Film de Whit Stillman
Pays : États-Unis
Année de sortie : 2011
Scénario : Whit Stillman
Photographie : Doug Emmett
Montage : Andrew Hafitz
Musique originale : Mark Suozzo
Avec : Greta Gerwig, Adam Brody, Analeigh Tipton, Megalyn Echikunwoke, Carrie MacLemore, Hugo Becker, Ryan Metcalf
Rose: Priss is a rat. A bitch. A rat bitch!
Damsels in Distress est un « campus movie » drôle et – derrière son titre ironiquement naïf – intelligent, qui s’affranchit des clichés et facilités souvent associés au genre.
Synopsis de Damsels in Distress
Violet (Greta Gerwig), Heather (Carrie MacLemore) et Rose (Megalyn Echikunwoke) sont trois étudiantes qui s’occupent du centre de prévention anti suicide de l’université de Seven Oaks. Dès l’arrivée de Lily (Analeigh Tipton), une nouvelle élève, elles vont chercher à l’initier à leurs nombreuses – et discutables – règles de vie.
Critique du film
Violet: Did you know that a good-smelling environment is crucial to our overall sense of well-being? Have you considered finding a better-smelling place to live?
Whit Stillman, un parcours atypique
Drôle de carrière que celle du réalisateur et scénariste Whit Stillman. Après un premier long métrage (Metropolitan, 1990) récompensé aux Independent Spirit Awards (meilleur premier film) et nominé aux Oscars (dans la catégorie « meilleur scénario original »), il signe deux autres films sortis respectivement en 1994 et 1998 (Barcelona et surtout Les Derniers jours du disco), qui l’affirment – du moins auprès de la critique et d’une partie du public (Les Derniers jours du disco fut un échec commercial) – comme l’un des auteurs à suivre du cinéma indépendant américain. Son sujet de prédilection : la bourgeoisie urbaine américaine, qu’il égratigne gentiment à travers des comédies de mœurs aux personnages finement croqués. Notons que plusieurs auteurs contemporains, dont Lena Dunham (la série TV Girls), citent volontiers Stillman parmi leurs références. Débute ensuite une longue période au cours de laquelle le metteur en scène demeure muet sur le plan artistique ; en effet, pas moins de treize années séparent Les Derniers jours du disco (que Criterion a récemment édité en DVD/Blu-ray) de Damsels in Distress, le quatrième film de Stillman, sorti en 2011.
Greta Gerwig : des airs de Chloé Sevigny
Le casting inclut l’actrice, scénariste et réalisatrice Greta Gerwig (The House of the Devil, Frances Ha), connue notamment pour sa contribution au mouvement Mumblecore (un sous-genre du cinéma indépendant américain qui se caractérise par un budget très limité, des acteurs amateurs et un recours fréquent à l’improvisation). Il est d’ailleurs difficile de ne pas remarquer une ressemblance entre Greta Gerwig et Chloé Sevigny, que Stillman avait dirigée dans Les Derniers jours du disco. Ressemblance que le réalisateur a, selon ses propres dires, volontairement cherché à accentuer (Chloé et Greta ont toutes deux le don d’exister à l’écran d’une manière intéressante. […] je pense que nos choix en termes de maquillage et d’habillage les ont faites se ressembler davantage encore
; source : Gerwig like Sevigny, says director). Les deux comédiennes font par ailleurs des choix artistiques comparables à certains égards, et si Sevigny est depuis une bonne dizaine d’années une figure importante – voire une icône – du cinéma indépendant américain, Gerwig semble clairement en passe de le devenir à son tour.
De l’art d’affiner progressivement les contours
Damsels in Distress s’inscrit dans la même veine que les précédents films de son auteur, à savoir la comédie de mœurs – style auquel la société américaine, connue pour ses extrêmes et ses paradoxes, offre un terrain fertile. Ce « campus movie » atypique, révélant une qualité d’écriture que l’on n’associe pas spontanément au genre, nous dépeint de jeunes américaines « modèles » obsédées par l’hygiène et les apparences, prônant une vision du bonheur et de la morale codifiée à l’extrême, et déclamant avec une conviction déroutante de très discutables « vérités » toutes faites. Si le film épingle leurs contradictions et leurs discours caricaturaux et arrogants dans une succession de scènes décalées, ponctuées de dialogues au cordeau, Stillman ne méprise pour autant pas ses personnages, posant sur ces derniers un regard certes parfois moqueur mais non dépourvu de tendresse et de compréhension – et c’est dans cette combinaison délicate que Damsels in Distress puise une grande partie de son charme.
Entrant très rapidement dans le vif du sujet, Stillman nous met d’emblée face à des situations très caricaturales, voire absurdes, et il parvient à maintenir l’intérêt du spectateur sur toute la durée du film en choisissant non pas la surenchère mais, au contraire, en affinant au fur et à mesure son propos et ses personnages. Son talent réside dans cette manière d’instiller de la nuance dans la caricature, de l’humanité dans les stéréotypes, de l’empathie dans la critique. C’est là une des clés pour réussir une comédie de ce genre : ne pas hésiter à forcer le trait pour créer l’effet comique, puis ajouter des motifs plus nuancés pour donner de la crédibilité et de la consistance à l’ensemble.
Stillman joue par ailleurs intelligemment avec les aprioris des spectateurs, donnant ainsi à son propos sur les apparences d’autant plus de vie et de relief. Il parvient même à glisser des séquences musicales qui fonctionnent très bien, puisque parfaitement intégrées au récit et utilisées avec parcimonie – le choix des musiques est d’ailleurs plutôt en décalage vis-à-vis de l’époque (contemporaine) à laquelle se déroule l’action du film, ce qui donne à Damsels in Distress un agréable cachet anachronique.
Il serait toutefois injuste de n’attribuer qu’à Stillman la réussite indéniable de Damsels in Distress : le jeu des comédiens sert remarquablement bien la plume à la fois affûtée et attendrie de l’auteur. La talentueuse – et très jolie – Greta Gerwig parvient à donner une véritable épaisseur à un personnage qu’une actrice moins douée aurait été tenté de rendre plus caricatural. A ses côtés, la comédienne, mannequin et patineuse artistique Analeigh Tipton livre également une excellente prestation, tandis que le reste du casting – dont Adam Brody, Megalyn Echikunwoke, Hugo Becker, Ryan Metcalf, Jermaine Crawford (connu notamment pour son rôle dans l’excellent série The Wire) et Carrie MacLemore – compose une truculente galerie de personnages secondaires.
Espérons que Whit Stillman ne restera pas une nouvelle fois absent des plateaux de tournage pendant une décennie, car Damsels in Distress justifie pleinement la reconnaissance critique que son auteur avait acquise au cours des années 90. Quant à Greta Gerwig, elle a depuis joué dans l’excellent Frances Ha, de Noah Baumbach, dont elle a cosigné le scénario.
À propos du titre
Le titre du film fait directement référence à l’expression « demoiselle en détresse », un cliché culturel mettant en scène un héros masculin venant en aide à une femme sans défense, menacée par un ennemi quelconque. Cette situation stéréotypée se retrouve dans un très grand nombre de tableaux, romans et films, et ce à différentes époques.

« Saint Georges, la princesse et le dragon », peinture de Paolo Uccello. Une représentation célèbre de la « demoiselle en détresse ».
Dans le film de Stillman, l’expression damsels in distress
» a une résonance ironique, notamment car les personnages masculins du film n’ont rien d’héroïques, et sont même souvent étranges, simplets ou dépassés par les événements. Dans le même temps, les personnages féminins, pleins de doutes et de contradictions, ne représentent pas l’archétype de la « femme forte » revendiquée par certaines féministes. D’une certaine manière, Whit Stillman renvoie donc dos à dos deux stéréotypes culturels opposés.
Par sa capacité à dessiner, à travers des situations comiques et absurdes, le parcours de personnages qui gagnent peu à peu en épaisseur, Damsels in Distress s'affirme comme une comédie de mœurs à la fois rafraîchissante, élégante et sophistiquée.
Un commentaire
Trois films avec Greta Gerwig critiqués : à quand le fan club ?
Le motif de la demoiselle en détresse va de pair avec celui de la Belle Dame sans merci (divers poèmes dont celui de Keats, et une adaptation par Herrmann à la radio en 34). Au cinéma, on citera Ann Darrow dans « King Kong », relecture d’Andromède. La Kate Miller de « Pulsions » irrita grandement les féministes – De Palma répondit qu’il s’agissait d’un procédé narratif, cela et rien de plus. Chez Lynch, l’héroïne se trouve souvent en péril (in trouble, comme l’indique le sous-titre de l’affiche d' »Inland Empire »). Ces figures méritent des points de vue nuancés au-delà des chapelles sexuelles : les personnages combinent plusieurs traits contraires qui les libèrent des interprétations de complaisance. Dans « The Woman », Pollyanna McIntosh porte les deux masques. Dans « Massacre à la tronçonneuse », Marilyn Burns réussit l’exploit d’incarner à la fois la victime, la reine du cri et la survivante. Cherchez la femme, toujours…