Film de Whit Stillman
Année de sortie : 2016
Pays : Irlande, France, Pays-Bas, États-Unis
Scénario : Whit Stillman, d’après Lady Susan, de Jane Austen
Photographie : Richard Van Oosterhout
Montage : Sophie Corra
Musique originale : Mark Suozzo
Avec : Kate Beckinsale, Xavier Samuel, Emma Greenwell, Morfydd Clark, Jemma Redgrave, Tom Bennett, James Fleet, Justin Edwards, Jenn Murray, Stephen Fry, Chloë Sevigny
Whit Stillman a manifestement trouvé chez Jane Austen un terrain propice à son ironie et à ses répliques millimétrées : Love & Friendship est un régal d’humour et de finesse.
Synopsis du film
À la fin du 18ème siècle, dans la haute société britannique. Les manœuvres d’une veuve aussi séduisante que cynique pour conclure un mariage arrangé sèment le trouble au sein de sa belle famille.
Critique de Love & Friendship
Si treize années se sont écoulées entre le second (Les Derniers jours du disco, 1998) et le troisième (Damsels in Distress, 2011) long-métrage de Whit Stillman, il n’aura pas été nécessaire de patienter autant avant la sortie du quatrième en date, Love & Friendship (2016), et c’est d’autant plus heureux que le résultat est à la hauteur de la réputation de ce réalisateur et scénariste aussi reconnu que rare et discret.
Jane Austen : un terrain idéal pour Whit Stillman
Love & Friendship est adapté de Lady Susan, un roman de Jane Austen, plus exactement un court roman épistolaire (composé exclusivement de correspondances fictives, en l’occurrence) publié à titre posthume en 1871 – soit cinquante-quatre ans après le décès de la célèbre écrivain britannique (1775-1817). À travers son œuvre, Jane Austen s’est livrée à une fine observation de la vie et des mœurs des riches propriétaires anglais (classe désignée, en anglais, par l’expression landed gentry) à la fin du 18ème siècle, et Lady Susan s’inscrit clairement dans ce registre thématique. Le personnage central, qui donne son titre au roman, est une veuve séduisante d’environ trente-cinq ans, qui accomplit diverses manœuvres dans le but de trouver, à elle et à sa fille, un mari intéressant sur le plan financier. Elle mène parallèlement une vie sexuelle libre qui, bien entendu, fait l’objet de commentaires acides dans les salons huppés.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que Whit Stillman se soit senti attiré par l’univers de Jane Austen. Pour cet expert en comédie de mœurs, friand d’ironie et fin observateur de la société, la romancière offre en effet un terrain particulièrement familier. L’association semble d’autant plus évidente que l’on perçoit dans les dialogues très écrits de Stillman une facture assez classique ; rien d’étonnant, donc, à ce qu’il manie à merveille les codes stylistiques de la littérature anglaise du 18ème dans Love & Friendship. Enfin, les protagonistes de ses précédents films sont majoritairement des femmes – or ce sont des femmes qui, dans Lady Susan, mènent la danse, même si le film (comme le roman) décrit (fort bien) leur dépendance vis-à-vis du mariage à une époque où la société les confortait essentiellement à un rôle de mère et d’épouse (comme c’est le cas, me direz-vous, dans bien des sociétés actuelles).
Un texte d’origine largement remanié pour les besoins du film
Lady Susan offrait par ailleurs un intérêt tout particulier, en sens qu’il s’agit d’un roman épistolaire, pas tout à fait achevé, et relativement méconnu. Autant de facteurs qui donnaient à Whit Stillman l’opportunité – l’obligation, même – de remanier le texte d’origine, ce qui pour un scénariste de sa trempe est toujours stimulant. Il a ainsi créé de nouveaux personnages, tels qu’Alicia Johnson, interprétée par Chloë Sevigny (que Stillman avait déjà dirigée dans Les Derniers jours du disco). Sir James Martin, semble-t-il vaguement cité dans le roman, prend ici davantage d’importance, et Stillman lui a d’ailleurs attribué quelques unes des répliques les plus drôles du film – répliques que le jeu vif et comique de l’acteur Tom Bennett met délicieusement en valeur.
Kate Beckinsale, qui partageait avec Chloë Sevigny l’affiche des Derniers jours du disco, est remarquable. Sa diction, sa gestuelle et ses mimiques offrent un concentré délectable de cynisme et de mauvaise foi, auquel Love & Friendship doit une grande partie de sa saveur.
L’élégante précision du cinéma de Stillman
Au niveau de la mise en scène et de l’écriture, Love & Friendship reflète l’élégance et la justesse (sur le plan social et psychologique) propres au cinéma de Whit Stillman. L’ensemble est paré d’un charme supplémentaire lié à la beauté des costumes et au cachet de l’écriture, tandis que les comédiens, tous excellents, se sont visiblement mis au service du texte avec un enthousiasme palpable, qui gagne très rapidement le spectateur. Après Metropolitan, Les Derniers jours du disco et Damsels in Distress, voici donc un nouveau chapitre venant compléter une œuvre cinématographique cohérente, pour l’heure exempte de toute faute de goût. Vivement le prochain.
Si Love & Friendship livre une peinture à la fois drôle, cynique et critique du mariage dans la haute société anglaise du 18ème siècle, il y en a un - de mariage - qui fait ici des merveilles : celui de la littérature de Jane Austen et du cinéma de Whit Stillman, qui ont de commun une élégance, une justesse et un charme indéniables. Fort logiquement, la fête est donc réussie - enivrante, même.
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