Film de Marco Dutra et Juliana Rojas
Pays : Brésil, France
Année de sortie : 2017 (2018 en France)
Titre original : As Boas Maneiras
Scénario : Marco Dutra et Juliana Rojas
Photographie : Rui Poças
Montage : Caetano Gotardo
Musique : Guilherme Garbato, Gustavo Garbato
Avec : Isabél Zuaa, Marjorie Estiano, Miguel Lobo, Cida Moreira, Andréa Marquee
Second film réalisé par le tandem brésilien composé de Marco Dutra et Juliana Rojas, Les Bonnes manières est un conte social, sensuel et fantastique qui souffle un vent de fraîcheur dans un cinéma de genre passionnant mais trop souvent prévisible.
Synopsis du film
De nos jours, à São Paulo. Clara (Isabél Zuaa), une jeune femme sans emploi qui a du mal à payer son loyer, est employée par Ana (Marjorie Estiano), une future maman qui vit seule dans un grand appartement. En attendant de devenir la nounou de l’enfant à sa naissance, Clara est chargée de s’occuper du ménage et de la nourriture.
Au fil des jours, Clara et Ana s’entendent de mieux en mieux, tandis que la grossesse d’Ana se déroule normalement. Mais une nuit, en rentrant d’une soirée dans un bar, Clara découvre qu’Ana fait des crises de somnambulisme très particulières…
Critique de Les Bonnes manières
Il y a déjà 7 ans sortait Travailler fatigue (titre qui suscite ma foi une adhésion assez immédiate), écrit et réalisé par Marco Dutra et Juliana Rojas. Le film surprenait alors, fort agréablement, par sa manière de faire surgir progressivement le fantastique au sein d’un contexte réaliste, dont les implications sociales et politiques évidentes (Travailler fatigue nous parle de la crise économique au Brésil et de la dureté du marché du travail) étaient métaphorisées, symbolisées en quelques sortes par les éléments surnaturels du récit.
Depuis, ces deux figures aussi atypiques que majeures du cinéma brésilien contemporain ont réalisé des projets chacun de leur côté, comme par exemple Sinfonia da Nécropole (2014) ou encore O Silêncio do Céu (2016), avant de collaborer à nouveau ensemble sur un long métrage : Les Bonnes manières, qui s’est forgé une réputation flatteuse au Festival de Locarno (été 2017) et plus récemment au Festival du film Fantastique de Gérardmer, où il a obtenu le prix du jury (présidé par Mathieu Kassovitz).
Plusieurs caractéristiques communes rapprochent Les Bonnes manières de Travailler fatigue : ils présentent une forte dimension sociale (les héroïnes de Les Bonnes manières appartiennent à deux classes sociales différentes, et cet aspect est primordial dans le film) et culturelle (le Brésil est encore aujourd’hui un pays très religieux, majoritairement chrétien, et cela se ressent clairement dans Les Bonnes manières). Ils partagent également une approche singulière, exigeante du fantastique, où la qualité du récit prime nettement sur la volonté de dérouler les conventions du genre.

Le cas des Bonnes manières est d’ailleurs intéressant car, si Travailler fatigue s’affirmait comme un film social teinté de fantastique, celui-ci choisit une voie qui pourrait paraître plus classique, puisqu’il emprunte très largement à l’univers du conte et puise directement dans un folklore fantastique bien connu, lequel a inspiré (et continue d’inspirer) plusieurs générations de romanciers et de cinéastes (nous n’en dirons pas davantage ici sur ce point). Mais quand bien même les références littéraires et mythologiques sont là, Marco Dutra et Juliana Rojas parviennent à les intégrer dans un récit original et particulier.
La mise en place est d’une grande qualité, et prend soin d’entretenir la curiosité du spectateur en laissant volontairement de nombreuses questions en suspend (notamment sur le passé d’Ana). Le registre même du film est difficile à définir. Ce caractère imprévisible et cette liberté de ton se retrouvent dans certains choix formels (une scène clé du film est constituée uniquement de dessins ; certaines séquences utilisent les codes du film musical), qui contribuent à procurer au spectateur une expérience déroutante, atypique, brassant des registres émotionnels et esthétiques contrastés, tout en conservant une grande cohérence.
On relèvera notamment la manière de représenter la ville, qui dans de nombreux plans ressemble à un décor, à une illustration qu’on trouverait dans un livre de contes. Et pour cause : la technique du matte painting a été largement (et habilement) utilisée ici. Les plans sur São Paulo soulignent finement l’aspect social de l’histoire, en mettant en évidence les différences, et les frontières, entre les quartiers populaires et aisés.
Quant au titre du film, assez intriguant au vu du contenu de ce dernier, il renvoie d’abord à la dimension sociale du récit (Ana, issue d’une famille bourgeoise, a pris des cours dans une école enseignant les « bonnes manières ») puis, probablement, à ce qu’il illustre en partie – à savoir que ces bonnes manières vacillent aisément sous l’influence de la nature, du désir et de la passion.
Bande-annonce
Sept années après le prometteur Travailler fatigue, Les Bonnes manières confirme que Marco Dutra et Juliana Rojas excellent dans l'art de proposer des contes modernes, où le fantastique côtoie subtilement une réalité sociale contemporaine. On a hâte d'ouvrir la première page du prochain.
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