utilisés, quelques véritables araignées apparaissent dans plusieurs plans du film.
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