Film de Robert Bierman
Pays : États-Unis
Titre original : Vampire’s Kiss
Année de sortie : 1989
Scénario : Joseph Minion
Photographie : Stefan Czapsky
Montage : Angus Newton
Musique : Colin Towns
Avec : Nicolas Cage, Maria Conchita Alonso, Jennifer Beals, Elizabeth Ashley
Embrasse-moi, vampire n’est pas un énième film de vampires américain, mais plutôt une fable acide sur certains travers du « yuppie way of life ». Dommage que le traitement ne soit pas à la hauteur de l’idée de départ.
Synopsis du film
New York, années 80. Peter Loew (Nicolas Cage) est manager dans une société d’éditions littéraires. Il consulte régulièrement une psychologue, le Dr. Glaser (Elizabeth Ashley), principalement en raison de ses relations avec les femmes, à la fois nombreuses et très brèves.
Un soir, il rencontre Rachel (Jennifer Beals) dans une boîte de nuit, qui le mord dans le cou lors de leurs ébats sexuels. Peter serait-il en train de devenir un vampire ?
Critique de Embrasse-moi, vampire
À l’époque de sa sortie (1989), Embrasse-moi, vampire (Vampire’s Kiss) s’est soldé par un double échec public et critique. Depuis, il jouit d’une certaine aura (sa fiche Wikipédia EN le présente même comme un film culte) aux États-Unis, tandis qu’il demeure largement méconnu en France.
Le film aurait pu être un moyen, pour son réalisateur Robert Bierman, de rebondir après qu’un coup du sort (un drame personnel) l’ait empêché de tourner le remake de La Mouche, pour lequel il avait été initialement pressenti (c’est finalement David Cronenberg qui hérita du projet). D’autant plus que son interprète principal, Nicolas Cage, était alors auréolé des succès consécutifs de Peggy Sue s’est marié (Francis Ford Coppola, 1986), d’Arizona Junior (Joel Coen, 1987) et d’Éclair de lune (Norman Jewison, 1987).
Mais comme mentionné précédemment, Embrasse-moi, vampire se solda par un échec commercial et la presse cinéma se montra plutôt acide à son encontre. Cela tient probablement à deux facteurs distincts : d’abord, le film a été vendu comme une comédie noire (en France également, d’où le grotesque titre français), or cette étiquette ne lui convient guère – on peut donc supposer qu’il n’a d’emblée pas attiré le « bon » public lors de sa projection dans les salles obscures ; ensuite, malgré des idées très intéressantes et une réalisation de qualité, le film est malheureusement bancal. Certaines critiques pointèrent le jeu outré de Cage comme principal défaut du film, quand celui-ci se situe en réalité plutôt du côté de la construction du scénario.
Scénario que l’on doit à Joseph Minion qui, quelques années plus tôt, avait signé celui de After Hours, un Scorsese aussi séduisant qu’atypique dans la filmographie du réalisateur de Taxi Driver. Le point de départ d’Embrasse-moi vampire est bon : un agent littéraire new-yorkais, stéréotype de la figure du yuppie (expression qui désigne un jeune cadre urbain ambitieux) et séducteur invétéré, devient peu à peu convaincu qu’il est devenu un vampire, des suites d’une relation fantasmée avec une supposée maîtresse aux dents pointues…
Ce vampirisme imaginaire peut se voir de différentes façons dans le film. D’un point de vue psychologique, il résulte de la relation problématique que Peter Loew entretient avec les femmes : ne parvenant à s’attacher à aucune d’entre elles en particulier, il fantasme sur une relation exclusive et passionnelle, dans laquelle il est totalement dominé, vampirisé. C’est donc son blocage personnel et sa hantise de l’engagement (probablement liée à ses ambitions professionnelles) qui fabrique le délire psychotique dans lequel le protagoniste s’enferme peu à peu.
D’un point de vue social, le vampirisme symbolise l’ambition dévorante du jeune cadre dynamique urbain, qui n’hésite en l’occurrence pas à tyranniser l’une de ses subordonnées (Alva, jouée par María Conchita Alonso), et qui s’avère parallèlement incapable de bâtir une vie personnelle saine. Ce regard critique sur le monde des grandes entreprises est d’autant plus évident que la scène montrant Peter en compagnie de ses supérieurs hiérarchiques nous révèle que ceux-ci sont d’une misogynie, d’une condescendance et d’un cynisme total.
La réalisation de Robert Bierman souligne intelligemment ces différentes interprétations, par le biais de plans significatifs ; par exemple, celui montrant Peter Loew, en visite chez sa psy (Elizabeth Ashley), comme « écrasé » par la ville de New York en arrière plan (façon de rappeler que la ville, grande métropole par excellence, est intimement associée à la crise du personnage et à sa solitude), ou encore celui où il se regarde dans un miroir, pour s’assurer d’y trouver toujours son propre reflet : ici, le fantasme du vampirisme est directement lié à la peur du vide dans le sens existentiel du terme.
En somme, Embrasse-moi, vampire est un conte moderne noir montrant qu’une grande carrière dans une grande ville peut aussi être source de solitude, d’aliénation et de folie. En ce sens, le film est plus proche de l’univers d’American Psycho (le roman de Bret Easton Ellis qui sera publié en 1991, mais dont l’écriture a débuté en 1987, ce qui exclut toute influence d’un côté comme de l’autre) que de celui d’une comédie, même noire, et ce malentendu explique donc en partie la mauvaise réception du film à l’époque, comme expliqué ci-dessus. En partie seulement.
En effet, si l’on peut saluer la manière originale dont Joseph Minion a utilisé le thème du vampirisme pour servir une réflexion sociale plutôt intelligente, il faut admettre qu’une sensation d’ennui s’impose peu à peu à la vision d’Embrasse-moi, vampire. Et pour cause : tout va beaucoup trop vite. La mise en place est très brève, et le délire du protagoniste s’impose d’emblée comme une évidence – aucune ambiguïté n’est entretenue ici. En conséquence, au lieu de prendre soin de décrire la personnalité du « héros » et les caractéristiques de son environnement, puis de développer un récit progressif favorisant le questionnement et le doute du spectateur, le film tombe très rapidement dans la redondance, se contentant d’enchaîner les séquences illustrant la folie trop flagrante de son personnage. Cette structure répétitive a également comme inconvénient d’annihiler toute forme de suspense.

Alva (Maria Conchita Alonso) perplexe face à son supérieur Peter Loew (Nicolas Cage) dans « Le Baiser du vampire »
La performance habitée de Cage souffre parfois de cette construction déséquilibrée, mais le comédien n’est pas en cause : c’est parce que le scénario avance trop vite qu’il tourne déjà à plein régime avant la moitié du film, alors qu’un script plus subtil l’aurait probablement incité à nuancer son jeu, quitte à explorer les excès qu’il affectionne – et que le rôle justifiait – dans le dernier quart d’heure.
Embrasse-moi, vampire est donc l’exemple même d’une histoire bien pensée, bien filmée (Bierman aurait mérité qu’on lui laisse la possibilité de diriger d’autres projets importants) mais pas suffisamment bien racontée. Le voir aujourd’hui demeure une expérience intéressante, mais en grande partie frustrante.
Bande-annonce
Embrasse-moi, vampire est une variation singulière autour de la figure du yuppie américain dévoré par l’ambition et rongé par la solitude. Mais un script déséquilibré rend malheureusement l’ensemble trop répétitif et ennuyeux. On ne déconseillera pour autant pas la vision de cette pièce méconnue, en France, du cinéma américain des années 80, qui repose sur une bonne idée de départ, hélas mal exploitée.
Aucun commentaire