Film de Ladj Ly
Année de sortie : 2019
Pays : France
Scénario : Ladj Ly
Photographie : Julien Poupard
Montage : Flora Volpelière
Avec : Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djibril Zonga, Issa Perica
Les Misérables n’a pas volé les superlatifs flatteurs que de nombreux critiques usent à son égard depuis sa projection au festival de Cannes 2019 (où il remporta le prix du jury), tant le film témoigne d’un point de vue humain, rassembleur et jamais binaire, servi par une mise en scène et une interprétation remarquables.
Synopsis du film
Stéphane (Damien Bonnard), policier, quitte la ville de Cherbourg pour être affecté à la BAC de Montfermeil, ce qui lui permet de se rapprocher de ses enfants, dont son ex-compagne a la garde.
Il se retrouve aussitôt dans l’équipe de Chris (Alexis Manenti) et de Gwada (Djibril Zonga). Dès sa première journée de travail, Stéphane découvre des méthodes et un environnement auxquels il n’était pas habitué.
À partir du moment où le trio se lance à la recherche d’un lionceau volé par un jeune de la cité, Issa (Issa Perica), les événements vont rapidement prendre une tournure dramatique…
Critique de Les Misérables
Ce n’est jamais facile de traiter, frontalement, d’un problème de société au cinéma. Si ce problème est en partie étranger à l’expérience personnelle du metteur en scène, celui-ci risque d’avoir une approche un peu caricaturale, ou approximative ; si au contraire il est trop proche de son vécu, l’auteur peut alors manquer de recul, d’objectivité. Enfin, quel que soit le problème auquel on s’attaque il faut, au-delà du discours qu’on articule à son sujet, être capable de l’essentiel quand il s’agit d’un film : faire du cinéma.
Le réalisateur Ladj Ly se situe dans le second cas de figure : le sujet des Misérables, son premier long (adapté de son court métrage éponyme), renvoie directement à sa biographie : il a grandi à Montfermeil (cadre géographique de l’histoire) ; a filmé en partie les « célèbres » émeutes de 2005 ainsi que plusieurs interpellations policières trop « musclées ». Si d’être le témoin de ces événements a probablement nourri chez lui une certaine colère, elle ne brouille en rien son regard de metteur en scène (et de citoyen), l’une des qualités les plus frappantes de son film résidant dans cette capacité à prendre de la hauteur (à l’image du drone manipulé par un jeune garçon, ou encore de ces nombreux plans aériens sur les zones urbaines) pour mieux montrer que le problème dont il traite résulte d’un échec social, politique et collectif, avant d’être une affaire d’individus.
Car les hommes, d’un côté comme de l’autre (policiers et habitants des quartiers, certains étant d’ailleurs les deux), le cinéaste ne semble jamais les juger de but en blanc. Bien entendu, certains comportements montrés dans Les Misérables sont condamnables, mais les auteurs de ces comportements n’échappent jamais à l’empathie du cinéaste, quels qu’ils soient. Les Misérables s’affirme en effet comme une œuvre nuancée, dans laquelle jamais un personnage ne se résume à ses seuls actes. Sans tomber dans la sur-explication, Ladj Ly trouve toujours le moyen, en quelques plans, de nous faire considérer chaque individu selon plusieurs angles, nous éloignant ainsi d’un jugement définitif et binaire – la citation de Victor Hugo sur laquelle se clôt le film formulant la synthèse de cette louable démarche.
Les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films, pourrait-on légitimement avancer alors. Mais voilà, sur le plan purement cinématographique, Les Misérables convainc tout autant. C’est même parce qu’il est très bien filmé et monté que le film nous permet d’abord de ressentir (car le cinéma, c’est avant tout de l’émotion, comme le disait Samuel Fuller dans Pierrot le fou), puis de réfléchir (par nous-mêmes, sans que l’on nous martèle un point de vue sur le crâne). Sur le plan formel et narratif, Ladj Ly maîtrise plusieurs aspects essentiels à l’art cinématographique, dont le rythme et la gestion de l’intensité : tout est très précis, chronométré, millimétré. Le film a d’ailleurs été salué par William Friedkin, qui a quelque expérience en la matière… Parmi toutes les louanges qu’il a reçues, celle-ci, si elle ne lui a pas échappé toutefois, a dû toucher Ladj Ly, même si on suppose que ce dernier ne fait pas du cinéma pour la flatterie mais pour des motifs plus constructifs. Et parce qu’ils se conjuguent à une véritable maîtrise formelle, son engagement et sa sincérité font d’autant plus mouche dans l’esprit, et le cœur, du spectateur.
Les Misérables fait le choix de la prise de conscience collective au lieu de chercher à braquer des groupes de personnes entre elles, ou de montrer du doigt des coupables tout trouvés (même si les fameux "cultivateurs" de la phrase d'Hugo renvoient probablement ici au monde politique). Cette hauteur de vue, servie par des qualités techniques évidentes, confère au film (que le réalisateur qualifie lui-même de patriotique
) une belle résonance.
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