Film de Bobcat Goldthwait
Année de sortie : 2013
Pays : États-Unis
Scénario : Bobcat Goldthwait
Photographie : Evan Phelan
Montage : Jason Stewart
Avec : Alexie Gilmore, Bryce Johnson
Avec Willow Creek, Bobcat Goldthwait signe une énième variation cinématographique autour du Sasquatch, en forme de found footage. Le résultat est divertissant.
Synopsis de Willow Creek
Jim (Bryce Johnson) et Kelly (Alexie Gilmore), un jeune couple, se rendent à Willow Creek, en Californie, la « capitale du Bigfoot ». Jim est convaincu de l’existence de la célèbre créature velue à laquelle Willow Creek consacre chaque année un festival ; Kelly est persuadée qu’il s’agit d’une légende mais, par amour, accompagne sa moitié sur les traces d’un vieux rêve : camper en plein cœur de Bluff Creek, le site où aurait été filmé, en 1967, le Sasquatch…
Critique du film
Le Bigfoot (ou Sasquatch), sorte de cousin américain du Yéti (Népal) et de l’Almasty (Caucase), est selon les points de vue un fascinant cas de cryptozoologie ou une page (non moins fascinante) du folklore nord-américain. Cette hypothétique créature a inspiré de nombreux films, adoptant tantôt une approche documentaire (The Legend of Bobby Creek, 1972) ou fantaisiste (l’amusant Abominable, 2006). Le brillant Richard Corben l’a par ailleurs dessinée dans Bigfoot (2005), une BD scénarisée par Rob Zombie et Steve Niles – mais la liste des œuvres de fiction faisant référence de près ou de loin au Sasquatch est bien trop longue pour être dressée ici.

Dernier Bigfoot movie en date, Willow Creek a été présenté dans différents festivals de cinéma courant 2013 (le Festival du Film Indépendant de Boston, le Festival du Film de Maryland) avant de sortir tout récemment (mai-juin 2014) sur les écrans anglais et américains ; la date de la sortie en France, si elle advient, n’a pas encore été communiquée. Le film a été écrit et réalisé par l’humoriste, scénariste, acteur et réalisateur Bobcat Goldthwait, dont les trois précédents longs métrages en tant que metteur en scène (Sleeping Dogs Lie, World’s Greatest Dad et God Bless America) ont été plutôt bien reçu par la critique ; pour l’instant, l’accueil de Willow Creek est également favorable, bien qu’on était en droit de craindre le pire. En effet, parmi les nombreux films s’aventurant sur les terres du Bigfoot, peu s’en sortent avec les honneurs ; de plus, si le found footage compte d’indéniables réussites et quelques classiques (Cannibal Holocaust, pour ne citer que lui), ce sous-genre horrifique – très en vogue notamment depuis que le célèbre Projet Blair Witch (1999) l’a remis au goût du jour – a également vu naître un grand nombre de ratages. L’exercice, il est vrai, est idéal pour un cinéaste souhaitant écarter tout projet de mise en scène, au profit d’aléatoires et indigestes mouvements de caméra.

Cette méfiance que l’on peut donc logiquement éprouver au moment de visionner Willow Creek s’estompe assez rapidement, et on se surprend à suivre avec curiosité ce couple incarné par la jolie Alexie Gilmore (vue récemment dans Last Days of Summer) et Bryce Johnson. Et cela pour des raisons diverses et variées : des comédiens suffisamment attachants pour nous impliquer un minimum dans le sort de leurs personnages ; la beauté du cadre ; et une réalisation somme toute assez sobre évitant les principaux écueils du genre (la caméra ne remue pas dans tous les sens), du moins pendant la majeure partie du film.
Goldthwait prend son temps et il se passe finalement assez peu de choses pendant les quarante premières minutes, le film gagnant progressivement en intensité à partir du moment où le couple arrive à Bluff Creek – le site où Roger Patterson et Bob Gimlin ont tourné, en 1967, une vidéo qui fait encore débat aujourd’hui. Au cours de cette partie du film, le metteur en scène privilégie le hors champ et la suggestion, notamment à l’occasion d’une longue séquence filmée à l’intérieur d’une tente, où la tension nait uniquement de la bande son et du jeu des acteurs.

Après cette scène plutôt convaincante, le film, à l’inverse de ses protagonistes égarés dans la nature, suit malheureusement une route plus balisée. Le dénouement, conventionnel et même un peu bâclé, n’apporte pas grand chose à l’univers ultra-codifié du found footage, et le réalisateur aurait été plus inspiré de prendre la contre-allée. Tout juste peut-on discerner, à partir des images confuses agitées à l’écran, une vague piste de réflexion sur le « mythe » du Bigfoot – qui ferait plus ou moins écho à la théorie avancée par le Dr. Melba Ketchum – mais elle manque trop d’appui pour susciter davantage qu’un haussement d’épaules.
Néanmoins, Willow Creek reste agréable à suivre et réussit par moment à créer une certaine tension, ce qui suffit à le rendre recommandable en particulier si, comme l’auteur de ces lignes, l’on s’intéresse un minimum à son sujet.
Bande annonce de Willow Creek
Le film de Roger Patterson et Bob Gimlin
Et voici le fameux Patterson-Gilmlin film, dont la date supposée de tournage est le 20 octobre 1967. On y voit ce qui ressemble à une sorte de grand singe – dont les auteurs du film ont prétendu qu’il s’agissait du Bigfoot – marcher dans la forêt, à Bluff Creek (un nom qui ne plaide pas pour l’authenticité de la vidéo, il faut le reconnaître), en Californie. La majorité des scientifiques (y compris Bernard Heuvelmans, l’un des plus éminents cryptozoologues) ayant visionné ce film ont prétendu qu’il s’agissait d’un canular, mettant en scène un homme portant un costume ; d’autres se sont montrés plus indécis, arguant que la vidéo permettait difficilement d’opter pour une interprétation définitive et objective.
Les analyses du Dr. Melba Ketchum
Les dernières minutes de Willow Creek comportent une image qui évoquent confusément les résultats, publiés en 2013, d’une étude menée par le Dr. Melba Ketchum, à partir de prélèvements issus d’Amérique du nord. Selon la scientifique, l’ADN mitochondrial (qui provient uniquement de la mère) des échantillons analysés correspondrait à celui d’une femme, tandis que l’ADN nucléaire ne correspondrait à rien de connu. A partir de là, Ketchum en a conclu que le Bigfoot existe bel et bien et qu’il serait un animal hybride, issu de l’accouplement entre une femme et une variété de singes.
Les conclusions de l’étude ont fait les gros titres des journaux aux Etats-Unis à l’époque, mais ont convaincu peu de scientifiques, sceptiques quant à la fiabilité des échantillons, la méthodologie de l’étude et l’interprétation des données.
Willow Creek permettra aux amateurs de frissons et de cryptozoologie de passer un moment agréable. Sans faire de miracles, ce sympathique found footage s'en sort avec les honneurs, grâce à des personnages sympathiques et un certain sens de la progression - même si la toute fin du film tombe dans les écueils du genre.
3 commentaires
« Une longue séquence filmée à l’intérieur d’une tente, où la tension nait uniquement de la bande son et du jeu des acteurs » : description idoine pour sa sœur dans la forêt de Blair… Le « found footage » ne s’avère pas seulement « idéal pour un cinéaste souhaitant écarter tout projet de mise en scène », il révèle aussi le narcissisme contemporain, illustré encore par le « selfie », et la mutation du statut de spectateur – appelée de ses vœux par Coppola voici plus de trente ans –, devenu lui-même acteur/réalisateur/producteur/distributeur (et exploitant de sa propre image en miroir de celle du public). L’usage récent du procédé dans la comédie, avec « Babysitting », démontre qu’il sied à d’autres genres que l’horreur, même si la réflexion d’un Deodato sur la nature et la réception de telles images se perd en route, comme les cinéastes amateurs, dans tous les sens de l’expression, égarés dans leur projet, ethnologique (sur une sorcière nommée d’après l’actrice de « L’Exorciste ») ou festif (« Projet X », mais pas son homonyme, méta et sexuel, de Fred Coppula ! ). La créature, issue du folklore amérindien, représente un bel exemple d’acclimatation culturelle (nombre d’œuvres américaines la mettent en scène, en effet, dont un improbable « Harry et les Henderson » (1987), sorte de « E.T. l’extra-terrestre » au petit pied, sans jeu de mots, qui valut un Oscar à Rick Baker) et capitaliste (le « Burger » du film, et le festival qui va avec, parmi d’autres exemples de merchandising). Le « document » de Patterson & Gimlin ne possède guère la puissance du Zapruder, « snuff movie » véritable plongeant les téléspectateurs en plein cauchemar, alors que les « preuves » de la cryptozoologie ouvrent sur le rêve et l’imaginaire enfantin (en écho à la tente des récits de terreur en colonie de vacances). Dans le genre, on conserve un assez bon souvenir de « Incident au Loch Ness », avec le rugueux Herzog chassant Nessie « pour de faux » – et vous ?
Pas vu « Incident au Loch Ness », apparemment cela relate le projet d’un film qui ne s’est jamais fait ?
Sur la cryptozoologie et l’imaginaire enfantin c’est vrai en partie mais réducteur, je nuancerai simplement car c’est un domaine qui peut être adopté avec une rigueur scientifique, c’est d’ailleurs ce que faisait Heuvelmans mais beaucoup d’autres moins connus également. Personnellement j’aime bien les deux aspects (folklorique/imaginaire et l’autre plus scientifique). Le film de Patterson est a priori un exemple de ce qui se fait de farfelu dans le genre (en admettant qu’il s’agit bien d’un canular, qui sait ?) ; quant à le comparer avec le Zapruder, je ne suis pas certain que cela soit très à propos !
Parallèle, plutôt que comparaison, entre deux énigmes, d’ailleurs associées dans certains ouvrages « spécialisés » (par exemple, « Les Grandes Énigmes », de Jacques Marseille et Nadeije Laneyrie-Dagen, Larousse, 1995), avec un questionnement sur l’image (origine, véracité, « horizon d’attente ») et l’horreur (mythique/folklorique, voire scientifique, ou politique/médiatique) via l’imaginaire d’un pays et d’un art (cf. « 26 secondes : L’Amérique éclaboussée », de J.-B. Thoret, chez Rouge Profond). Dans le premier volume en français de son « Anatomie de l’horreur », King fait à juste titre l’éloge de l’imaginaire enfantin (et non puéril), propice à l’expression des terreurs et splendeurs adultes (le sujet de « Ça »). Quant à « Incident au Loch Ness », il narre les vrais-faux déboires du cher Werner dans sa chasse au monstre d’eau douce (après celle du « monstrueux » Kinski) et fait intervenir un cryptozoologue spécieux – un « must-see » pour vous, donc ; dans un registre plus « réaliste », on recommande son excellent documentaire à la première personne, « Rencontres au bout du monde », qui prolonge un peu « The Last Winter ». Des nouvelles de Laura Palmer ?