Film de Francis Ford Coppola
Titre original : Rumble Fish
Année de sortie : 1983
Pays : États-Unis
Scénario : S.E. Hinton, Francis Ford Coppola (d’après le roman de S.E. Hinton, Rumble Fish)
Photographie : Stephen H. Burum
Montage : Barry Malkin
Musique : Stewart Copeland
Avec : Matt Dillon, Mickey Rourke, Dennis Hopper, Diane Lane, Nicolas Cage, Vincent Spano, Chris Penn, Tom Waits.
Rusty James: Those fuckin’ guys would’ve followed you anywhere man. They probably still would.
Motorcycle boy: They’d all follow me to the river, huh? And jump in?
Rusty James: I don’t know. Yeah, they probably would, man.
Motorcycle boy: You know, if you’re gonna lead people, you have to have somewhere to go.
Réflexion sur l’enfermement que représente, pour l’individu, le reflet de sa propre image dans le regard des autres, Rusty James – sorti aux États-Unis sous le titre autrement plus évocateur de Rumble Fish – compte parmi les plus beaux films de Francis Ford Coppola.
Synopsis de Rusty James
Dans une petite ville de l’Oklahoma, Rusty James (Matt Dillon), jeune délinquant, rêve de devenir comme son frère, le Motorcycle Boy (Mickey Rourke), chef de bande et légende locale. Quand celui-ci revient de Californie après trois mois d’absence, il cherche à échapper à sa propre image et à empêcher son frère cadet de suivre le même chemin. Mais la pression sociale est forte…
Critique du film
L’enfer c’est les autres…
Rusty James, le 13ème long métrage de Francis Ford Coppola, épouse principalement le point de vue du personnage interprété par Mickey Rourke, le Motorcycle Boy, et cela même dans les scènes dont celui-ci est totalement absent – d’où le manque de pertinence du titre français, lequel ne souligne pas ce parti pris essentiel de la réalisation. Il est pourtant flagrant, de par le choix du noir et blanc et l’aspect sourd, étouffé du son dans plusieurs séquences : en effet, le Motorcycle Boy ne distingue pas les couleurs et souffre d’une audition défaillante.
L’objectif de Coppola est donc de montrer le monde tel que le perçoit ce personnage, de nous faire partager son ressenti pour mieux valoriser le véritable sujet du film : la difficulté de se soustraire du regard des autres – dans lequel le reflet de sa propre image devient une prison – et d’échapper au conditionnement lié à son environnement social.
Cet environnement est en l’occurrence un milieu urbain dans lequel évoluent des jeunes de condition modeste, qui traînent dans les rues et se battent pour des territoires. Le discours de Rusty James révèle donc à la fois une dimension universelle (toute société génère une forme de pression sur les individus qui la composent), et un point de vue plus spécifique sur les phénomènes de bandes dans les quartiers défavorisés.
La similarité avec Cool Hand Luke
Pour le Motorcycle Boy, son image d’icône, de légende vivante aux yeux de la population, est un fardeau. D’où le parallèle avec le Rumble Fish, poisson qui se rue sur sa propre image reflétée par les parois en verre de l’aquarium. Le jeu et la voix de Mickey Rourke sont d’ailleurs volontairement en contradiction avec la vision de « tough guy » (de dur) que les autres ont de lui : il murmure la plupart de ses répliques avec une voix douce, apaisée, et ses regards sont lointains et rêveurs. Ce décalage souligne que ce personnage n’est pas conforme à ce que son entourage imagine – seul son père, interprété par Dennis Hopper, semble vraiment le comprendre.
Le Motorcyble Boy évoque, justement par cette différence profonde entre ce qu’il est vraiment et la manière dont les autres le considèrent, le personnage que Paul Newman incarne dans Luke la main froide (Cool Hand Luke, 1967, de Stuart Rosenberg) : tous deux sont perçus comme menaçant l’ordre établi (incarné, dans chacun des films, par un policier volontairement caricatural et déshumanisé) ; ils suscitent l’admiration (non souhaitée) des autres ; et enfin ils ont un statut de leader dont ils ne veulent pas. Incompris, souffrant d’un passé familial douloureux, ils étouffent dans un costume d’icône rebelle qu’on leur fait porter malgré eux et qui les précipite vers une fin tragique.
La fuite du temps : une autre thématique de Rusty James
Incapable d’agir sur le destin auquel son environnement le condamne – et ce depuis sa naissance, ce qui accentue la dimension tragique du personnage (He was born on the wrong side of the river
, dit de lui son père) -, le Motorcycle Boy va s’évertuer à changer celui de son jeune frère, Rusty James (Matt Dillon), tant qu’il en est encore temps. Voici d’ailleurs un concept (le temps) qui hante la pellicule de Rusty James.
Le film est en effet truffé de plans qui rappellent constamment le facteur temps, et ce qu’il implique de vertigineux, d’angoissant pour l’homme : le passage des nuages filmé en accéléré ; les pendules et horloges que l’on retrouve dans de nombreuses séquences (à l’image de celle montrant Rusty James, le Motorcycle Boy et l’officier Patterson – joué par William Smith – adossés à une énorme horloge).

Les pendules et horloges, omniprésentes dans le film, soulignent le sentiment d’urgence par rapport au temps qui défile.
Il y a également cette réflexion, en voix off, du barman interprété par le chanteur, auteur/compositeur et comédien Tom Waits :
Time is a funny thing. Time is a very particular item. When you’re young, you’re a kid, you got time. You got nothing but time. Throw away a couple of years here, a couple of years there…It doesn’t matter you know. The older you get you say “Jesus, how much I got?” 35 summers left. Think about it: 35 summers left.
Tous ces éléments mettent en évidence l’urgence pour l’individu d’accéder à une liberté (illusoire?) avant qu’il ne soit trop tard – avant que son libre arbitre ne soit définitivement écrasé par le rôle que la pression sociale le pousse à endosser.
C’est donc une sorte de tragédie moderne et urbaine que signe ici Francis Ford Coppola, supérieur au plus modeste The Outsiders, sorti la même année et également basé sur un roman de Susan Eloise Hinton. Le casting fournit par ailleurs d’autres très bonnes raisons de voir le film, puisqu’en dehors d’un Mickey Rourke particulièrement inspiré (qui trouvait ici son premier grand rôle), de Matt Dillon et de Dennis Hopper, on retrouve également Chris Penn, Vincent Spano, Nicolas Cage, Diane Lane et Tom Waits, lequel avait signé la BO de Coup de coeur (1982) du même Coppola, et qui jouera également dans Cotton Club (1984) et Dracula (1992).
Rusty James est un conte tragique sur un homme enfermé dans l'image que son environnement social lui renvoie ; homme auquel l'aura de Mickey Rourke et la réalisation expressionniste (voir le travail impressionnant sur la lumière et les angles de vue) de Francis Ford Coppola donnent une dimension iconique. Sorti il y a déjà 33 étés, pour reprendre l'expression du barman incarné par Tom Waits, ce film parfois mal compris se classe parmi les grandes réussites de son réalisateur, et parmi les chefs d’œuvre de la décennie 80. The Mortocycle Boy Reigns
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18 commentaires
Voici donc le fameux « poisson bagarreur » !
Ta critique m’a donné envie de voir ce film, et puis Tom Waits joue dedans, c’est un signe !
Mais au fait, tu ne conseilles pas Apocalypse Now ?
Et Dracula ?
Et Lost in Translation ?
Attention, il y a au moins un piège dans ce commentaire ;o)
Apocalypse Now tout le monde connait! Contrairement à « Conversation Secrète » qui est excellent et trop méconnu.
La participation de Tom Waits c’est sur que c’est un gage de qualité… il joue aussi dans « Down By Law » de Jarmusch tu connais??
Le piège est un peu facile à éviter non? Essaie encore!
Et « coffee and cigarets ».
C’est super bien comme jeu ça ! Alors, on attend aussi les critiques de « We own the night », « Ghost Rider » et « Fast &Furious ».
Non ? C’est pas ça ? j’ai pas compris la règle ?
si si, justement je suis en train d’analyser « fast and furious » mais ça demande bp de boulot, c’est tellement riche et profond… quelque part ça me dépasse, je sais pas si je pourrai. Peut-être en entrant en méditation transcendantale, mais faut que je remette la main sur mon peyocle.
Héhé me demandais quand tu allais faire un post sur Rumble Fish!! Pour moi le propbleme de ce film c’est justement le temps ;p
Citizen Poulpe dit :
Apocalypse Now tout le monde connait! Contrairement à “Conversation Secrète” qui est excellent et trop méconnu.
> C’est vrai, je ne connaissais pas :o)
Citizen Poulpe dit :
La participation de Tom Waits c’est sur que c’est un gage de qualité… il joue aussi dans “Down By Law” de Jarmusch tu connais??
> Pas vu non plus, dsl. Par contre j’ai bien aimé Coffee & Cigarettes, du même Jarmusch et avec Tom Waits aussi ! Ca me fait un film en commun avec Pétronille…
Citizen Poulpe dit :
Le piège est un peu facile à éviter non? Essaie encore!
> Euh, Virgin Suicides ? :oD
je reconnais bien là ton côté caustique cédric!
ceci dit il a bien fallu que je le vois 2 ou 3 fois pour apprécier…
mais tu as aimé son dernier film et même si ils sont très différents, je trouve qu’ils sont à classer dans la même catégorie dans la filmo de coppola (onirique, poétique, symbolique blablabla enfin tu vois quoi)
Je suis d’accord avec toi, il est vrai que ca merite surment d etre revue. Mais ce qui ma manqué par rapport au dernier c’est une accroche personnage. J’ais eu du mal avec ce heros… Par contre niveau technique je suis d’acord qu’il est irréprochable, magnifique et tout et tout.
Très bon article. Cependant vous ne parlez à aucun moment de la très personnelle raclée que Mickey Rourke inflige au début du film… C’est pourtant unique! Je comprends que ce n’est pas le propos du film et que cela pourrait desservir l’article, mais quand même ça donne encore plus de sens à « motorcycle » boy! Sinon c’est vrai que le titre français est encore une fois mal trouvé et choisi « à la va-vite ».
Effectivement, l’entrée du Motorcycle Boy dans le film est fulgurante : il éclate un mec en « lâchant » sa moto en plein dans sa gueule. Une façon inédite d’éclater quelqu’un.
j’ai adoré ce film! a tous points de vue! les acteurs( evidemment sans oublier tom waits, en fabuleux « choeur de tragedie grecque »-dommage qu il ne soit pas plus exploité d’ailleurs- et dennis hopper, hyper bourré et hyper lucide….), la réalisation parfaite( tous les plans meritent pour diverses raisons qu on s y attarde), ce coté distancié, serein, presque mystique de mickey rourke( sa voix si douce qui contraste avec le rauque de celle de matt dillon, son immobilité qui contraste avec l’attitude agitée du petit frère, cette « altitude » qui pousse les autres a lever les yeux pour lui parler…), les demarches et bagarres tres choregraphiées dans lesquelles j’y ai vu un peu west side story, l’enfermement de soi dans l’image des autres, la redemption, ..bref…un grand grand film, et je n’ai qu’une envie, le revoir!
ps: bertrand, as tu vu « poison » de todd Haynes?? il meriterait que tu t y intéresses pour une prochaine critique je pense…
non, je n’ai pas vu « poison », si tu l’as… c’est vrai que les bagarres dans « rusty james » évoquent clairement west side story!
J’ai vu ce film pour la première fois aujourd’hui et j’ai une irrésistible envie de le revoir ce soir.. et il faut toujours satisfaire ses envies irrésistibles !
Observation déplacée et sans aucun rapport : suis je la seule à trouver que dans ce film Matt Dillon ressemble étrangement à Adam Ant ? Oh, ma gueule.
Oui c’est un film qui gagne à être revu. J’étais passé à côté de plein de choses la première fois. Pour la ressemblance, je viens de regarder dans Google Images et il y a bien un petit quelque chose!
merci pour cette belle revue
En effet j’ai trouvé Rusty James d’une grande force, comme la fureur de vivre même si les thèmes différent. Oustiders n’est pas pour moi un grand film, je suis également d’accord là dessus
[…] une analyse complète et excellente de Rusty James, ici. Share this:TwitterFacebookWordPress:J'aimeSoyez le premier à aimer […]
Rumble fish est mon film préféré. Je suis cinéphile mais j’ai encore beaucoup de films à voir. Mickey Rourke est charismatique dans ce rôle. Je trouve que Ryan Gosling s’en donne des airs dans Drive (qui fait parti des mes films préférés des années 2000). En tout cas, merci pour cet article, il est intéressant.