Film d’Olivier Assayas
Année de sortie : 2007
Pays : France, Luxembourg
Scénario : Olivier Assayas
Photographie : Yorick Le Saux
Montage : Luc Barnier
Musique : Brian Eno
Avec : Asia Argento, Michael Madsen, Carl Ng, Kelly Lin, Alex Descas, Kim Gordon
Sandra: I should not have come here. I’m regretting it already.
Miles: Honey, you came here because it’s dangerous.
Boarding Gate est un thriller en eaux troubles, servi par la composition fiévreuse, complexe et nuancée d’Asia Argento.
Synopsis du film
Miles Rennberg (Michael Madsen) gère une entreprise de sécurité à succès. Suite à une accumulation de mauvais choix, il se retrouve en mauvaise posture sur le plan financier et confie donc à son associé André (Alex Descas) qu’il souhaite céder ses parts à ses créanciers.
Le jour même, Sandra (Asia Argento) – son ancienne maîtresse – lui rend visite dans son bureau parisien. Elle semble déterminée à mettre un terme à leur relation, mais Miles s’entête et lui donne rendez-vous chez lui le lendemain soir.
Employée dans une société d’importation, Sandra rêve de réunir assez d’argent pour ouvrir un night-club à Pékin. Pour y parvenir, elle est prête à bien des choses…
Critique de Boarding Gate
C’est l’affaire Édouard Stern, un banquier français retrouvé mort à Genève en 2005, qui souffla à Olivier Assayas l’idée de Boarding Gate. La victime, qui représentait de son vivant la 38ème fortune de France, a été assassinée – comme l’enquête le révéla rapidement – par sa compagne de l’époque (laquelle exprima d’ailleurs de vifs regrets à sa sortie de prison en 2013).
Boarding Gate n’est en aucun cas fortement inspiré par cette affaire, et les personnages du film – de même que son intrigue – sont fictifs. On retrouve néanmoins dans le scénario deux éléments qui ont un rapport, toutes proportions gardées, avec ce sombre fait divers : le monde des affaires, dans lequel baigne le personnage interprété par Michael Madsen, et l’idée d’une relation passionnelle et aliénante.
Asia Argento, indissociable de la narration
Si Boarding Gate est, comme Demonlover (sorti en 2002), un thriller néo-noir, vaguement sulfureux, il est également proche, à certains égards, d’autres films de son auteur, appartenant à un genre pourtant différent. En effet, comme souvent chez Olivier Assayas, l’intrigue est avant tout un moyen d’observer l’évolution du personnage principal, incarné en l’occurrence par une comédienne – Asia Argento – indissociable de la narration
, pour reprendre les propres termes de l’auteur.
Assayas n’envisageait donc pas de tourner Boarding Gate avec une autre actrice, et c’est quelque chose qu’il dira également de Kristen Stewart pour l’excellent Personal Shopper, récompensé au Festival de Cannes 2016 du prix de la mise en scène. Il est fort probable également que Sils Maria ne se serait pas fait sans Juliette Binoche. Ce lien profond entre l’histoire et la comédienne choisie pour l’incarner est un élément récurrent dans le cinéma d’Olivier Assayas, et qui détermine en partie son style d’écriture.
Boarding Gate est en effet assez inimaginable sans Asia Argento. Omniprésente, la comédienne livre une performance qui donne toute sa substance au film. Tour à tour magnétique, vénéneuse, ambitieuse, forte, dominée, dominante, vulnérable et désemparée, elle offre à son personnage une vaste palette d’émotions, qui nous rappelle à quel point – comme la comédienne le confie elle-même – le cinéma est essentiel pour elle. Une actrice talentueuse mais dénuée de ce sentiment d’urgence et de cette énergie authentique ne saurait probablement pas apporter un tel niveau d’intensité et ce, quelle que soit la scène et le registre de jeu que celle-ci implique.
Le mérite ne revient pas qu’à elle seule : c’est un beau personnage que lui a confié ici le réalisateur de Clean. Un personnage trouble, complexe, qui vit une relation étouffante avec un riche homme d’affaires. Ainsi qu’on le comprend rapidement au début du film, cette relation est au point mort. Il faut dire que le passif des deux amants n’est pas des plus épanouissants : Miles, l’homme d’affaires en question, utilisait Sandra (Argento) comme une call-girl, ceci afin d’obtenir des informations sur l’oreiller de la part de potentiels clients et partenaires. À cette association douteuse se mêlaient quelques jeux érotiques S&M, impliquant des menottes et autres accessoires – mais aussi d’authentiques sentiments.
Un face-à-face intense
Asia Argento et Michael Madsen se donnent merveilleusement la réplique, et leurs (deux) scènes communes comptent parmi les plus réussies du film. On croit totalement à leur couple torturé et sans avenir possible, en dépit des espoirs furtifs de Sandra et de l’entêtement aveugle de Miles. Ce dernier est méprisable à certains égards mais non dépourvu de nuances, et la composition de Michael Madsen lui donne une épaisseur palpable.
La réalisation tire le meilleur parti de ce duo « cinégénique » à souhait (les deux comédiens ont une présence physique et une aura très fortes). Les angles de caméra soulignent habilement l’état de leur relation, notamment dans les scènes où Assayas cadre Asia Argento en premier plan, de face, tandis que la silhouette floue de Michael Madsen rôde en arrière plan. Manière évidente de signifier que Miles appartient au passé, et que cette liaison les tire tous deux vers l’arrière.
Le parcours du protagoniste comme moteur principal du récit
Autour de ce couple moribond, Boarding Gate décrit un monde opaque, globalisé, dominé par l’argent et les manipulations ; un monde que l’auteur dépeignait déjà dans Demonlover.
Au sein de ce monde, Sandra se cherche une place, et bien entendu elle cumule les mauvais choix. La caméra traque ses hésitations, ses tâtonnements puis sa fuite, qui sont la préoccupation centrale d’Olivier Assayas. Comme le souligne justement le titre du film (porte d’embarquement
), Sandra est en mouvement perpétuel et passe d’un univers à l’autre (de l’Europe à Shanghai, plus précisément). Mais ce mouvement est chaotique, désordonné. Il faut dire que le monde dépeint par Assayas n’est pas tellement plus clair, et que les sentiments et désirs de la jeune femme ne se distinguent pas non plus par leur limpidité.
Un dernier plan magnifié par le jeu d’Asia Argento
À l’image de cette quête confuse, Boarding Gate épouse une sorte de rythme flottant, un peu bancal même, quoique – d’un certain point de vue – cohérent par rapport au sujet du film. Confronté à des péripéties un peu vaines, le spectateur a parfois la tentation de décrocher. Mais il suffit d’un regard, comme celui qu’Asia Argento jette dans l’ultime séquence, pour que l’on prête à nouveau toute son attention à l’image. Le dernier plan, avec ces escalators qui montent et qui descendent, traduisent à nouveau cette idée de mouvement sans objectif défini, au même titre que l’image qui, significativement, se floute.
Car comme la personal shopper du film éponyme, Sandra cherche mais ne trouve pas forcément quelque chose. C’est manifestement cette confusion qui intéresse Assayas et dont l’actrice rend si bien compte. À son sujet, dans une courte interview filmée pour les besoins du DVD de Boarding Gate, Michael Madsen a confié : I miss her
. On en dirait sans doute autant si elle arrêtait demain de faire du cinéma – mais heureusement, cela ne semble pas être à l’ordre du jour.
Sans être aussi abouti (notons que le film a coûté moins de 3 millions d'euros) que Sils Maria ou Personal Shopper, Boarding Gate confirme le talent de son auteur quand il s'agit de filmer des personnages complexes, borderline, évoluant sur le fil dans un monde sans repères. Outre la saisissante Asia Argento, Michael Madsen tire également son épingle du jeu et on aimerait le voir plus souvent dans des rôles aussi consistants : l'interprète de Mr. Blonde dans Reservoir Dogs fait clairement partie des comédiens dont le potentiel est sous-exploité par l'industrie du cinéma. Du côté des seconds rôles, on notera la présence de Kim Gordon, membre du groupe de rock alternatif Sonic Youth, lequel avait signé la bande originale de Demonlover, du même Assayas. Celle de Boarding Gate est d'ailleurs l’œuvre de Brian Eno, l'un des pionniers de l'ambient et de la musique électronique.
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