Film de Quentin Tarantino
Année de sortie : 2019
Pays : États-Unis
Titre original : Once Upon a Time in Hollywood
Scénario : Quentin Tarantino
Photographie : Robert Richardson
Montage : Fred Raskin
Avec : Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Emile Hirsch, Margaret Qualley, Timothy Olyphant, Austin Butler, Dakota Fanning, Bruce Dern, Al Pacino, Kurt Russell
Cliff Booth: Don’t cry in front of the Mexicans.
Dans Once Upon a Time… in Hollywood, Quentin Tarantino part de vagues souvenirs d’enfance pour livrer une fable sur le cinéma qui illustre sa foi en la fiction, ainsi que son amour des comédiens.
Synopsis du film
Los Angeles, 1969. L’acteur Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), après avoir brillé dans la série TV Bounty Law, a le sentiment que sa carrière est sur le déclin, et confie ses doutes à son ami Cliff Booth (Brad Pitt), qui est également sa doublure. Persuadé d’être un has been, Dalton passe ses soirées à boire des whisky sour dans sa villa, voisine de celle où habite Sharon Tate (Margot Robbie) et Roman Polanski (Rafał Zawierucha), lequel a le vent en poupe à Hollywood après le succès de son film Rosemary’s Baby.
Tandis que Dalton participe tant bien que mal au tournage d’un western, il demande à Booth de réparer son antenne de télévision. Au même moment, un curieux personnage rôde autour de la villa des Polanski…
Critique de Once Upon a Time… in Hollywood
Quand il parle de la fin des années 60, période à laquelle se situe son dernier long métrage Once Upon a Time… in Hollywood, Quentin Tarantino évoque des balades en voiture avec ses parents, de la musique jaillissant de l’autoradio, des affiches publicitaires, des titres de films et noms de stars inscrits sur des façades de cinéma, des devantures de magasins, des marques de cigarettes… Il avait environ six ans à l’époque et on peut de fait comprendre que ses souvenirs soient principalement constitués de flashs, d’images confuses, de sons et d’atmosphères.
C’est sans doute pour cela que Once Upon a Time… in Hollywood est son film le moins dialogué (proportionnellement à sa durée) à ce jour, et le plus sensoriel (il se démarque radicalement, en cela, du très théâtral Les Huit salopards, son précédent film). Plusieurs séquences montrent des personnages silencieux se mouvoir, le plus souvent à bord de voitures, au sein de paysages colorés, superbement photographiés par Robert Richardson, et que Tarantino a capturés en évitant le moindre insert numérique, conformément à son habitude. Comme il le confiait il y a quelques temps dans l’émission radiophonique Boomerang, Tarantino témoigne en effet d’une fidélité absolue à la pellicule, et cet attachement suscite, de son propre aveu, un sentiment de décalage vis-à-vis d’une époque largement dominé par le numérique.
Ce sentiment de décalage, il est éprouvé par Rick Dalton, le « héros » (il n’y en a jamais vraiment, de héros au sens strict, dans le cinéma de Tarantino) de Once Upon a Time… in Hollywood. Cet acteur de télévision se voit en effet écarté de la lumière des projecteurs par l’arrivée du Nouvel Hollywood (et de ses prestigieuses figures de proue dont Arthur Penn, Sam Peckinpah, Dennis Hopper, William Friedkin, Francis Ford Coppola, Michael Cimino et Roman Polanski, incarné dans le film par Rafał Zawierucha), et il en souffre. À ses côtés, sa doublure, le cascadeur Cliff Booth, incarne inversement une assurance inébranlable, une sorte de coolitude même s’il est capable d’une violence redoutable (c’est un ancien béret vert). Il évoque un peu (tout en étant unique en son genre) cette image du dur à cuire désinvolte et séduisant que le cinéma américain a popularisé dans le monde entier ; toutefois, dépendant directement de la carrière de Dalton, il accompagne ce dernier dans sa chute. Ce tandem masculin à la fois contrasté et complémentaire (auquel les compositions de DiCaprio et Pitt donnent une saveur indéniable) évolue dans un Los Angeles que Tarantino filme donc comme un décor de cinéma, se concentrant essentiellement sur la société du spectacle, qu’il montre de l’extérieur comme de l’intérieur.
La démarche pourrait paraître superficielle, tant elle se passe de toute analyse politique ou sociale des phénomènes de l’époque (même la Manson Family est essentiellement représentée comme de purs « méchants » de cinéma ; la guerre du Vietnam n’est quant à elle évoquée que via une brève réplique), et tant elle s’efforce avant tout de saisir des silhouettes, des accessoires, des objets (choisis avec une précision quasi rituelle, nous reviendrons sur cet aspect), des carrosseries de voiture et des villas luxuriantes. Sauf que le réalisateur parvient à transcender cette matière, cette surface rutilante, d’abord en la filmant avec brio, ensuite en rendant ce qui est à ce jour son plus bel hommage aux artistes de cinéma. Voir DiCaprio/Dalton au bord des larmes quand une petite fille lui souffle son admiration à l’oreille, ou encore Sharon Tate se glisser dans une salle de cinéma où est projeté The Wrecking Crew, à l’affût des réactions des spectateurs face à sa performance, s’avère plutôt émouvant, si on se laisse prendre au jeu des (excellents) comédiens et à la vision toute personnelle du metteur en scène.
Le cinéma, comme tous les arts, est sujet aux changements liés au passage du temps, plus ou moins douloureux pour celles et ceux qui en vivent. Le nouveau Tarantino (même s’il adopte fréquemment un ton léger et comique) illustre cela et du haut de ses 56 ans, c’est visiblement une thématique qui touche le cinéaste. Mais le cinéma a aussi le pouvoir de voyager dans le temps, comme le jeune héros de Donnie Darko dont nous parlions tout récemment. Il a également le pouvoir, quand il fait le choix de la pure fiction (et cela a toujours été celui de Tarantino, même quand il aborde des événements réels) de modifier la réalité, de réunir des générations de comédiens, de mélanger les genres (Once Upon a Time… in Hollywood est à la fois une bromance, un drame, une comédie, un western et un film d’horreur) et d’immortaliser, sur pellicule, des corps et des visages que la réalité, elle, n’épargnera guère…
Quentin Tarantino utilise pleinement ces pouvoirs inhérents à l’art cinématographique ; d’une certaine façon, son dernier film en est même la célébration (terme qui peut renvoyer à la notion de rite, et on soulignera ici que Tarantino utilise volontiers le mot sacré
quand il parle du cinéma). Il y a par ailleurs quelque chose de presque enfantin (le titre du film, au-delà de la référence léonienne
, évoque l’univers du conte) dans la manière dont le réalisateur utilise librement le récit fictionnel pour modifier l’histoire (petite ou grande) au gré de ses désirs et de ses fantasmes, et pour sauver ses personnages – qu’ils représentent l’ancien ou le nouveau cinéma, qu’ils soient jugés ringards ou modernes (on notera que Tarantino a plusieurs fois remis sur le devant de la scène des acteurs se situant à une période délicate de leur carrière, comme John Travolta, par exemple, dans le culte Pulp Fiction).
Nombreux sont ceux qui jugent cette démarche irresponsable et vont chercher dans ce film, comme dans les précédents, des raisons diverses et variées (telles que la représentation de Bruce Lee, peu flatteuse et un peu injuste pour le « petit dragon », ou encore le final ultraviolent) de polémiquer. Libre à chacun, évidemment, de le faire, mais à une époque où le cinéma paraît sans cesse devoir se conformer à des standards moraux jugés socialement acceptables, on est en droit de trouver cela rafraîchissant quand un auteur raconte une histoire en s’affranchissant de toute exigence autre que celle de soigner ses personnages, sa narration (celle de Once Upon a Time in Hollywood est admirablement bien construite), et de laisser libre cours à son imagination et à sa sensibilité. Que l’on soit touché ou non par le cinéma de Tarantino (parfois brillant, parfois agaçant et trop référencé, mais toujours unique), il faut reconnaître cela au réalisateur de Reservoir Dogs : c’est un vrai conteur d’histoires, dans la pure tradition du terme.
Once Upon a Time... in Hollywood convainc dans sa manière très personnelle de convoquer un lieu et une époque en partie réels, en grande partie fantasmés, pour célébrer avant tout le pouvoir à la fois dérisoire et sans limites de la fiction, ainsi que le talent de celles et ceux qui la fabriquent et l'incarnent ; qu'ils soient célèbres ou inconnus, dépassés ou à la mode, morts ou vivants.
2 commentaires
Pour moi le meilleur Tarantino à ce jour, qui arrête enfin de faire le malin.
Le film, dès la scène d’ouverture, se construit autour d’un compte à rebours macabre, celui de l’inéluctable assassinat de Sharon Tate que tous les spectateurs ont en tête. La tension augmentant, il rend cette belle déclaration d’amour nostalgique aux artisans, aux faiseurs d’histoire du 7ème art à la fois réjouissante et émouvante, jusqu’au final paradoxalement doux-amer (le pouvoir et les limites du conte).
Par ailleurs, il faut s’appeler Tarantino pour oser, en pleins remous de l’affaire Wenstein (et connaissant ses liens professionnels avec le producteur), imposer des antagonistes horrifiques, pervers et manipulateurs, majoritairement féminins (voire intégralement, dans une scène de ranch suffocante digne de Texas Chainsaw Massacre), avec face à elles un héros charismatique…et qui a probablement tué sa femme. Sans parler du déchaînement de violence final…Gonflé !
Tout à fait. D’ailleurs il s’est fait critiquer pour ces différents choix, également pour la scène avec Bruce Lee, jugée raciste. Ceux qui accusent Tarantino de misogynie ou de racisme semblent oublier « Jackie Brown », « Kill Bill », « Boulevard de la mort »… De grandes héroïnes féminines très fortes, et noire dans le cas de « Jackie… ». Sans compter que ses détracteurs font une erreur de taille : exiger que la fiction soit forcément le reflet d’une idéologie, d’une pensée de l’auteur, alors que la fiction est quelque chose de beaucoup plus libre et ambigu que cela !