Film de Frédéric Farrucci
Année de sortie : 2020
Pays : France
Scénario : Benjamin Charbit, Nicolas Journet et Frédéric Farrucci
Photographie : Antoine Parouty
Montage : Mathilde Van de Moortel
Musique : Rone
Avec : Guang Huo, Camélia Jordana, Xun Liang, Maurice Cheng, Tien Shue
La Nuit venue combine des ingrédients du cinéma noir avec des thématiques sociales modernes. Le résultat est d’une grande élégance.
Synopsis du film
Jin (Guang Huo), originaire de Chine, travaille depuis cinq ans comme chauffeur VTC pour le compte de la mafia chinoise, dans l’espoir de pouvoir un jour reprendre une carrière de compositeur de musique électronique.
Une nuit, il fait la connaissance d’une cliente, Naomi (Camélia Jordana), qui lui demande de devenir son chauffeur régulier.
Entre la pression exercée par son patron Monsieur Xié (Tien Shue), son attirance pour Naomi et son désir de liberté, Jin va être amené à faire des choix. Des choix dangereux…
Critique de La Nuit venue
Le cinéma indépendant pour moi, c’est un cinéma de désir
, a déclaré le cinéaste Frédéric Farrucci lors de la présentation de La Nuit venue au Champs-Elysées Film Festival (où le film a obtenu le Prix du Public du long-métrage français). Dans le sens où, n’étant pas adressé (en théorie) à un « marché » déterminé, le film indépendant est avant tout le fruit d’une envie et de choix personnels.
S’il arrive ceci dit que le cinéma indépendant, américain notamment, respecte un cahier des charges aussi convenu que les grosses productions (voir le récent The Climb, caricature du film indé), c’est loin d’être le cas ici, La Nuit venue étant à la fois un film noir dans la pure tradition du genre et une œuvre moderne et personnelle, qui s’approprie les codes de ce cinéma pour s’emparer d’un sujet d’actualité : la condition des travailleurs sans papiers en France, plus précisément au sein de la communauté chinoise.
La caméra de Farrucci nous emmène dans un Paris nocturne où l’on croise les laissé(e)s pour compte du libéralisme (quel meilleur symbole du libéralisme sauvage que le développement des VTC, domaine dans lequel travaille le protagoniste), emportés dans des trajectoires urbaines marquées par la précarité et la solitude. La démarche est empreinte de sobriété : le réalisateur ne force jamais le trait, ne surligne jamais son propos. Il se concentre sur le récit, dont il laisse au spectateur le soin de méditer les dimensions politiques.

Il faut souligner cette élégance car il n’est pas si fréquent qu’un film parvienne à intégrer un aspect politique sans verser dans le brûlot ou la caricature ; La Nuit venue est en effet avant tout un objet de cinéma, dont les liens avec une réalité amère ne prennent jamais le dessus sur les exigences de la fiction – à savoir un récit de qualité, des personnages bien caractérisés et une caméra qui sait se mettre au service d’une histoire, rendre compte d’un environnement et traduire la singularité d’un regard (celui du cinéaste) sur celui-ci.
Une caméra qui sait, également, filmer des comédiens et en l’occurrence, ce sont de beaux comédiens dont Farrucci s’est entouré ici. Il a pris des risques, pourtant, en choisissant Guang Huo, qui n’avait aucune expérience au cinéma (il avait fait un peu de mannequinat et tourné dans des publicités). Bien lui en a pris : Huo est juste dans tous les plans, que ce soit au niveau de la gestuelle, des expressions ou des répliques.
Face à lui, la plus expérimentée Camélia Jordana (Cherchez la femme ; Le Brio) confirme une nouvelle fois son talent d’actrice et son évidente cinégénie (elle est d’ailleurs superbement éclairée par Antoine Parouty, le chef opérateur).
Pour revenir au mot-clé désir
que Frédéric Farrucci a utilisé dans sa présentation, il faut souligner la délicatesse avec laquelle le réalisateur filme la relation entre Jin et Naomi, et la sensualité qu’il parvient à insuffler aux scènes d’intimité. Sans cette dimension, La Nuit venue aurait pu être un peu froid, ; or le film nous fait croire à cette histoire d’amour que le réalisateur met en scène avec la même pudeur que celle dont il témoigne à l’égard des aspects politiques du récit, nous épargnant toute forme de pathos ou d’envolée romantique mal maîtrisée, pour privilégier une émotion discrète et raffinée.
Par ailleurs, il est stimulant de constater que le cinéma français peut varier ses thématiques et parler d’autre chose que de la crise de la trentaine (même si on peut faire de bons films avec des sujets éculés). Il faut supporter des réalisateurs comme Farrucci et espérer que d’autres parviennent à tourner des projets de la sorte, car ils contribuent à enrichir un paysage cinématographique parfois moins varié que la géographie française.
Extrait de la musique composée pour le film
Voici un extrait de la musique composée pour La Nuit venue par le musicien français Rone. Si la bande originale est essentiellement instrumentale, Camélia Jordana est en featuring sur ce morceau (dont elle a d’ailleurs peut-être signé les paroles). Je ne suis pas certain qu’on l’entende pendant le film ; il est possible qu’il ait été enregistré en parallèle.
Dans La Nuit venue, Frédéric Farrucci observe, avec beaucoup de sobriété et de discrétion, une réalité sociale problématique qu'il parvient à intégrer à un beau récit de fiction, empreint de mélancolie, de fatalité, de romantisme et de sensualité. Un récit porté avec grâce par des comédiens précieux et par la bande originale inspirée du musicien Rone. Une réussite.
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