Film de S. Craig Zahler
Année de sortie : 2018
Titre français : Traîné sur le bitume
Pays : États-Unis
Scénario : S. Craig Zahler
Photographie : Benji Bakshi
Montage : Greg D’Auria
Musique : Jeff Herriott, S. Craig Zahler
Avec : Mel Gibson, Vince Vaughn, Tory Kittles, Michael Jai White, Jennifer Carpenter, Laurie Holden, Fred Melamed, Udo Kier, Thomas Kretschmann, Don Johnson
Brett Ridgeman: This a guy or a girl singing this song?
Anthony Lurasetti: Can’t tell.
Dragged Across Concrete (Traîné sur le bitume) se distingue par une remarquable gestion du rythme et une caractérisation aboutie des personnages et de leur environnement.
Synopsis du film
Les policiers Brett Ridgeman (Mel Gibson) et Anthony Lurasetti (Vince Vaughn) écopent d’une suspension de six semaines suite à une intervention jugée trop musclée, filmée à leur insu par un citoyen.
Privé temporairement de salaire, Brett rumine sa frustration d’habiter, avec sa femme Melanie (Laurie Holden) et sa fille Sara (Jordyn Ashley Olson), dans un quartier mal fréquenté, ses revenus ne lui permettant pas d’espérer beaucoup mieux. De son côté, Anthony aimerait posséder davantage d’économies pour assurer l’avenir de sa relation avec sa petite amie, qu’il s’apprête à demander en mariage sans trop être certain de sa réponse.
Un soir, alors que Brett vient d’apprendre que sa fille a subi une nouvelle agression, il convainc Friedrich (Udo Kier), un homme d’affaires véreux qui lui doit une faveur, de lui donner le nom d’un trafiquant important. Dans la foulée, il demande à Anthony de le rejoindre et lui fait part d’un projet des plus risqué…
Critique de Dragged Across Concrete
Je ne suis pas du tout stimulé par la politique
, a dit S. Craig Zahler au cours d’une interview où on le questionnait, comme il est de bon ton de le faire aujourd’hui, sur le potentiel discours de son dernier film par rapport à la société américaine actuelle. Et pour cause, de discours, il n’y en a pas dans Dragged Across Concrete (Traîné sur le bitume en français), encore moins de message. C’est d’ailleurs l’une des qualités du film, à une époque où à en croire une grande partie du public et de la critique cinéma, la présence d’un message (politique, humaniste…) voire d’une morale (volontiers binaire) est devenue pratiquement une nécessité pour toute œuvre d’art dite « respectable ».
Ici, le réalisateur et scénariste américain, dont Dragged Across Concrete est le troisième long métrage, s’attache avant tout à bien caractériser ses différents personnages et à les faire évoluer, parfois se confronter, au sein d’un environnement urbain, en l’occurrence une ville imaginaire (Bulwark) qui est d’ailleurs, d’une certaine façon, un personnage à part entière. Le scénario n’est guidé que par la « logique » comportementale des uns et des autres, jamais par la volonté de démontrer quelque chose, encore moins de juger quelqu’un et ce, quel que soit l’aspect moralement douteux de ses choix, la dureté de ses propos ou la violence de ses actes.
La mise en place, qui est devenu un concept presque désuet dans un certain cinéma hollywoodien obsédé par la peur d’ennuyer son public, est exemplaire à bien des égards. Dragged Across Concrete prend le temps d’exposer les personnages, de créer une atmosphère, de faire vivre un cadre social et géographique qui devient palpable à l’écran, et qui contribue grandement à l’aspect immersif du métrage.
Cette démarche patiente et méticuleuse nécessite d’enchaîner des séquences qui, dans l’absolu, ne font pas avancer l’intrigue à proprement parler – une intrigue d’ailleurs minimaliste. Plusieurs de mes scènes préférées dans mes films et dans mes livres sont des scènes qui ne font pas avancer l’intrigue
, explique le cinéaste et écrivain. Catherine Breillat et Maurice Pialat, à l’époque où ils écrivaient Police, témoignaient de la même volonté de s’attarder sur des détails sans influence directe sur la trame principale. Cela semble être une évidence et pourtant, confié à un autre réalisateur et à d’autres producteurs, Dragged Across Concrete durerait probablement une bonne demi-heure de moins, et perdrait au passage une grande partie de sa substance.

Henry Johns (Tory Kittles) et sa mère Jennifer (Vanessa Bell Calloway) dans « Dragged Across Concrete »
La gestion du temps et de l’espace, la manière dont Zahler fair durer des scènes où il ne se passe, concrètement, rien de particulier, porte clairement la marque d’un cinéaste précieux, qui maîtrise l’une des choses les plus essentielles au cinéma (le rythme) et possède un sens aigu de la narration (qu’il a probablement dû affuter à l’occasion de l’écriture de ses différents romans). Dragged Across Concrete s’affirme clairement comme l’un des polars américains les mieux écrits de ses dernières années, et le casting est à la hauteur de la rigueur du script : Mel Gibson, tout en sobriété, livre là l’un des meilleures performances de sa carrière, tandis que Vince Vaughn, Tory Kittles, Jennifer Carpenter et Laurie Holden composent brillamment leurs personnages respectifs.
Ceux-ci évoluent au sein d’un récit dur (à l’image de son titre), moderne tout en s’inscrivant dans une certaine tradition du cinéma noir hard-boiled, et qui évite habilement toute forme de pathos et de dramatisation excessive. On peut penser, de prime abord, à un certain William Friedkin mais c’est Sidney Lumet et son Prince de New-York que cite spontanément S. Craig Zahler. Ce qui n’a rien d’étonnant : en termes de richesse et de qualité de la narration, le réalisateur de The Offence demeure une référence incontournable. S’il continue sur cette lancée, il est probable que S. Craig Zahler en devienne une à son tour.
Bande-annonce de Traîné sur le bitume
Que ce soit au niveau de l'exposition des personnages, de la description de l'environnement ou de la gestion du rythme, Dragged Across Concrete cumule des qualités d'écriture et de découpage qui le hissent parmi les meilleurs polars urbains de ces dernières années. Un statut que renforce une absence assumée, et rafraîchissante vu le contexte, de message et de morale.
Le film sortira en France directement en DVD et Blu-ray le 3 août 2019 (on pourra légitimement s'interroger quant à l'absence de sortie au cinéma).
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