Le cinéma l’Archipel a projeté, dans le cadre d’un rendez-vous mensuel nommé Deux dames sérieuses, le film Une Autre vie, d’Emmanuel Mouret. Un mélodrame relevé d’une subtile touche de thriller qui n’a pas rencontré son public à l’époque de sa sortie (en 2013), et dont Emmanuel Mouret et ses collaborateurs ont longuement parlé après la projection. Retour sur une belle soirée cinématographique.
Un mélodrame construit autour d’un personnage ambivalent
Il était environ 20 heures en ce mardi 10 mars 2020 quand Emmanuel Mouret, accompagné du directeur photo Laurent Desmet et du monteur Martial Salomon, a rejoint la salle de cinéma où était projeté Une Autre vie, son 7ème long métrage. Évoquant une atmosphère de tournage agréable, le réalisateur de Caprice, maître de la comédie sentimentale moderne, est rapidement revenu sur l’accueil plutôt froid reçu par le film à l’époque de sa sortie, sept années plus tôt.
C’est qu’Une Autre vie se distingue assez nettement, au niveau de la tonalité, des films qui le précèdent dans la filmographie de son auteur. On y retrouve certes le thème de la confusion des sentiments, et ce goût de ne pas trop en dire, de ne pas tout expliquer ; mais il s’agit clairement d’un mélodrame assumé quand des films comme Un Baiser s’il vous plait ou Changement d’adresse appartiennent au registre de la comédie sentimentale (ce qui n’exclut pas, ceci étant dit, une pointe de mélancolie).
La source d’inspiration principale de Mouret sur ce projet est, comme il le confia lui-même à l’issue de la séance, When Tomorrow Comes de John M. Stahl (1939) ; plus précisément, c’est ce film qui lui souffla l’idée du personnage interprété, dans Une Autre vie, par Virginie Ledoyen, personnage dont le temps d’exposition à l’écran (finalement assez réduit) est inversement proportionnel à son influence insidieuse sur le cours des événements. C’est en effet elle (Dolorès) qui créé la tension et qui injecte, dans cette histoire d’amour assez simple et limpide en apparence, une ambiguïté, une ambivalence
pour reprendre le terme employé par Emmanuel Mouret à son sujet.
Le film s’affirme comme un mélodrame assez classique (dans le sens noble du terme), qui ne dérape jamais dans le sentimentalisme et le larmoyant grâce à la pudeur et au sens de la retenue dont témoigne constamment, comme à son habitude, le réalisateur marseillais. Il est composé de scènes relativement courtes et tout en étant porté par une musique plutôt lyrique et habitée, Une Autre vie reflète un souci de sobriété (à l’image du jeu minimaliste, et très juste d’ailleurs, de JoeyStarr) et d’épure qui participe à son élégance, au même titre que la photographie raffinée de Laurent Desmet.
Le film prend une dimension légèrement hitchcockienne dans sa seconde partie, du fait de la tension amenée par le personnage de Dolorès, tandis que certaines scènes d’intimité entre Aurore (Jasmine Trinca) et Jean (JoeyStarr) font songer au cinéma de François Truffaut et plus particulièrement à La Femme d’à côté (influence que confirma Mouret au terme de la projection).
C’est peut-être le premier film de Mouret où s’invite une forme de cruauté, que l’on retrouvera plus tard dans le très réussi Mademoiselle de Joncquières. À sa vision, on songe en tout cas qu’il a été jugé bien durement à l’époque de sa sortie, et sans doute trop peu vu ; je crois d’ailleurs me souvenir avoir moi-même fait partie des sceptiques de l’époque, peut-être trop attaché que j’étais à la tonalité douce-amère des premiers films de Mouret, que je découvrais alors avec quelques années de retard. S’il n’est sans doute pas mon préféré de ses longs métrages, Une Autre vie mérite toutefois largement d’être découvert pour la précision et la délicatesse de sa mise en scène, pour la qualité de son interprétation, pour ce mélange de classicisme et de singularité et aussi pour son ambiguïté. Un ingrédient présent, de différentes manières, dans toute la filmographie du réalisateur et c’est tant mieux, car il manque cruellement à beaucoup de productions contemporaines.
À propos du prochain film d’Emmanuel Mouret
Invité par les critiques cinéma Marie Anne Guerin et Pierre Eugène à s’exprimer sur ses projets du moment, Emmanuel Mouret a évoqué son nouveau film, une comédie dramatique intitulée Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait dont le tournage s’est achevé à l’automne dernier. Le casting, alléchant, est composé notamment de Vincent Macaigne (Tonnerre), Émilie Dequenne et Camélia Jordana (Le Brio) ; Jordana qui parlait d’ailleurs avec enthousiasme du film dans une interview donnée à La Provence, en octobre 2019.
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