Film de Quentin Tarantino
Année de sortie : 2015
Pays : États-Unis
Scénario : Quentin Tarantino
Photographie : Robert Richardson
Montage : Fred Raskin
Musique : Ennio Morricone
Avec : Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Walton Goggins, Demián Bichir, Tim Roth, Michael Madsen, Bruce Dern, James Parks, Channing Tatum, Dana Gourrier, Gene Jones, Zoë Bell
Trois ans après Django Unchained, Quentin Tarantino aborde de nouveau la guerre de Sécession aux États-Unis avec Les Huit salopards, à travers une approche plus allégorique.
Synopsis du film
En 1877, dans le Wyoming. Le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson) est un vétéran de la guerre de Sécession, au cours de laquelle il a servi dans l’armée de l’Union. Il exerce désormais l’activité de chasseur de primes. Alors qu’il transporte les cadavres de trois bandits, son cheval meurt et Warren décide de faire signe à une diligence de passage, étant donné que la première ville se trouve à des kilomètres de distance et que le temps est hostile.
La diligence en question est occupée par un autre chasseur de primes, John Ruth (Kurt Russell), qui escorte Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh), une criminelle condamnée à la pendaison. D’abord méfiant, Ruth laisse Warren monter à bord du véhicule, d’autant plus que les deux hommes se connaissent. Ils sont bientôt rejoints par Chris Mannix (Walton Goggins), qui prétend être le nouveau maire de Red Rock, la ville où Ruth et Warren comptent justement se rendre pour toucher leurs primes. Mannix est un ancien partisan de la cause perdue des États confédérés
et ce fait, une certaine tension plane entre lui et le major Warren…
En chemin, ils font halte dans une taverne tenue par Minnie Mink (Dana Gourrier) et Sweet Dave (Gene Jones). Mais une fois sur place, ils constatent que les tenanciers, temporairement absents, ont confié la gestion du lieu à un dénommé Señor Bob (Demián Bichir). D’autres hommes sont présents à l’intérieur, dont Sanford Smithers (Bruce Dern), un ancien général sudiste, Oswaldo Mobray (Tim Roth), le nouveau bourreau de Red Rock et Joe Gage (Michael Madsen), un cow-boy de passage.
John Ruth, craignant l’intervention de complices de sa prisonnière, est sur ses gardes, tandis que Warren paraît également méfiant. Dehors, la tempête de neige fait rage. Tout ce petit monde va devoir cohabiter, pour le meilleur et pour le pire…
Critique de Les Huit Salopards
Les Huit Salopards se situe assez logiquement juste après Django Unchained dans la filmographie de Quentin Tarantino ; assez logiquement, dans la mesure où Django… se déroule dans le sud esclavagiste, trois années avant le début de la guerre de Sécession, tandis que l’action des Huit Salopards a lieu environ douze ans après la fin de celle-ci et qu’on y retrouve, en toile de fond, la division nord/sud et la question du racisme anti-noirs aux États-Unis (qui était le sujet même de Django…).
Les deux films sont donc des westerns et s’ils partagent des thématiques majeures, ils n’en demeurent pas moins très différents en termes de rythme et d’approche. Leur parcours au box-office n’a d’ailleurs pas été le même : Django Unchained a enregistré environ trois fois plus d’entrées dans le monde que Les Huit Salopards. Mais la qualité d’une œuvre n’a rien à voir avec son succès commercial et en l’occurrence, encore que cette opinion n’engage que moi, le plus réussi de ces deux films est précisément celui qui a le moins séduit le public et la critique.

Si on devait le classer dans des sous-genres, Les Huit Salopards irait dans la rangée des westerns enneigés, sans doute plus proche de La Chevauchée des bannis que du Grand Silence. Le neuvième film de Tarantino partage en effet avec celui d’André de Toth un côté huis clos très prononcé, ainsi qu’un rythme assez lent, les répliques (volontiers cinglantes) étant autrement plus nombreuses ici que les coups de revolvers.
Un huis clos, donc, qui se déroule presque entièrement dans un refuge entouré par une tempête hostile, symbole de la confusion héritée de la guerre civile américaine. Contexte que le background des personnages rend impossible à ignorer : parmi ces fameux salopards figurent en effet un vétéran de l’armée nordiste (Samuel L. Jackson), un général sudiste (Bruce Dern) et un partisan de la « cause perdue des États confédérés » (Walton Goggins). Les tensions qui découlent de la proximité, en un même lieu, de personnages idéologiquement si opposés poussent même Oswaldo Mobray (Tim Roth) à suggérer la création de zones spécifiques au sein de la taverne, zones qui reproduisent grossièrement la carte des États-Unis et notamment la frontière nord/sud…

On l’aura compris, avec Les Huit Salopards, Tarantino flirte de (très) près avec l’allégorie : son décor minimaliste et théâtral accueille des enjeux nationaux et historiques plus importants, dans le fond, que l’intrigue de premier plan, qui pastiche à sa façon un certain type de récits policiers.
Au niveau de la caractérisation des personnages, il y a du bon et du moins bon. Tim Roth est sans doute le moins bien loti ici, héritant d’un personnage de dandy que Tarantino recycle depuis Inglourious Basterds (auparavant confié à Christoph Waltz) et auquel Roth, malgré son talent indéniable, ne parvient pas vraiment à apporter de relief.

Kurt Russell, Samuel L . Jackson, Jennifer Jason Leigh, Bruce Dern et Walton Goggins convainquent davantage. Michael Madsen hérite d’un rôle un peu anecdotique, mais l’acteur possède suffisamment de présence et de charisme pour lui donner ce qu’il faut de cachet (et la scène d’introduction du personnage, basée sur un dialogue ironique, est franchement réussie). Quant à Demián Bichir, il contribue à l’une des scènes les plus comiques du film, celle où son personnage de mexicain énigmatique donne une version maladroite, puis de plus en plus brillante, de Douce nuit au piano, tandis que le Major Warren (Jackson) défie le Général Sanford (Bruce Dern).

Au niveau formel, Les Huit Salopards est un film admirablement bien filmé et photographié, et il faut ici souligner l’apport de Richard Richardson, chef opérateur avec lequel Tarantino avait déjà collaboré à trois reprises, et qui est connu également pour son travail auprès d’Oliver Stone et de Martin Scorsese.
Malgré l’unité de temps, de lieu, la durée assez longue et des scènes d’action finalement rares, le film n’est jamais ennuyeux (contrairement à ce qu’on a pu entendre), notamment grâce à la précision des dialogues – on retiendra, par exemple, la tirade de Tim Roth au cours de laquelle il souligne la différence entre la justice de l’American Old West et la justice « moderne » et civilisée. Réflexion qui, dans le contexte du film, n’a rien d’anecdotique et d’ailleurs, la scène finale vient l’illustrer avec une ironie typique de Tarantino.

Certaines voix se sont élevées pour désigner les mauvais traitements affligés au principal personnage féminin (Daisy Domergue), brillamment interprétée par Jennifer Jason Leigh (JF partagerait appartement). Et voilà que tomba une accusation de misogynie ébranlée par le souvenir de Jackie Brown, Kill Bill ou Boulevard de la mort, trois Tarantino résolument « girl power ». Nul besoin d’ailleurs de se référer à ces films pour réfuter l’argument : le féminisme, c’est aussi ne pas donner aux femmes que des rôles de victimes ou, inversement, de gagneuses. Daisy est une meurtrière sans scrupules, comme beaucoup de personnages masculins « tarantinesques » dont nul ne s’est ému du sort funeste dans d’autres films : la femme est donc traitée précisément, ici, sur un pied d’égalité (et évidemment, Daisy ne représente en aucun cas la femme, c’est une femme).

[ATTENTION SPOILERS]
La fin du film est largement symbolique : le pro-confédérés blanc et le nordiste noir s’unissent face à l’adversité, dans un combat qui en devient assez émouvant. La métaphore est d’autant plus évidente que Chris Mannix donne lecture de la lettre d’Abraham Lincoln que Warren garde toujours sur lui pour s’attirer la confiance de ses compatriotes blancs ; lettre dans laquelle le président abolitionniste confie ses espoirs de paix, d’égalité et d’unité.

Mais voilà, nous savons déjà, à ce stade, que cette lettre est fausse : elle a été écrite par Warren lui-même. Mannix le sait tout autant que nous, mais il loue néanmoins Warren pour son style, et notamment pour son sens du détail, particulièrement à la fin de lettre.
[FIN DU SPOILER]
Ce compliment est d’une importance capitale, car il est révélateur du cinéma de Quentin Tarantino : en relevant les qualités d’une lettre fictive, Mannix reflète l’approche d’un cinéaste qui préfère l’émotion, l’originalité du style, l’inventivité de la narration au respect scrupuleux des faits historiques (même si ses reconstitutions sont connues pour leur méticulosité). Tarantino illustre très bien cette vision dans Inglourious Basterds et dans Once Upon a Time… in Hollywood (puisqu’il modifie, dans ces films, le cours de l’histoire), et il le fait donc également dans Les Huit Salopards.
Si ce dernier n’est sans doute pas son meilleur film, il ne méritait pas, à mon avis, les nombreuses critiques qu’il a suscitées ; surtout si l’on songe à ce final qui non seulement exprime en partie une idée humaniste (certes, largement entachée de violence !) mais également une esthétique artistique personnelle, et cela en seulement quelques mots…
L’une des dernières BO composées par Ennio Morricone
Les Huit salopards est l’un des tous derniers films dont Ennio Morricone, disparu ce 6 juillet 2020, a composé la bande originale. Il a d’ailleurs reçu un Oscar en 2015 pour la musique de ce film qui porte, indéniablement, sa patte.
Tarantino, dont on connait l’admiration pour les films de Sergio Leone (tous mis en musique par Morricone, à l’exception de ses péplums), avait déjà souhaité faire appel à Morricone pour la BO d’Inglourious Basterds mais cette collaboration n’avait pu avoir lieu pour des raisons de planning (le film comporte ceci dit plusieurs musiques de Morricone, écrites pour d’autres longs métrages).
Morricone a par ailleurs signé la musique de la chanson Ancora Qui, qui figure sur la bande originale de Django Unchained.
Les Huit Salopards est à la fois une allégorie politique et un manifeste esthétique. Ces dimensions le rendent supérieurs à Django Unchained, son cousin dans la filmographie de Quentin Tarantino.
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