Analyse d’une séquence du film Rusty James (lire la critique), de Francis Ford Coppola, avec Mickey Rourke et Matt Dillon.
La symbolique du « Rumble Fish »
Dans cette séquence qui se déroule dans une animalerie, le Motorcycle Boy (Mickey Rourke) montre à son frère cadet Rusty James (Matt Dillon) les fameux « poissons bagarreurs » qui donnent leur titre au film (Rumble Fish).
Le titre français (Rusty James) est comme souvent maladroit, le titre original soulignant bien davantage le propos du film. Propos qui trouve dans cette scène une illustration limpide : à propos du comportement des poissons, le Motorcycle Boy explique qu’ils se tueraient entre eux s’ils le pouvaient
et que si l’on place un miroir contre la glace, ils essaient de tuer leur propre image
. Feraient-ils la même chose dans une rivière ?
, finit-il par se demander.
Le parallèle avec la situation des personnages du film et en particulier celle du Motorcycle Boy est évident. Chef de bande adulé, véritable légende locale, le personnage interprété par Mickey Rourke est prisonnier de l’image de lui-même que les autres (la société) lui renvoient – cette image ne correspondant en rien à sa propre nature. Il ne souhaite en effet pas être un quelconque leader (If you wanna lead people, you have to have somewhere to go
, dit-il à Rusty James dans une autre scène du film – sous-entendant que lui ne sait pas où aller).
Les deux dernières répliques de cette scène éclairent davantage encore le sens de celle-ci ; en effet, en réponse à la menace du policier (Il faudrait que quelqu’un te sorte de la rue
), le Motorcycle Boy répond Il faudrait que quelqu’un jette ces poissons dans la rivière
.
La correspondance entre les deux phrases est significative ; comme les « poissons bagarreurs », les seuls éléments colorés de la scène (manière pour Francis Ford Coppola de souligner leur importance), le Motorcycle Boy est en conflit avec son propre reflet, celui qu’il voit dans le regard des autres. Son aquarium à lui, c’est la ville, les rues, la société qui l’entoure.
Un commentaire
Autres usages remarquables de la couleur dans un film en noir et blanc : les inserts en Technicolor du « Portrait de Dorian Gray » de Lewin sur le tableau maudit ou le Petit Chaperon rouge de Spielberg dans « La Liste de Schindler ». Le chromatisme par contrastes superpose deux plans de réalité distincts, inconciliables, où l’objet, œuvre picturale ou manteau d’enfant, acquiert littéralement une aura de vérité ou de prophétie. Dans l’univers des signes de la fiction, la couleur procède d’une essence et d’un vertige – ce qu’illustre à volonté les mélodrames de Minnelli, par exemple « Comme un torrent ».