Film de Nicolas Pariser
Année de sortie : 2019
Pays : France
Scénario : Nicolas Pariser
Photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Christel Dewynter
Musique : Benjamin Esdraffo
Avec : Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi, Léonie Simaga, Antoine Reinartz, Maud Wyler
Avec Alice et le maire, Nicolas Pariser confirme sa capacité à mettre en perspective le parcours intime de ses personnages avec les problématiques sociétales qui les entourent. Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier font honneur à l’intelligence de leurs dialogues respectifs.
Synopsis du film
Paul Théraneau (Fabrice Luchini), le maire socialiste de Lyon, est à cours d’idées ; il n’arrive littéralement plus à penser. Aussi, il décide de faire appel à une jeune philosophe, Alice Heimann (Anaïs Demoustier), pour sortir de cette impasse intellectuelle.
Au fil de leur collaboration atypique, tous deux vont être confrontés à des questionnements vertigineux…
Critique d’Alice et le maire
Nicolas Pariser s’en défend : Alice et le maire (qui a remporté le Label Europa Cinemas dans le cadre de sa sélection à la Quinzaine des réalisateurs 2019) n’est pas un film qui traite de politique. S’entend, ce n’est pas un film dont l’objectif premier est de décrire les rouages du pouvoir, ou le fonctionnement d’un organe politique ; ce n’est pas davantage un film militant, ni une satire du milieu. Pour autant, il est difficile de nier la présence d’une réflexion, d’une dimension politique ; mais elle est traitée sous un angle bien particulier, qui fait qu’Alice et le maire échappe à tous les poncifs d’un genre (le film politique) que le cinéma français n’aborde pas toujours de manière très subtile (on citera, parmi les réussites récentes, L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller).
Pas de démagogie facile, de manichéisme, d’idéologie binaire ou de complotisme boursouflé ici ; à l’instar du Grand jeu, Alice et le maire part de l’intimité, de « l’intérieur » de ses personnages, puis décrit leurs interactions complexes et troubles avec une perspective collective (et donc forcément politique).
Le réalisateur et scénariste nous livre avant tout les portraits des deux personnages mentionnés dans le titre ; portraits nuancés, faits de questionnements, de doutes et de tâtonnements, et marqués par une indéniable solitude. Le « héros » du Grand jeu, incarné par Melvil Poupaud, était lui aussi bien seul, et ces deux films, s’ils abordent différemment la question publique, témoignent dans le fond de la même démarche : dépeindre comment un individu donné tente de se positionner, de se construire et d’évoluer au sein de la société qui l’entoure.
Les compositions d’Anaïs Demoustier et de Fabrice Luchini illustrent à merveille les contours sinueux de cette fragile quête intime, indissociable de son contexte social. L’alchimie entre les deux comédiens est évidente, mais le film ne s’en contente pas, laissant à de nombreux personnages secondaires suffisamment d’espace pour faire passer une idée intéressante, un sentiment saisissant, voire l’esquisse d’une histoire émouvante.
Il y a ici un point de vue critique assez indéniable, portant sur plusieurs points ; par exemple, le scénario illustre le fait que l’exercice d’un mandat politique n’est pas compatible avec une réflexion de long terme, tant il est soumis à la dictature de la performance électorale, à la nécessité d’agir vite et aux lois du marketing et de la communication. La culture et les idées, si elles ne peuvent être résumées via un slogan choc ou un concept tape à l’œil, n’ont pas leur place ici. Mais le film n’est pas pour autant moralisateur ou didactique, et se garde ainsi de juger les choses, et les êtres, de but en blanc ; ce qui est d’autant plus louable qu’il a rarement été d’aussi bon ton d’étriller la démocratie et les élus politiques de tous bords.
Les contradictions, les conflits et les questionnements, tant individuels que collectifs, semblent attirer davantage Nicolas Pariser que l’idée de dénoncer quelque chose ou d’exprimer une opinion définitive, même si sa sensibilité politique (de gauche, vraisemblablement) affleure assez nettement dans ses deux premiers films. Ce parti pris est servi par une écriture précise, un rythme millimétré et un sens aigu du récit. Un sens de l’équilibre, également : entre mélancolie et légèreté ; entre réalisme et fiction (l’histoire repose sur une idée peu vraisemblable, tout en cumulant les détails crédibles et réalistes) ; et, encore une fois, entre l’intime et le collectif. Ces différentes composantes, toutes parfaitement dosées et assemblées, forment un ensemble à la fois divertissant, sensible et intelligent qui, espérons-le, séduira de nombreux spectateurs à l’occasion de la sortie du film, programmée pour le 2 octobre 2019.
Alice et le maire confirme, après Le Grand jeu, que Nicolas Pariser excelle dans l'art de brosser des personnages nuancés qui peinent à se définir au sein d'une réalité sociale et politique complexe, souvent frustrante aussi. Et s'il y a, comme dans tout film d'auteur, un véritable regard, il n'y a pas de jugement ni de démonstration, mais plutôt une volonté d'interroger le spectateur, comme le cinéma moderne oublie trop souvent de le faire.
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