Film de Mehdi Fikri
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : Mehdi Fikri
Photographie : Romain Carcanade
Montage : Béatrice Herminie
Musique : Andrea Boccadoro
Avec : Camélia Jordana, Sonia Faidi, Sofian Khammes, Sofiane Zermani, Louise Coldefy, Samir Guesmi
Avant que les flammes ne s’éteignent aborde un sujet brûlant (comme le rappellent d’ailleurs une partie des réactions qu’il suscite) avec une approche sobre et documentée, qui a rarement été adoptée jusque-là dans ce genre de films.
Synopsis du film
De nos jours, dans la banlieue de Strasbourg. Quand Malika (Camélia Jordana) reçoit un appel de Driss (Sofiane Zermani) au sujet de l’arrestation de leur frère Karim, elle s’agace et raccroche rapidement, lassée des écarts de ce dernier. Au cours de la nuit suivante, elle apprend que Karim est décédé à l’hôpital.
Face à l’explication confuse et peu crédible de la police, Malika va vouloir faire la lumière sur les circonstances de la mort de son frère, avec l’aide d’un avocat renommé. C’est le début d’un difficile combat, dans un contexte d’émeutes urbaines.
Critique de Avant que les flammes ne s’éteignent
Pour son premier long métrage, Mehdi Fikri, qui a été journaliste à L’Humanité, s’est attaqué à un sujet difficile mais important, qu’il est compliqué d’évoquer publiquement en France sans que s’expriment aussitôt des réactions souvent binaires et franchement violentes par moment (Camélia Jordana, au casting de Avant que les flammes ne s’éteignent, en sait quelque chose). La simple expression violence policière
provoque volontiers un rejet total, un déni même, dans le sens où elle est interprétée comme une attaque indifférenciée à l’égard des policiers en général, alors qu’il s’agit avant tout de décrire un problème systémique, dont le traitement serait, dans le fond, profitable aussi bien à la population civile qu’aux fonctionnaires de police eux-mêmes. Les personnalités politiques, en particulier celles issues de la majorité actuelle et bien entendu de la droite et de l’extrême droite, refusent d’admettre cette réalité pourtant récurrente et largement documentée – pour des raisons essentiellement électoralistes et probablement, aussi, pour ne pas se mettre à dos certains syndicats policiers, en particulier le très puissant Alliance (classé à l’extrême droite depuis 2020). Mais revenons-en au film.
Ce n’est pas la première fois que le cinéma français aborde cette épineuse question. L’exemple le plus emblématique est La Haine, de Mathieu Kassovitz, auquel s’est d’ailleurs référé Mehdi Fikri dans une interview. Beaucoup plus récemment, Les Misérables, de Ladj Ly, traitait du même sujet, d’une façon à mon sens encore plus aboutie (même si La Haine possède des qualités formelles indéniables et surtout, a le mérite d’avoir abordé ce problème à une époque où aucun réalisateur français ne le faisait). Mais on ne peut pas dire que les films traitant des violences policières se bousculent ; ils sont même très peu nombreux (soulignons que le très bon film d’horreur français Vermines évoque cette question) à l’inverse, malheureusement, des cas observés dans la vie réelle, comme celui, très médiatisé, qui s’est déroulé à Nanterre en juin 2023 (le meurtre de Nahel Merzouk, qui fut suivi d’une série d’émeutes).
À l’inverse du très stylisé et très référencé La Haine (dont l’esthétique renvoie notamment à deux influences majeures de Kassovitz, Spike Lee et Scorsese, tandis qu’il y a du Blier dans l’écriture) et du bouillonnant Les Misérables, Mehdi Fikri opte pour une approche particulièrement sobre, tant sur le plan de l’écriture que de la mise en scène. L’angle choisi est également différent des deux films précités : le récit reste concentré sur le parcours d’une famille après la perte de l’un de ses membres. La violence reste donc hors-champ, qu’il s’agisse de la scène de l’arrestation de Karim ou des émeutes qui s’ensuivent, dont on ne voit, dans certains plans, que de lointaines traînées de fumée ou des lueurs orangées vacillant entre les silhouettes des tours.
Le réalisateur s’efforce donc avant tout de décrire la réaction d’une famille cherchant à ce que la justice applique le droit, et il a le mérite de conserver cet axe du début à la fin du film. C’est essentiellement un personnage féminin qui porte ce combat (Malika), un personnage d’ailleurs crédible, certes fort mais sans exagération, et dont l’attitude assez digne sonne d’autant plus juste que Camélia Jordana livre une composition fidèle au parti pris du réalisateur et scénariste, c’est-à-dire tout en retenue (le reste du casting, dont Sonia Faidi, Sofian Khammes, Sofiane Zermani et Louise Coldefy, convainc tout autant).
Le scénario comporte plusieurs éléments qui reflètent assez bien ce qui se passe après qu’une violence policière soit ébruitée, dont : la criminalisation de la victime, comme si le fait que celle-ci ait un casier judiciaire relativisait la gravité de sa mort (et réduisait l’importance d’une enquête impartiale, pourtant logique) ; et aussi le fait qu’on demande à une famille en deuil d’appeler au calme dans un contexte d’émeutes (ce qui arrive lors de la première interview de Malika par les médias), alors qu’une investigation non entravée et une reconnaissance des faits seraient certainement la meilleure façon d’apaiser les tensions. C’est là où à mon sens la critique parue dans Le Parisien est à côté de la plaque (le long métrage ne trouve rien à redire aux violences urbaines
, est-il écrit dans l’article) : une nouvelle fois, on déplace le sujet en se focalisant sur les conséquences d’un problème et non sur ses causes, mais c’est une spécialité très française dans ce domaine.
Décrivant avec soin le parcours judiciaire de la famille au centre de l’histoire, Mehdi Fikri livre donc un film sérieux dont le ton et le contenu ne semblent pas sans rapport avec son parcours en tant que journaliste (au cours duquel il a beaucoup travaillé sur les violences policières, justement). Les échanges avec l’avocat engagé par la famille sont particulièrement éclairants, notamment lorsqu’ils mettent l’accent sur le fait que tant que l’investigation est sous la responsabilité du procureur (lequel dépend du ministère de la Justice) et non sous celle d’un juge d’instruction indépendant, il y a de fort risques qu’elle soit biaisée, et aille dans le sens de la version des policiers. C’est là une problématique essentielle que le film soulève, puisqu’elle explique sans doute en partie les difficultés rencontrées par les familles des victimes dans ce type de procédure. La réflexion sur les médias est également pertinente : ce sont principalement les émeutes qui les poussent à parler de l’affaire et du combat de la famille de Karim, ce qui soulève des questions de fond sur l’éthique journalistique et sur les motivations, sans doute diverses, des émeutiers.
Enfin, le film rappelle intelligemment qu’une démarche judiciaire a un coût, un coût élevé, or dans le genre d’affaires dont traite Avant que les flammes ne s’éteignent, ce coût doit souvent être assumé par des familles aux revenus modestes, ce qui constitue un obstacle supplémentaire, cette fois-ci sur le plan économique.
On pourra reprocher au jeune cinéaste d’être davantage appliqué et rigoureux que véritablement inspiré (même s’il a du talent : sur les plans formel et narratif, il y a une réelle tenue ici, bien qu’une ou deux courtes séquences m’aient paru un peu en-dessous du reste). On aurait aimé aussi que certains personnages soient davantage explorés (notamment le briscard de la lutte incarné par Samir Guesmi, à travers lequel passe un autre sujet phare du film : celui de la transmission), mais il faut rappeler qu’il s’agit d’un film assez court, avec probablement des contraintes budgétaires fortes. Enfin, certaines scènes et notamment la seconde arrestation de Driss, tombent un peu comme un cheveu sur la soupe, comme si elles n’étaient pas tout à fait bien introduites par la narration. En dépit de ces quelques réserves, Avant que les flammes ne s’éteignent ne mérite à mon sens pas les attaques dont il fait l’objet, lesquelles me semblent davantage liées à sa thématique qu’à ses aspects techniques et artistiques.
En effet, force est de constater qu’à peine sorti au cinéma, Avant que les flammes ne s’éteignent s’est attiré des critiques se situant davantage à un niveau idéologique et politique que cinématographique. Une certaine presse parle de « propagande », tandis qu’on lit ici et là que Mehdi Fikri s’est directement inspiré de l’affaire Adama Traoré (y compris sur la page Wikipédia dédiée au film, que j’ai dû modifier moi-même car un message erroné et très négatif y figurait !), alors qu’il a affirmé s’être basé sur un ensemble de cas et que le récit s’éloigne grandement de l’affaire en question. Europe 1, radio bien à droite, a repris cette pure fake news sans états d’âmes (à travers une chronique, d’une approximation stupéfiante, de la journaliste
Emmanuelle Ducros).
La stratégie est classique : on réduit un problème global à une affaire unique, plus facile à décrédibiliser. Sans parler de tous les commentaires critiques tellement succincts qu’on en vient à se demander si leurs auteurs ont vu le film (il est d’ailleurs avéré que ce dernier a été ciblé par l’extrême droite avant même sa sortie sur les écrans ; lire à ce sujet : Avant que les flammes ne s’éteignent ciblé par l’extrême droite sur les réseaux sociaux, sur Ouest France, et également, sur Mediapart, l’article Les raids de l’extrême droite pour torpiller les films qui lui déplaisent).
C’est aussi pour cela que les films comme Avant que les flammes ne s’éteignent sont importants : on peut légitimement s’attrister des réactions qu’ils provoquent, mais au moins nous rappellent-elles, s’il en était besoin, à quel point le chemin est encore long avant que l’on puisse aborder sereinement, comme ce film tente pourtant de le faire, le sujet majeur dont il est question ici.
À savoir : Avant que les flammes ne s’éteignent a été projeté au festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, de même que Bye Bye Tibériade, que j’ai récemment chroniqué.
Avant que les flammes ne s'éteignent se distingue par une approche de son sujet très sobre et parfois assez pointue sur le plan juridique, approche que Mehdi Fikri a probablement choisie pour mieux représenter la lutte des familles concernées par le phénomène dont il parle, et pour décrire plus précisément les failles de la machine judiciaire. Cette démarche, servie par de bons comédiens et sans doute nourrie par l'expérience du réalisateur en tant que journaliste, est intéressante et louable, aussi, même s'il manque ce petit quelque chose pour transcender le caractère un peu trop illustratif du film de dénonciation, Avant que les flammes ne s'éteignent mérite qu'on s'interroge et qu'on réfléchisse aux problématiques sociales et juridiques qu'il soulève. Ce n'est malheureusement pas le type de réaction qui semble dominer.
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