Film de Grégory Beghin
Année de sortie : 2022
Pays : France
Scénario : Nicolas Tackian
Photographie : Yvan Coene
Montage : Nicolas Bier
Avec : Sofia Lesaffre, Blaise Afonso, Olivier Bony, Toussaint Colombani, Léone François-Janssens
Deep Fear, s’il souffre d’un final décevant, parvient à mettre en scène un trio attachant, et à connecter sa trame horrifique avec une réalité sociale et politique.
Synopsis du film
Paris, début des années 1990. Trois étudiants décident, avant le départ de l’un d’entre eux pour l’armée, de visiter la partie interdite des catacombes parisiennes. Ils vont y faire une rencontre inattendue…
Critique de Deep Fear
Deep Fear est le tout premier film produit par Black Swan Tales, un label créé par le producteur français Noor Sadar et le producteur belge François Touwaide. Il s’agit d’un label en un sens comparable à l’américain Blumhouse, en ce sens qu’il est destiné à produire uniquement des films d’horreur à petit budget. Pour ce premier film, Sadar et Touwaide ont fait appel au cinéaste belge Grégory Beghin, dont c’est le second long métrage ; toutefois l’action de Deep Fear se déroule à Paris, avec un casting français.
À la lecture du pitch, on peut prendre peur car il rappelle celui de Catacombes, un found-footage franco américain sorti en 2014 qui n’est pas un chef d’œuvre du genre. Mais très vite, Deep Fear se distingue assez nettement du film de John Erick Dowdle, par plusieurs aspects.
L’action se déroule au début des années 1990, et ce choix n’est pas anodin. D’abord, si l’exploration non officielle des catacombes parisiennes s’est développée dès les années 1960, il me semble que c’est un phénomène dont on parlait beaucoup dans les années 1980 – 90, et qui est aujourd’hui beaucoup moins commenté ; ensuite, les années 90 correspondent à un pic du mouvement des skinheads néo-nazis en France (et dans d’autres pays), comme l’explique d’ailleurs fort bien un dossier publié sur le site Fragments sur les temps présents : Entre autonomie et embrigadement militant : les skinheads néo-nazis des années 1980-1990.
Le choix du scénariste Nicolas Tackian ne découle donc pas d’une envie de jouer sur la nostalgie d’une époque, comme beaucoup de films tendent à le faire en ce moment : dans Deep Fear, le cadre spatio-temporel a un sens par rapport à l’histoire et au propos.
Ce qu’il y a de plus réussi dans le film, c’est la mise en place et l’installation des personnages. On s’attache assez rapidement au trio amical central, tout simplement parce que les répliques, comme les comédiens, sonnent juste. L’écriture évite par ailleurs certains clichés : le dealer de prime abord un peu louche qui emmène les trois amis dans les catacombes n’est pas un traître égoïste et manipulateur, comme c’est le cas dans 99% des films de ce genre. C’est le genre de petits détails qui ont leur importance.
Rapidement, on se rend compte que le film ne va pas se contenter d’utiliser les catacombes comme un banal décor horrifique, mais aussi comme un décor symbolique. En effet, l’horreur dans Deep Fear métaphorise la menace parfois sous-jacente, enfouie (d’où le choix des catacombes) mais néanmoins constante que représentent l’extrême-droite et plus généralement les idéologies racistes et ultra-nationalistes. Cette menace hante l’histoire (dont les catacombes sont un reflet) mais aussi le présent en surgissant directement dans le quotidien des protagonistes, sous différentes formes (c’est en particulier le personnage de Sonia, joué par Sofia Lesaffre, qui ressent cette menace, en tant que française d’origine maghrébine).
L’idée est plutôt bonne et comme le casting est convaincant, on suit Deep Fear avec un certain plaisir, jusqu’à ce que les choses se gâtent un peu. Comme souvent, c’est dans le dernier virage que beaucoup de films d’horreur tendent à déraper. Ici, le propos du film, intéressant à la base, est un peu trop souligné dans le dernier quart d’heure (un ennemi plus abstrait, moins explicitement lié au sujet, aurait sans doute davantage stimulé notre imagination), tandis que les scènes purement horrifiques sont d’une efficacité très relative.
L’impression finale est mitigée, donc, mais Deep Fear est meilleur que ce qu’on pourrait penser de prime abord, et donne à voir des comédiens pleins d’énergie et de talent. Certains films de genre dotés d’un budget bien plus conséquent n’ont pas cet atout, aussi n’hésitez pas à accorder un peu de votre temps à cette production modeste, mais qui possède des qualités non négligeables.
Deep Fear est une petite production horrifique parfois maladroite (notamment dans le dernier quart d'heure), mais dont les personnages sont assez attachants, et qui s'attaque à un vrai sujet (l'idéologie raciste et nationaliste en France) dans un cadre cohérent par rapport à ce thème. Les catacombes dans la France des années 90 prennent donc ici un caractère symbolique inattendu, tandis que les comédiens se sont visiblement tous bien investis dans le projet, et cela se ressent à l'écran. Divertissant, et pas bête !
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