En ce dimanche 10 septembre, L’Étrange Festival diffusait le premier long métrage de Sean Price Williams, The Sweet East, déjà projeté plus tôt dans la semaine. Inclus dans la compétition, ce film surprenant propose un voyage déroutant, acide et drôle dans l’Amérique d’aujourd’hui.
Le pitch
Lillian (Talia Ryder), étudiante à l’université, file à l’anglaise au cours d’un voyage avec d’autres membres de sa promotion. C’est le début d’un périple ponctué de rencontres contrastées…
La critique
Si The Sweet East (projeté à la Quinzaine de Cannes et tout récemment à Deauville) est son premier long comme réalisateur, Sean Price Williams a déjà une filmographie conséquente en tant que directeur photo. C’est notamment un fidèle collaborateur d’Alex Ross Perry (je ne me suis pas encore tout à fait remis de son prétentieux Queen of Earth), lequel a eu la bonne idée d’apporter une aide financière déterminante pour ce projet. Il faut dire que The Sweet East n’avait pas de quoi, sur le papier, séduire les grands studios américains : il n’y a ni super-héros , ni sabre laser, ni effets 3D. Une aberration donc aux yeux des gros producteurs US actuels, devenus aussi cons et cyniques que l’avait prédit Robert Altman dans The Player.
Pourtant, on peut dire en quelque sorte que The Sweet East est un pur film d’aventures. Son rythme est emmené, et on ne s’y ennuie pas une seconde. Mais ce sont des aventures grinçantes, acidulées, et beaucoup plus ironiques que celles de l’archéologue vieillissant dont Spielberg semble avoir du mal à se détacher (c’est son droit, ma foi).
La fugue de la protagoniste l’amène à côtoyer successivement des personnes et des milieux sinon opposés, du moins très différents : groupe d’activistes écolo ; suprémaciste blanc ; artistes progressistes… Tous ont des côtés volontiers ridicules, contradictoires, qui décrédibilisent plus ou moins leur engagement. À leur contact, l’héroïne n’épouse jamais totalement leur vision (voire pas du tout), même si elle se sent plus proche de certains que d’autres ; elle poursuit une quête individualiste du plaisir, cherchant avant tout à fuir l’ennui (après tout, elle n’a que 20 ans).
Si The Sweet East est un récit en mouvement, ce n’est donc pas un récit initiatique : à part quelques astuces lui permettant de tirer le meilleur parti d’une situation donnée, la plutôt sympathique Lillian n’apprend, dans l’absolu, pas grand chose ; mais y a-t-il quelque chose à apprendre de son parcours, puisque rien ne semble avoir vraiment de sens dans l’Amérique que filme Sean Price Williams ?
L’une des grandes réussites du film est de tenir un équilibre extrêmement difficile entre fantaisie et réalisme ; second degré et épaisseur. Le parcours de la protagoniste présente une diversité assez improbable, mais le film parvient à nous y faire croire. De même, si on rit souvent, et si beaucoup de personnages sont tournés en dérision, la plupart possède une consistance : ils sont parfois un peu absurdes, mais toujours crédibles et humains. On pourrait, individuellement, tous les croiser – c’est le fait de les croiser tous dans un même voyage qui bien sûr donne au périple de Lillian une dimension presque allégorique. Car oui, si initiatique
ne convient pas, allégorique
est un terme qui pourrait davantage correspondre à The Sweet East.
Toujours surprenant, raconté avec un grand sens du récit et servi par une réalisation inspirée, The Sweet East n’a pas ce travers qu’ont certains films réalisés par des directeurs photo, à savoir une belle image mais un rythme bancal et figé. Le rythme est au contraire l’un des points forts de ce film impeccablement construit et qui cite, dans une scène assez géniale, le célèbre Il était une fois la révolution de Leone (dont l’un des thèmes musicaux est repris, mais réarrangé). C’est d’ailleurs une des scènes clés du film, qui dit beaucoup de choses de son approche : elle est d’un certain point de vue féministe, mais d’un autre côté, il n’y a pas vraiment de conscience féministe chez Lillian (même si sa liberté de choix et d’action possède, intrinsèquement, un caractère féministe). Elle traverse une Amérique faite d’extrêmes en tout genre (radicaux ; bobos sympathiques mais snobs ; écolo qui sort son pénis sans aucune raison…), mais tout semble l’effleurer.
C’est ce qui fait à la fois le charme, la singularité et les limites de The Sweet East. C’est-à-dire que nous aussi, spectateurs, à l’image de la protagoniste, ne sommes qu’effleurés par quelque chose. Le film, extrêmement séduisant et très malin, ne pénètre pas profondément en nous. Si le plaisir de vision est réel, le souvenir laissé risque donc de ne pas être durable, intime. Mais c’est tout de même un voyage cinématographique qui vaut le détour, et qui justifie amplement qu’on s’intéresse aux futurs projets de Sean Price Williams.
Lire les chroniques de Society et American Carnage à L’Étrange Festival | Lire la chronique de Don’t Buy the Seller | Lire la chronique de Vermines
Découvrir le programme de L’Étrange Festival, jusqu’au 17 septembre prochain au Forum des images (les Halles).
Aucun commentaire