Film de Noah Baumbach
Année de sortie : 2019
Pays : États-Unis
Scénario : Noah Baumbach
Photographie : Robbie Ryan
Montage : Jennifer Lame
Musique : Randy Newman
Avec : Scarlett Johansson, Adam Driver, Laura Dern, Alan Alda, Ray Liotta, Julie Hagerty, Merritt Wever
Charlie Barber: You don’t want to have a voice. You just want to complain about not having a voice.
Adam Driver dans Marriage Story
Partant d’un sujet souvent traité au cinéma, Marriage Story évite le piège du mélo et parvient à tracer sa propre voie, grâce à la rigueur et à la constance admirables dont il témoigne sur les plans artistiques et techniques.
Synopsis du film
Le metteur en scène de théâtre new-yorkais Charlie Barber (Adam Driver) et sa femme Nicole (Scarlett Johansson) sont sur le point de se séparer. Nicole, comédienne, souhaite partir vivre à Los Angeles (dont elle est originaire) avec Henry (Azhy Robertson), leur unique enfant. Mais Charlie estime que leur vie est à New York.
Quand Nicole engage l’avocate Nora Fanshaw (Laura Dern), c’est le début d’une redoutable bataille…
Critique de Marriage Story
Nora Fanshaw: Let’s face it, the idea of a good father was only invented like 30 years ago. Before that, fathers were expected to be silent and absent and unreliable and selfish, and can all say we want them to be different. But on some basic level, we accept them. We love them for their fallibilities, but people absolutely don’t accept those same failings in mothers.
Laura Dern dans Marriage Story
C’est pendant la phase de post-production de l’attachant The Meyerowitz Stories (déjà distribué par Netflix) que Noah Baumbach, qui est devenu pratiquement une emblème du cinéma indépendant new-yorkais, a commencé à écrire The Marriage Story. Son propre divorce (avec l’actrice Jennifer Jason Leigh) lui a fourni une partie du matériau initial, qu’il a ensuite enrichi par un travail de recherche combinant des échanges avec des proches et des professionnels du droit. Si je souligne ici ce travail particulier, c’est parce que The Marriage Story est d’une précision assez saisissante dans sa description du « mécanisme », pourrait-on dire, de la séparation (sur les plans intime, procédural et juridique). C’est d’ailleurs en cela qu’il affirme rapidement une personnalité à part, quand on pouvait craindre un énième break-up movie certes bien fait mais convenu et sans singularités.

Cette précision, cette rigueur s’appliquent d’ailleurs à tous les aspects du film, et notamment à son scénario : chaque ligne de dialogue sonne juste, chaque personnage, indépendamment de son temps d’exposition à l’écran, est finement caractérisé. Les différents comédiens héritent ainsi d’une matière remarquable, dont ils font un brillant usage : si le tandem Adam Driver/Scarlett Johansson est plus que convaincant, chaque rôle secondaire joue une partition qui contribue à la richesse et à l’équilibre de l’ensemble. La brillante Laura Dern livre une prestation jouissive dans son rôle d’avocate haute en couleur, tandis qu’on retrouve avec plaisir des acteurs régulièrement sous-exploités, à l’image de Ray Liotta (l’affranchi
de Scorsese) et d’Alan Alda, vu notamment chez Woody Allen (Crimes et délits ; Meurtre mystérieux à Manhattan).
On sent que Baumbach sait exactement ce qu’il fait. Il ne verse jamais dans la surenchère, le pléonasme. Il filme quelque chose de parfois agité, hystérique, dramatique, absurde même, avec un calme et un recul exemplaires, retenant ici une grande leçon de cinéma : la caméra ne doit jamais surligner les choses, elle doit les laisser se révéler dans le cadre et dans l’esprit du spectateur.
Un autre réalisateur aurait par exemple été tenté, face à un tel sujet, d’utiliser la caméra à l’épaule, si prisée dans le cinéma d’auteur indépendant, pensant mieux retranscrire ainsi l’instabilité émotionnelle des personnages. Or la caméra de Baumbach est stable, ses cadres sont précis, figés : elle montre exactement ce qu’il faut, au bon moment, pendant la bonne durée, avec la bonne distance. Par exemple, lors de la scène tournée dans un tribunal, on notera ce plan montrant, de profil, les deux protagonistes (Driver et Johansson), assis à côté de leurs avocats respectifs, plan qui exprime habilement le décalage entre ce que représentait, initialement, leur relation intime, et le contexte juridique froid et hostile dans laquelle elle s’inscrit désormais.
Mais on ne fait pas un film seul : si Marriage Story est aussi réussi, c’est parce que de la musique originale écrite par le célèbre Randy Newman, déjà à l’oeuvre sur The Meyerowitz Stories (qui trouve ici l’équilibre parfait entre légèreté et mélancolie) à la photographie élégante de Robbie Ryan, tout est parfaitement exécuté, tout sert une même approche, suivant des choix esthétiques judicieux, pertinents, complémentaires les uns des autres.

L’humour est présent, mais jamais trop accentué, au même titre que l’émotion. Celle-ci, quand elle survient, vous prend à la gorge car elle est rare, qu’on ne l’avait pas vue venir et que personne, des comédiens au metteur en scène, ne cherchent à en rajouter. Et pour cause : quand tout est en place, quand tout est bien raconté, narré, filmé, interprété, alors le moindre geste, le moindre mot, le moindre regard peut vous saisir, faire tomber toutes les barrières et venir toucher une corde sensible. Marriage Story possède cette intensité contenue, cette pudeur, cette sensibilité sobre et précieuse.

Marriage Story figure déjà dans les TOP cinéma 2019 publiés par différents critiques ; on les comprend, au vu de ce film maîtrisé de bout en bout, admirablement bien écrit, filmé et interprété. Sur un sujet comparable, on conseillera également L'Usure du temps, d'Alan Parker.
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