Film d’Olivier Assayas
Année de sortie : 2014
Pays : Allemagne, France, Suisse
Scénario : Olivier Assayas
Photographie : Yorick Le Saux
Montage : Marion Monnier
Avec : Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz, Johnny Flynn, Lars Eidinger
Servi par une interprétation remarquable, un scénario nuancé et une mise en scène élégante, Sils Maria délivre une méditation émouvante sur le passage du temps et le métier de comédien.
Synopsis de Sils Maria
L’actrice Maria Enders (Juliette Binoche) s’apprête à recevoir un prix décerné à Wilhelm Melchior, cinéaste et auteur de théâtre peu friand des événements mondains. Maria connaît personnellement l’artiste, qui avait lancé sa carrière de comédienne en lui offrant l’un des rôles principaux dans Maloja Snake, adapté d’une pièce décrivant la relation tumultueuse entre une quinquagénaire et sa jeune employée.
Mais dans le train qui la conduit vers le lieu de la cérémonie, Maria apprend de la bouche de son agent Valentine (Kristen Stewart) le brusque décès de Wilhem Melchior.
À la suite d’une cérémonie endeuillée, Maria rencontre un jeune metteur en scène de théâtre qui lui propose de jouer dans sa propre version de Maloja Snake – mais cette fois, elle tiendrait le rôle de la femme plus âgée tandis qu’une jeune et scandaleuse vedette hollywoodienne, Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), reprendrait celui qu’elle avait composé une trentaine d’années plus tôt. D’abord réticente, Maria finit par accepter et commence à répéter le rôle avec l’aide de Valentine, à Sils Maria.
Critique du film
Le sujet de Sils Maria aurait facilement pu donner lieu à un film verbeux et poseur ; de ces films qui multiplient les postures surfaites, soucieux de revendiquer leur appartenance à un cinéma d’auteur intellectuel et difficile.
C’est le contraire qui se passe ici : Olivier Assayas explore sans maniérisme des thématiques qu’il ne cherche jamais à compliquer ou à dramatiser inutilement. Il émane ainsi de Sils Maria un sentiment aérien, vaporeux, à l’image de ces nuages serpentins dont il est plusieurs fois question dans le scénario.
Ce dernier traite pourtant de sujets délicats : le passage du temps (tel qu’il est intimement vécu par le personnage de Maria mais également à travers le prisme, plus général, des changements d’époque et des écarts générationnels) ; le monde moderne ; le métier de comédien ; les relations entre l’art et la vie sont en effet autant de thèmes propices à une certaine lourdeur dans le traitement, du moins quand ils sont maniés par des auteurs plus mineurs. Mais Olivier Assayas évite les fioritures et digressions inutiles, de même qu’il n’accentue jamais trop un silence, un mot ou un regard, et se garde de toute analyse stéréotypée. Il en résulte un alliage délicat – et assez rare – de profondeur et de légèreté.

Juliette Binoche dans « Sils Maria ». On aperçoit Kristen Stewart en arrière plan.
Si Assayas, cinéaste qui s’est frotté à différents genres cinématographiques (le thriller avec Demon Lover et Boarding Gate ; le drame intimiste avec L’Heure d’été ; la chronique sociale avec Après mai), réussit aussi bien dans Sils Maria à émouvoir sans pathos et à faire réfléchir sans verbiage, c’est aussi parce qu’il a pu compter sur un duo d’actrices (sans négliger les autres comédiens, tous excellents) qu’on aurait du mal à qualifier sans étaler béatement des superlatifs flatteurs.
Juliette Binoche (notons qu’Olivier Assayas a co-écrit le film qui lança la carrière de l’actrice française, à savoir Rendez-vous, d’André Téchiné, sorti en 1985) et Kristen Stewart – dont les parcours respectifs reflètent en partie le sujet du film et les échanges entre les personnages qu’elles incarnent – livrent ici des performances qui font à la fois oublier et admirer leur « jeu » en tant que comédiennes. Elles s’écoutent, se répondent, réagissent chacune aux répliques et gestes de l’autre avec une justesse dans laquelle le film puise une grande partie de sa magie discrète, de sa poésie sobre et de son intelligence jamais démonstrative.
La relation entre leurs personnages respectifs est au coeur de Sils Maria, et Juliette Binoche et Kristen Stewart en expriment parfaitement les multiples façettes et enjeux. Valentine est une jeune femme moderne, qui vit avec son temps tout en gardant un point de vue critique ; tandis que Maria Enders, la comédienne incarnée par Juliette Binoche, est dans une posture davantage repliée sur elle-même, et sur l’époque qui a vu grandir sa carrière. Il faut dire que Maria est très directement confrontée au passage du temps, non seulement de par la mort du réalisateur Wilhelm Melchior (qui lui avait offert son premier rôle), mais aussi à travers la proposition qu’un jeune metteur en scène lui fait (jouer dans une nouvelle adaptation de la pièce qui avait lancé sa carrière, mais dans le rôle d’un personnage plus âgé). Cette opposition de point de vue – intéressante car non seulement elle contribue à affiner la caractérisation des personnages, mais elle livre également une réflexion sur le monde moderne et sur le temps qui passe – ne tombe jamais dans la caricature, les nuances déjà présentes dans le texte se retrouvant dans les compositions inspirées des deux actrices.
Avec la spontanéité d’un paysage surpris dans le bon éclairage, Sils Maria suscite chez le spectateur des émotions nuancées et mystérieuses, que synthétise l’apparition hypnotique du serpent de Maloja (un banc de nuages de plusieurs kilomètres) lors de la scène la plus saisissante du film – celle qui conclut (en beauté) la relation complexe entre ses protagonistes.
Sils Maria s'affirme comme l'une des belles réussites cinématographiques de l'année 2014, offrant au passage à Kristen Stewart un rôle qui devrait faire date dans la carrière de l'actrice américaine. Sa prestation a d'ailleurs été unanimement saluée par la critique. Visiblement conquis, Olivier Assayas la dirigera à nouveau dès son film suivant, l'excellent Personal Shopper.
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