Film de Just Philippot
Année de sortie : 2021
Pays : France
Scénario : Jérôme Genevray et Franck Victor
Photographie : Romain Carcanade
Montage : Pierre Deschamps
Musique : Vincent Cahay
Avec : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphael Romand
La Nuée choisit le registre du fantastique pour parler de la crise agricole. Le résultat est solide, intelligent et maîtrisé, bien qu’un peu trop lisible pour marquer durablement les esprits.
Synopsis du film
Virginie (Suliane Brahim) élève seule ses enfants Laura (Marie Narbonne) et Gaston (Raphael Romand) depuis la mort de son mari. Pour maintenir sa petite exploitation agricole, elle se lance dans un élevage de sauterelles comestibles.
Malheureusement, le rendement en farine est trop faible pour lui assurer des revenus suffisants, malgré l’aide de Karim (Sofian Khammes), un sympathique vigneron qui tente de lui trouver des clients.
Un jour, Virginie découvre un moyen de stimuler la reproduction de ses sauterelles. Mais il n’est pas sans conséquences sur leur comportement…
Critique de La Nuée
Auréolé du prix de la critique et de celui du public au festival du film fantastique de Gérardmer 2021, La Nuée est le premier long métrage de Just Philippot. Il mêle réalisme social et fantastique, ce qui lui vaut les louanges d’une critique cinéma française qui n’a toujours pas intégré qu’un large pan du cinéma de genre fait précisément cela depuis des décennies, mais passons.
Cet alliage s’explique entre autres par le fait que le film a été écrit par deux « fans » du cinéma d’horreur et fantastique, Jérôme Genevray et Franck Victor, tandis que le réalisateur, de son propre aveu, n’est pas particulièrement connaisseur du genre. De ce fait, il s’est appliqué surtout à ancrer le récit dans une réalité sociale, territoriale, économique.
Celle-ci est plutôt bien décrite, et éminemment actuelle. Cette femme qui lutte pour maintenir une exploitation agricole, et qui est confrontée à la dure loi du « volume » (produire beaucoup pour vendre à bas prix), renvoie à une situation que connaissent, malheureusement, beaucoup de « petits » exploitants, en France et dans le monde. Le scénario pousse la métaphore au point que Virginie va littéralement « se saigner » pour son travail. Ce faisant, elle altère le fonctionnement « naturel » des insectes et ici, La Nuée critique la manière dont l’être humain perturbe l’équilibre de son environnement, par exemple par l’utilisation de produits chimiques, ou encore d’équipements technologiques.
Tout cela est bien filmé, et fort bien joué (Suliane Brahim, Sofian Khammes et les deux jeunes comédiens Marie Narbonne et Raphael Normand sont tous très justes), tandis que le film a le bon goût ni de trop appuyer sur ses références – Les Oiseaux, Phase IV, et même Shining (de l’aveu même du cinéaste) –, ni de trop surligner son message (évitant par exemple, un laïus inutile sur la condition des agriculteurs), contrairement à ce qu’il est coutume de faire aujourd’hui au cinéma. Le scénario observe la même discrétion sur le thème du deuil, la mort du conjoint de Virginie n’étant évoquée que dans une seule séquence, et de manière très brève.
Le propos reste cependant très (trop ?) évident. La Nuée est un film bien écrit (tant au niveau des dialogues que de la caractérisation des personnages), jamais ennuyeux et qui sous-tend des constats politiques tout à fait lucides ; mais c’est aussi un film très lisible, dans la mesure où l’on sait rapidement de quoi on nous parle, et comment les choses vont évoluer. Dès lors le déroulement, s’il ne souffre d’aucune maladresse particulière, ne surprend ou n’interroge jamais. Or pour qu’un film marque une mémoire de spectateur, il faut qu’il laisse en lui une interrogation, une émotion plus insaisissable et troublante. La Nuée est trop balisé pour provoquer cet effet. Mais il reste un film de genre français de bonne facture, porté par de bons comédiens, dont les qualités justifient largement qu’on aille le découvrir en salle.
La Nuée s’inscrit dans la tradition d’un « fantastique social » que les critiques semblent redécouvrir tous les ans, d’où des éloges un peu trop exaltés face à ce film soigné de bout en bout, mais trop prévisible et qui manque de mystère, voire d'un brin de "folie". Toutefois, un film de genre hexagonal bien écrit, interprété et filmé, c’est suffisamment rare pour être salué. Celui-ci a par ailleurs les moyens de séduire un public plus large que les seuls amateurs de cinéma fantastique (grâce à ses dimensions politiques et familiales). Souhaitons-lui donc un beau parcours !
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