Les distributeurs cinéma en France s’entêtent à ne sélectionner que des films d’horreur et/ou fantastique faciles à vendre. Le tout, avec la complaisance d’une presse cinéma généraliste qui connait mal ce cinéma, et est donc incapable de le défendre intelligemment.
Le succès trompeur (et disproportionné) de Smile
Cela fait déjà plus d’un mois que le film Smile de Parker Finn est à l’affiche en France. On pourrait penser que ce succès public, et critique d’ailleurs, est bon signe pour le cinéma horrifique et fantastique. Sauf que contrairement à ce qu’affirme la presse, Smile est un film indigent. Il n’est pas mal exécuté, mais cumule des effets et motifs éculés, qui plus est sans les traiter d’une façon un tant soit peu originale (un peu de It Follows, un peu de Ring, un peu de Smiley, etc.). Le film associe les ingrédients d’une bonne vieille recette, offrant au jeune public son lot de frissons et de jumpscares. De leur côté, les critiques cinéma peuvent difficilement repérer le manque de singularité du projet, dans la mesure où la plupart d’entre eux ne voit que les films de genre diffusés sur les principales plateformes vidéo et dans les salles obscures hexagonales. Il est certain que sur la base de ce seul référentiel, Smile serait presque un bon film.
Ti West, découvert par la presse cinéma généraliste après 13 ans de carrière
Cette semaine, c’est X de Ti West qui est encensé par la presse. Ti West est un auteur bancal (ses films sont rarement totalement aboutis) mais intéressant, avec de la personnalité, un univers. Le problème, c’est que X est l’un de ses moins bons films (le coup de la vieille femme qui fait peur, il va falloir songer à arrêter…), que ses précédentes œuvres ne sont pas sorties en France et que les journalistes qui parlent de X aujourd’hui n’ont jamais parlé de Ti West avant (voir le cas du site Critikat, qui parle de « cinéaste important » dans leur critique de X, alors même qu’ils ne lui ont jamais consacré d’articles jusqu’à aujourd’hui, comme le prouve cette page d’archives).
Alors certes, X est mieux que Smile, car on y sent la patte d’un auteur, mais The House of the Devil ou The Innkeepers du même Ti West sont bien plus réussis, or ils n’ont jamais trouvé le chemin des salles françaises, et n’ont été défendus que par la presse cinéma spécialisée.
Une vision terriblement formatée du cinéma de genre
Pour sortir au cinéma en France, un film de genre étranger (américain, britannique, espagnol…) doit comporter des éléments qui le rapprochent d’autres films du même genre qui ont fonctionné. Ainsi, si vous mettez une maison hantée, une poupée vilaine, une vieille dame flippante ou un exorcisme dans votre scénario, vous augmentez vos chances d’être distribué en France. Mais bien sûr, vous réduisez celles de produire quelque chose d’un peu intéressant et singulier. Autre critère important : le message. Si votre film véhicule un message social, il y a de grandes chances que cela plaise aux critiques (le cinéma de genre français est plombé par cet impératif), même si le récit est pauvre. Le succès de Jordan Peele, dont le Get Out a été largement surestimé (bien qu’il soit très regardable), s’explique ainsi.
Il y a bien sûr quantité d’exceptions. Évidemment qu’il y a des sociétés de distribution dirigées par des passionnés, qui prennent des risques parfois importants pour pouvoir proposer des choses différentes, montrer le travail d’authentiques auteurs (ou simplement, d’ailleurs, d’artisans généreux, soucieux de raconter de bonnes histoires). Certes, des auteurs passionnants comme Juliana Rojas et Marco Dutra sont distribués en France (dans peu de salles, précisons-le), alors que leur approche du genre est tout sauf formatée (comme celle d’Ari Aster, lui aussi très reconnu, à juste titre). Mais si on regarde ce qui sort chaque année au cinéma, force est de constater que cela ne donne à voir, dans 90% des cas, que l’aspect le plus médiocre et prévisible d’un genre pourtant diversifié et passionnant, même s’il nécessite un sacré travail de tri.
D’excellents films passés sous les radars
Prenons des exemples concrets : Colossal, de Nacho Vigalondo, n’est jamais sorti dans les salles françaises, alors même qu’il est visuellement plutôt spectaculaire. Mais voilà, ça ressemble de loin à un kaiju movie alors que ce n’en est pas un. Donc, pas possible de le vendre avec un slogan facile, de lui coller une étiquette racoleuse. Le film traite pourtant d’un sujet devenu particulièrement à la mode depuis (la masculinité toxique), et d’une façon beaucoup plus créative et singulière que ne le font la plupart des autres réalisateurs. Extraterrestre, du même Vigalondo, qui fut projeté au PIFFF 2011, avait connu le même sort (comme tous les autres films de cet auteur, notez). Imaginez : le film s’appelle Extraterrestre, et on ne voit pas de petits hommes verts. Les distributeurs ne savent pas quoi faire avec ça. Ils peuvent soutenir parallèlement des films d’auteur audacieux, mais dans un registre social, dramatique, politique, historique. Le cinéma de genre, si ça ne se regarde pas avec un bol de popcorns dans les mains, ça ne les intéresse pas.
Resurrection, d’Andrew Semans, avec Rebecca Hall et Tim Roth, traite aussi de masculinité toxique avec originalité (contrairement à 99% des films qui abordent ce thème par opportunisme ou paresse intellectuelle). C’est le seul film d’horreur que j’ai vu à ce jour dont la scène la plus effrayante est un monologue face caméra. Ce tour de force est peut-être la raison pour laquelle aucune date de sortie n’est planifiée pour l’instant en France : il faut faire peur avec des visages grimaçants (comme dans Smile), pas avec un texte bien écrit et une grande performance d’actrice.
De son côté, le duo Aaron Moorhead et Justin Benson nous a offert trois films de genre éminemment singuliers et émouvants, mais il n’y a que dans les festivals spécialisés qu’on peut voir leurs œuvres sur grand écran, et personne ne parle d’eux dans la presse cinéma généraliste. Que dire de Perry Blackshear, et de son remarquable They Look Like People ? Si un critique cinéma trouve ça moins bien que Smile, il faut qu’il change de métier. Citons d’autres cas, ne serait-ce que pour donner des idées de visionnage !
Moloch (Sacrifice) est sorti directement en VOD fin septembre, alors qu’il s’agit d’un folk horror movie tout à fait correct, avec une vraie atmosphère et qui propose un cadre pas si souvent exploité (la campagne hollandaise) ; The Witch in the Window est un film minimaliste qui parvient à utiliser un motif classique (la sorcière) en l’intégrant à un récit familial singulier ; The Lodge est un huis clos fascinant qui évoque Les Innocents (grand classique) avant de prendre un chemin tout à fait différent, prenant habilement à contrepied les attentes du spectateur.
Les comédies d’horreur : double peine
Les comédies horrifiques sont doublement défavorisées : quand elles sont un peu trop originales, elles sont boudées par les gros distributeurs, tandis que leur côté fun et décomplexé fait qu’elles sont snobées par les distributeurs spécialisés dans le film d’auteur dit « sérieux ». Les spectateurs français n’ont ainsi pas eu l’occasion de voir Life After Beth, All My Friends Hate Me, Villains, Double Date, Snatchers, Bodies Bodies Bodies, Nina Forever, Dead Dicks… Des films qui ne sont pas forcément tous extraordinaires, mais qui font passer un très bon moment et qui sont beaucoup plus rafraîchissants et intelligents que la soupe qu’on nous sert invariablement en salle.
Un modèle à questionner
On geint beaucoup sur la basse fréquentation des salles obscures en France. Mais la vérité, c’est que si son aime les films de genre, et le public concerné n’est pas non plus une « niche », il faut télécharger illégalement ou s’abonner à des plateformes spécialisées (comme Shadows en France) pour accéder à des choses intéressantes et créatives.
Peut-être qu’il faudrait commencer à se remettre en question, plutôt que de passer son temps à ne pointer du doigt que la paresse du public (même si elle est bien réelle) et la mainmise de Netflix. Cette remise en question valant pour les gros distributeurs, mais aussi pour une presse généraliste qui se contente trop souvent de ne chroniquer que les films sortis en salle, alors que son travail, me semble-t-il, c’est aussi de défendre ce qui n’est pas montré.
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