Voici une sélection de dix comédies dramatiques réalisées au cours des années 2010 à revoir ou à découvrir.
À propos du genre
La comédie dramatique procure une palette d’émotions nuancée, un peu à la manière de ces morceaux de musique suscitant à la fois un sentiment de légèreté et de mélancolie. Personnellement, ces deux termes me font automatiquement songer au cinéma de Woody Allen, à sa tonalité douce-amère, au mélange de pessimisme et de charme qu’il distille.
La vie quotidienne n’est parfois pas si éloignée, dans sa tonalité, de la comédie dramatique, dans le sens où au cours d’une même journée, nous pouvons passer par des phases de joie, de tristesse, d’amertume, de légèreté… Nous pouvons adopter un point de vie amusé ou détaché sur un sujet grave, et inversement dramatiser des problématiques dans l’absolu plus mineures. Par ailleurs, les événements relatés dans la majorité des comédies dramatiques sont en général plus proches de ce qu’un citoyen lambda vit au jour le jour que ce qui nous est conté dans les polars, les thrillers ou les films d’épouvante. C’est peut-être pour cette raison que le genre – si on peut bien parler de genre d’ailleurs – est si fréquemment investi par les auteurs, et si apprécié du public ; quand, du moins, on lui propose un récit de qualité. C’est le cas, à mon humble avis, des films qui composent la liste ci-dessous.
Ah oui, c’est un TOP 10 qui comporte 11 films. La vie est souvent bancale, aussi me suis-je autorisé à l’être !
Comédies dramatiques : le meilleur de la décennie 2010
Contes de juillet, de Guillaume Brac
Divisé en deux segments, comme son titre le suggère, Contes de juillet évoque certes l’univers d’Eric Rohmer (et de Jacques Rozier) mais surtout celui de son auteur, Guillaume Brac, qui n’a rien d’un imitateur. Il filme ici des marivaudages modernes en privilégiant, comme à son habitude, un jeu naturel, une impression de spontanéité, de vérité qui pourrait presque faire songer à du documentaire. Mais voilà, c’est bel et bien du cinéma, du cinéma aussi discret que miraculeux : discret car on ne pense jamais à la caméra, à la mise en scène, et que rien n’est surligné ou excessivement dramatisé ; miraculeux parce que le charme opère, la beauté surgit, sans qu’on ne sache exactement à quoi cela tient, tant la trame et les dialogues sont minimalistes.
Quelque chose de précieux, d’invisible est capturé dans ces deux contes ; une certaine image de la jeunesse peut-être, que Brac filme sans jugement moral ni voyeurisme, mais au contraire avec beaucoup de délicatesse et d’attention. Il en découle un cinéma composé d’instants fugaces, fragiles, qui disent à la fois rien et plein de choses. C’est d’autant plus émouvant que la fiction, et la jeunesse qu’elle met en scène ici, sont rattrapées par des événements bien réels, qui viennent assombrir les derniers moments du film.
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Frances Ha, de Noah Baumbach
S’il fallait citer un film bohème new-yorkais du 21ème siècle, Frances Ha serait sans doute l’un des premiers titres qui viendrait à l’esprit. Pétri de référence à la nouvelle vague française, le film n’est heureusement pas un catalogue de citations désincarné. Son thème est pourtant rabâché : les tâtonnements de trentenaires « adulescents » foisonnent dans le cinéma indépendant moderne.
Mais cela n’a aucune importance : la plupart du temps, un film raconte une histoire qui a déjà été racontée mille fois auparavant. Tout l’enjeu est de nous le faire oublier pendant 1h30, et Frances Ha y parvient. Grâce à sa protagoniste attachante, incarnée par une Greta Gerwig lumineuse (qui n’était pas encore devenue cette figure un peu caricaturale d’un certain cinéma indépendant US) ; à une atmosphère grisante, qui procure un profond sentiment d’insouciance et de liberté ; et grâce à un sublime New York en noir et blanc qui évoque celui de Manhattan, sans doute une autre référence pour Baumbach. Ce dernier offrait ici l’un de ses premiers rôles, au cinéma, à Adam Driver, qui la même année se faisait remarquer dans la série Girls. Ils se retrouveront plus tard pour le remarquable Marriage Story.
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Love & Friendship, de Whit Stillman
Whit Stillman n’a pas réalisé beaucoup de films depuis le début de sa carrière, mais au regard de ceux qui aiment et suivent son parcours artistique, il représente un cinéma à la fois léger, intelligent et distingué, autant qu’il s’affirme comme l’un des représentants les plus brillants de la comédie de mœurs – ce genre devenu, et c’est une déformation regrettable de l’époque, presque un peu désuet de nos jours, alors qu’il est exquis quand il est abordé avec talent.
Stillman avait toujours travaillé sur la base de scénarios originaux (écrits par lui-même) avant Love and Friendship, son dernier long métrage à ce jour, qui est l’adaptation assez libre d’un court roman épistolaire de Jane Austen intitulé Lady Susan (1871).
Le résultat est précis, vif, piquant, drôle et admirablement bien servi par une belle galerie de comédiens, au sein de laquelle figurent Kate Beckinsale et Chloé Sevigny, deux actrices que Stillman avait déjà dirigées sur Les Derniers jours du disco (1998).
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Caprice, d’Emmanuel Mouret
Depuis ses débuts, Emmanuel Mouret n’a de cesse de mettre en scène le caractère volontiers mystérieux, ambigu et changeant du sentiment amoureux en adoptant, le plus souvent, un ton léger non dépourvu d’une certaine mélancolie, qui est d’ailleurs plus présente dans Caprice que dans ses premiers longs métrages (si l’on excepte bien entendu Une Autre vie, qui est un mélodrame).
S’il cite avec plaisir ses influences nombreuses (Truffaut, Rohmer, Allen et bien d’autres), Mouret est un véritable auteur, dont on reconnaît d’ailleurs très vite l’empreinte quand on regarde l’un de ses films. La mise en scène est limpide, précise et dépourvue d’effets visibles ; le jeu des comédiens, et la qualité du texte, sont au cœur de ce cinéma délicat qui questionne et interroge sans livrer de morale ou de réponses précises.
Caprice se hisse parmi ses meilleurs films ; on y retrouve cette idée, omniprésente chez Mouret, du rapport entre le rêve (éveillé ou non) et l’amour. Tous les personnages projettent sur l’être aimé une image, des attentes qui résistent parfois mal à la réalité, mais qui néanmoins s’entêtent, peut-être à raison (de toutes façons, la question de qui a tort ou raison ne se pose pas dans les films de Mouret). Une très jolie idée cristallise cette approche : on ignorera jusqu’au bout si la déclaration d’amour de Clément (Mouret) à Caprice (Anaïs Demoustier) a été prononcée ou non au cours d’un rêve. Elle aura dans tous les cas des conséquences : après tout, au non de quoi devrait-on négliger la portée d’un rêve ? Surtout si l’on aime le cinéma…
Le Secret des banquises, de Marie Madinier
Voilà un enchaînement logique avec le Caprice de Mouret présenté ci-dessus, d’abord parce que la réalisatrice du Secret des banquises, Marie Madinier, est apparue dans Un Baiser s’il vous plaît (de Mouret), ensuite parce qu’on retrouve ici la volonté de mettre en scène l’amour dans sa dimension mystérieuse, étrange même en l’occurrence. Ceci étant dit, ce film, le premier long métrage de son auteure (mais on espère pas son dernier), est tout à fait singulier et ne ressemble qu’à lui-même.
Son cadre, déjà, surprend : toute l’action est située dans un laboratoire de recherche, ce qui est loin de constituer un environnement typique des comédies sentimentales. C’est bête mais parfois, le choix d’un cadre inhabituel est une bonne façon de dépoussiérer un genre. Évidemment, Marie Madinier ne se contente pas de cet atout qui n’a rien de superficiel, puisqu’il est intimement lié à l’histoire qu’elle raconte.
Le Secret des banquises est un mélange étonnant de comédie romantique et de fable, dont la dimension fantastique illustre l’étrangeté du sentiment amoureux. C’est frais, on rit souvent mais jamais bêtement, et il y a une vraie poésie (perceptible d’ailleurs rien que dans le joli titre du film).
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Finding Sofia, de Nico Casavecchia
Un habitant de Brooklyn, passionné de dessin et d’animation (et qui connait un petit succès viral grâce à une vidéo YouTube montrant des tomates en train de danser), part sur un coup de tête en Argentine pour retrouver une jeune femme avec laquelle il entretient une relation uniquement virtuelle.
Mais la réalité est plus compliquée qu’il ne le pensait : Sofia (la jeune femme en question) est avec un peintre ombrageux, tandis que l’assistante de ce dernier vit avec le couple dans une demeure isolée, quelque part dans la province de El Tigre.
À partir de cette situation, Casavecchia décrit avec malice une cohabitation complètement bancale, impliquant des personnages régulièrement confrontés à leurs doutes et à leurs contradictions. Le titre est à double sens, et souligne une dimension initiatique intéressante : au début du film, il renvoie à une situation concrète (Alex, le « héros », part à la recherche de Sofia sur le plan géographique), puis à une démarche mentale (il tente de mieux la connaître et de la comprendre) ; enfin, on réalise qu’Alex cherche autant lui-même que les autres.
La caractérisation des personnages est réussie, le cadre de l’action dépaysant, et puis il y a ce charme qui opère, cette grâce discrète dont il est vain de chercher à saisir l’origine : elle rend la vision de Finding Sofia particulièrement agréable et donc recommandable, car les divertissements intelligents et sensibles ne sont pas légion.
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Alice et le maire, de Nicolas Pariser
Nicolas Pariser fait partie de ces réalisateurs qui rassurent sur l’état d’un cinéma français trop souvent tenté de décliner les mêmes recettes. Alice et le maire prolonge ce qui était déjà présent dans le brillant Le Grand jeu, c’est-à-dire une réflexion passionnante sur le rapport étroit, profond entre l’individu et le politique. Ses films décrivent en effet, avec beaucoup d’habileté, les interactions complexes entre des trajectoires intimes et des récits collectifs. C’est brillant sans être verbeux, intelligent sans être poseur, drôle (parfois) sans être lourd. Et dans le cas précis d’Alice et le maire, c’est excellemment joué par Anaïs Demoustier et Fabrice Luchini.
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The Party, de Sally Potter
Ses détracteurs pourront dire que The Party est une satire un peu convenue, et ils n’auront pas forcément tort à tous points de vue. Mais d’un autre côté, quel sens du rythme, quelle efficacité dans la construction, quelle précision dans le texte et dans le jeu des comédiens… Et aussi, quelle appréciable concision : 1h10, pas une minute de plus, à une époque ou tant de films comptent souvent un bon quart d’heure de trop. Et puis, il y a Kristin Scott Thomas (Force majeure), toujours aussi élégante, et Patricia Clarkson (Six Feet Under ; Wendigo) ; mais tous les comédiens (7 au total) sont excellents.
Baden Baden, de Rachel Lang
Cette chronique de la vie d’une jeune strasbourgeoise fait mouche. D’abord, Rachel Lang arrive à rendre palpable un lieu (la ville de Strasbourg) mais aussi un passé, celui des personnages et en particulier celui de l’héroïne incarnée par Salomé Richard. Non pas en l’explicitant d’une quelconque façon (au contraire, on en sait au fond peu de choses concrètes) mais en glissant ça et là des petits détails, des motifs évocateurs qui donnent à cette tranche de vie une jolie palette de nuances, autant qu’un véritable relief.
L’avenir est devant, mais il est plein d’incertitudes : Ana tâtonne, comme l’illustre son appartement en chantier, et on la suit avec plaisir jusqu’à la dernière scène du film.
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Comme un avion, de Bruno Podalydès
Voilà l’exemple même d’un film hédoniste, louant les plaisirs de la lenteur, de l’inactivité, de la sensualité et des déambulations sans but d’une manière qui donne envie de s’y livrer à son tour. D’autant que les comédiens, tous brillants (Bruno Podalydès, Sandrine Kiberlain, Agnès Jaoui, Vimala Pons…), semblent nous y inviter.
Le décor et le rythme du film épousent sa philosophie simple et tranquille, tandis que les mots de Gérard Manset, chantés par Alain Bashung, ponctuent joliment cette ode à la beauté et aux plaisirs terrestres.
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Two Days in New York, de Julie Delpy
Suite de Two Days in Paris, Two Days in New York transpose dans la grosse pomme les mêmes thématiques (les décalages culturels ; les aléas de la vie familiale et du couple ; le désordre tour à tour angoissant et charmant de la vie quotidienne) et le même ton léger, bien qu’il prenne parfois une teinte plus mélancolique que son prédécesseur. Une évolution qui est probablement à mettre en perspective avec le décès de la mère de la réalisatrice, survenue entre les deux tournages et directement évoqué dans Two Days in New York (ses parents dans ce diptyque étant incarnés par ses véritables parents dans la vie). On retrouve donc Albert Delpy dont la présence drôle et généreuse ne dénoterait pas dans Comme un avion (voir ci-dessus).
La réalisation délaisse la recherche du plan parfait au profit de l’énergie de l’instant et du jeu des comédiens, tous attachants (Chris Rock, Julie Delpy, Albert Delpy, Alexia Landeau…). C’est léger, touchant, simple et en même temps, il y a une émotion qui, mine de rien, est discrète mais palpable, notamment dans la dernière séquence.
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